Actualité > Le billet

Le billet

[ 26 septembre 2012 ] Imprimer

Agitons quelques chiffons rouges devant les critiques de la décision Corrida

Pour ceux de nos lecteurs qui s'adonneront cette année au droit ou au contentieux constitutionnel, ainsi sans doute que pour ceux qui passeront le grand oral de l'examen d'entrée aux écoles d'avocats, la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 21 septembre 2012 et qui ne remet pas en cause les pratiques tauromachiques fera sûrement l'objet de commentaires de questions de débats, abondants et passionnés.

C'est la raison pour laquelle nous voudrions, dans les lignes qui suivent, nous attarder sur quelques-unes de ces critiques ou débats pour montrer qu'ils reposent souvent sur des idées préconçues, ou des préjugés, sur ce que devrait être la loi, sur la tauromachie en particulier, mais aussi de manière plus générale.

La première observation concerne l'étonnement qu'a pu susciter la décision du Conseil constitutionnel par le fait que ce soit une « tradition » qui puisse être confrontée à la Constitution et, en quelque sorte, validée par elle. Mais il faut ici souligner des points importants : cette tradition n'est une source de droit que parce que la loi, ici la disposition du Code pénal qui réprime les mauvais traitements infligés aux animaux, la prévoit expressément. Autrement dit, ce n'est pas la tradition qui fonde la justification du maintien de la tauromachie, mais la loi qui reconnaît cette tradition et lui confère sa valeur juridique. Ainsi, contrairement à ce qu'on a pu entendre de ci de là, il ne s'agit pas de valoriser une tradition contre la loi.

La deuxième observation concerne une autre critique adressée à la décision du Conseil constitutionnel : la notion de tradition locale ininterrompue serait trop imprécise, et tributaire d'une jurisprudence de la Cour de cassation qui a beaucoup varié sur ce qu'il faut entendre par tradition ininterrompue. Il faut ici, en s’éloignant d'ailleurs de justifications données par le Conseil constitutionnel lui-même dans le commentaire de sa décision, s'élever contre cette espèce de nouveau lieu commun constitutionnel selon lequel la loi devrait être « précise », et qu'il s'agirait là d'une condition permettant d'apprécier sa constitutionnalité.

Ce fantasme de la loi précise, car c'est bien d'un fantasme dont il s'agit, est sans doute le dernier avatar en date de la critique de la loi. Elle serait bavarde (et donc imprécise par excès de langage), ou mutique (et donc imprécise par insuffisance d'explication) ou encore approximative. Mais en réalité, cette critique n'est pas adressée à la loi, elle est une critique adressée au système politico-juridique qui l'a produite ou, dit encore autrement, elle est une forme d'antiparlementarisme discret. Car en règle générale, cette critique de la loi contemporaine renvoie à cette loi mythique, supposée précise, concise et sans ambiguïté cristallisée dans le Code civil de 1804. Or, pour qui veut bien relire un tant soi peu sérieusement ledit Code civil, force sera de constater qu'il fourmille d'excès de précisions (ah, les niches des statues de l'article 525 !), d'excès de mutisme (où donc se trouve la définition des qualités de ce bon père de famille qui est si souvent sollicité par le Code ?) ou d'imprécisions (la définition du domaine public par l'article 538 en fut une illustration classique).

Ainsi, dire que la loi n'est pas précise n'est pas en soi un vice qui affecte sa validité, c'est une habilitation offerte à d’autres autorités (dont le juge mais pas uniquement) pour l'interpréter, en fonction des circonstances, de temps et de lieu notamment, car il en va de l'application de la loi comme de toute autre activité sociale : elle évolue et s'adapte, sauf à perdre toute pertinence.

Troisième observation qui concerne cette fois-ci le volet « principe d'égalité » de la décision. Là encore, on a pu lire ou entendre des critiques sur le fait que cette décision entérinerait des différences de traitement entre certaines parties du territoire national. Mais là encore, cette critique repose sur une vision mythifiée du principe d’égalité pris dans acception territoriale : il n'a jamais été exclu, ni interdit, ni regardé comme contraire à la Constitution qu'une norme, même pénalement sanctionnée, s'applique de manière différente sur telle ou telle partie du territoire, voire même ne s'applique que certaine d'entre elles. Qu'on songe au droit d'Alsace Moselle, qu'on songe aux droits des Outre-mers, qu'on songe même aux régimes du littoral et de la montagne en droit de l'urbanisme, et l'on devra reconnaître que la différenciation géographique de la norme n'est jamais, par elle-même, une méconnaissance du principe d'égalité. Elle ne le devient que si elle n'est fondée sur aucune justification. Par exemple, le Conseil d'État avait, dans un avis de 1988 considéré qu'il n'y avait aucune justification à exonérer les habitants de Saint-Barthélémy de l'impôt sur le revenu, et c'est pour cette raison qu'il avait considéré qu'il s'agissait ici d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques fondées sur un critère géographique.

On le voit donc la décision du Conseil constitutionnel appelle à de nombreuses critiques.

En revanche, il y aurait davantage à dire sur le traitement par le silence infligé à la problématique du statut juridique et peut-être constitutionnel des animaux et de leurs souffrances. Mais je ne voudrais priver nos aimables lecteurs de la possibilité de se forger par eux-mêmes une opinion avant de proposer, dans un futur billet, quelques pistes de réflexion.

 

Références

 Cons. const. 21 sept. 2012, n°212-271 QPC, Dalloz Actu Étudiant 24 sept. 2012.

 Code civil

Article 525

« Le propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou, lorsqu'ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés. 

Les glaces d'un appartement sont censées mises à perpétuelle demeure lorsque le parquet sur lequel elles sont attachées fait corps avec la boiserie. 

Il en est de même des tableaux et autres ornements. 

Quant aux statues, elles sont immeubles lorsqu'elles sont placées dans une niche pratiquée exprès pour les recevoir, encore qu'elles puissent être enlevées sans fracture ou détérioration. »

Article 538, abrogé par l’ordonnance n°2006-460 du 21 avril

« Les chemins, routes et rues à la charge de l'État, les fleuves et rivières navigables ou flottables, les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, et généralement toutes les portions du territoire français qui ne sont pas susceptibles d'une propriété privée, sont considérés comme des dépendances du domaine public. »

 CE, avis, 4 févr. 1988, n° 342.829.

 

Auteur :Frédéric Rolin


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr