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Le billet

[ 15 septembre 2014 ] Imprimer

Faut-il que le notariat meure ?

Le précédent ministre de l’Économie, parti avec pertes et fracas, avait initié un projet destiné à réformer les professions réglementées, afin d’accroître le pouvoir d’achat des Français…

Incapable de diminuer les prélèvements obligatoires, voire même d’arrêter de les augmenter, puisque semble se profiler à l’horizon une hausse du taux normal de la TVA, le gouvernement a eu une idée lumineuse : déshabiller Paul pour donner quelques fripes à Jacques. On imagine en effet la surprise des fonctionnaires de l’Inspection générale des finances  lorsqu’ils ont découvert qu’il y avait encore en France, au xxie siècle, des personnes qui, après de longues études, avaient acquis une compétence leur permettant de gagner de l’argent, voire même beaucoup d’argent.

En publiant le revenu moyen des professions réglementées, le gouvernement a donc réalisé un « bon coup ». Il y a toujours quelque chose à gagner en pointant du doigt « les nantis ». Parce que, si les Français n’ont plus d’argent, c’est évidemment la faute des pharmaciens, des médecins, des avocats et, surtout, des notaires, qui sont en première ligne.

Défendre le notariat, dans la période que nous connaissons, est difficile. Le revenu moyen des notaires, de l’ordre de 227 291 euros par an, d’après l’Inspection générale des finances, quand le revenu moyen des Français en général est, selon l’Insee,  de 25 560 euros par an (le revenu médian est de 20 544 euros par an), rend tout discours de soutien assez inaudible. C’est sans doute la raison pour laquelle la doctrine se montre encore discrète sur cette question. Le signataire de ces lignes ne retirera donc rien de bon du présent Billet qui lui attirera, après, au mieux, une lecture rapide des lignes suivantes, un « volet de bois vert », notamment des avocats.

Non pas que ces derniers espèrent retirer quelques deniers de la chute des notaires… Mais, simplement, parce que le notariat serait une profession archaïque, qui n’apporterait pas un service que les avocats ne pourraient eux-mêmes fournir, et dont les tarifs seraient trop élevés.

Reprenons ces différents éléments.

Le notariat serait une profession archaïque, notamment en raison du numerus clausus qui empêche la libre installation des jeunes diplômés. Pour devenir notaire en titre, ces derniers devront en effet acquérir une charge, ou des parts dans une société détenant une charge, et être nommés dans leur fonction par le ministre de la Justice. Le coût financier de l’achat n’est, contrairement à ce que l’on pourrait penser, pas un obstacle insurmontable, puisque la Caisse des dépôts prête de l’argent, pour ces acquisitions, à des taux d’intérêts avantageux.

La véritable difficulté réside dans le nombre de places disponibles. Les diplômés notaires, qui ont le statut de collaborateurs ou de salariés, se heurtent en effet à un « plafond de verre », et nul doute que les « réseaux » jouent un rôle important dans l’acquisition d’une charge.

Il y a là un véritable problème, et tout enseignant soucieux du devenir de ses étudiants ne peut que s’en émouvoir.

Mais, avant de mettre à bas le statut du notariat et, comme on va le voir, la conception française de la sécurité juridique, le gouvernement pourrait tout simplement user de la création de charges, y compris assez massivement. Le notariat s’était engagé, il y a quelques années, à augmenter ses effectifs, en favorisant l’association des collaborateurs. Si ces engagements n’ont pas été tenus, il n’y aurait rien de plus légitime à ce que, dans les zones à forte densité de population, là où les revenus des notaires sont les plus importants, de nombreuses charges soient créées, et mises au concours. En effet, le gouvernement est maître du « numerus clausus », et peut augmenter à sa guise les effectifs du notariat. Augmenter le nombre de notaires, en donnant leur chance aux collaborateurs qui ne trouvent pas à s’associer, ferait ainsi diminuer le revenu moyen des notaires.

En tout état de cause, la liberté d’installation ne règlera pas le problème des collaborateurs. Elle est bien souvent une chimère ; l’exemple des avocats est, à cet égard, frappant. Le jeune avocat, CAPA en poche, a bel et bien le droit de s’installer où bon lui semble. Mais ses chances de survie sont quasi nulles, sauf s’il dispose, lui aussi, d’un « réseau » lui permettant d’avoir des clients… Quant aux avocats-collaborateurs, qui n’ont bien souvent pas le temps de développer une clientèle personnelle suffisante leur permettant de se lancer seuls, ils se heurtent aussi à « un plafond de verre », l’association ne leur étant pas, loin s’en faut, systématiquement proposée.

Ainsi, rien n’empêche, tout en maintenant le statut du notaire, d’augmenter, pourquoi pas très significativement, le nombre de notaires. Le numerus clausus n’est pas figé.

Surtout, et c’est le deuxième point, la liberté d’installation signifie la mort du notariat de tradition romano-germanique. Le service spécifique du notariat réside dans l’authenticité, c'est-à-dire dans l’impossibilité de contester, autrement que par l’inscription de faux, les mentions des actes qui relatent des faits que le notaire a constatés ou accomplis. L’authenticité renforce ainsi la sécurité de l’acte en le mettant à l’abri de la chicane. Les actes les plus importants, passés devant notaire, sont donc moins susceptibles de faire l’objet d’un contentieux. Or, l’authenticité repose sur la transmission d’une parcelle d’autorité publique aux notaires. En contrepartie, les notaires sont contrôlés, et exercent leur fonction sous la surveillance, notamment, du procureur de la République.

On ne voit ainsi pas comment l’authenticité, qui repose sur le lien entre le notaire et les pouvoirs publics, pourrait survivre à la liberté d’installation, sur le modèle des avocats. L’authenticité, sans la nomination et le contrôle des pouvoirs publics, serait comme suspendue dans l’air, privée de tout fondement.

Quant à la mort de l’authenticité, elle marquerait l’inféodation de notre système juridique au système anglo-saxon. En simplifiant à l’excès, il faut rappeler que, dans les systèmes de tradition romano-germanique, le droit a une vocation préventive. Les règles sont codifiées afin, même si c’est utopique, que les justiciables puissent connaître leurs droits, et éviter la survenance des litiges. Corrélativement, cette conception implique de permettre aux citoyens de se préconstituer la preuve fiable de leurs droits, ce à quoi servent, notamment, les notaires. Si l’on bascule dans un système à l’anglo-saxonne, système dans lequel le juge est le pilier, le contentieux augmentera mécaniquement.

Il faudra donc plus d’avocats, ce qui n’est pas un mal, mais il faudra également plus de magistrats, notamment dans les chambres civiles, les délais de justice étant déjà loin d’être raisonnables en la matière.

Ce n’est pas un mal non plus, sauf pour les finances publiques, et il n’est donc pas certain que le gouvernement ait, finalement, fait un bon usage de sa calculatrice.

Enfin, s’agissant du tarif des notaires, le gouvernement serait beaucoup plus crédible, dans sa volonté de favoriser l’achat immobilier, s’il ne venait pas d’autoriser les collectivités locales à augmenter les droits de mutation…

Mais, toujours est-il, qu’effectivement, le revenu des notaires, dû pour l’essentiel à l’augmentation déraisonnable des prix dans l’immobilier, justifie sans peine une révision de leur tarif. Pour cela, il suffirait au gouvernement de modifier le décret du 8 mars 1978 portant fixation du tarif des notaires.

Le tarif des notaires a, en effet, besoin d’être assaini, et repensé. Les écarts entre les actes rémunérés par émoluments fixes, et ceux rémunérés par émoluments proportionnels sont beaucoup trop importants, et justifient un changement de « modèle économique ».

Mais, il est vrai que, en refondant ce décret, le gouvernement se priverait de l’annonce fracassante du « grand soir » du notariat, et de l’image positive que l’on peut retirer lorsqu’on s’attaque aux riches…

La libéralisation n’entraînera pourtant pas nécessairement, à terme, une baisse généralisée des prix. Surtout, nombre d’actes, très peu rémunérateurs actuellement, verront sans aucun doute leur prix augmenter. Par exemple, la rédaction d’un acte de notoriété est rémunérée 58, 50 euros (15 unités de valeur à 3, 90 euros si l’on en croit le décret du 8 mars 1978). Il n’est pas certain, qu’à ce tarif, l’on trouve beaucoup d’autres professionnels intéressés par cette compétence…

Toujours est-il que la place manque pour traiter de la question dans sa totalité (et avec subtilité). En résumé, le notariat doit être réformé. Aucune personne sensée et raisonnable ne peut le nier. En particulier, le notariat peut supporter une augmentation de ses effectifs, et son tarif doit être repensé. En revanche, la libéralisation qui, en toute logique, entraînera la mort tôt ou tard de l’authenticité, doit être combattue.

Elle n’améliorera pas significativement le sort des collaborateurs des notaires qui, le plus souvent, n’auront pas les moyens de s’installer seuls. D’ailleurs, les diplômés-notaires, réussissant à s’installer, ne compenseront pas les licenciements massifs des collaborateurs, titulaires de BTS, de Licence pro, ou du diplôme des instituts des métiers du notariat (IMN), qui ne manqueront pas de se produire dans les études. Ce sont donc les plus fragiles qui subiront de plein fouet la libéralisation.

En outre, la libéralisation entraînera une fusion des offices, ou de ce qu’il en restera, rendant la survie des petites études improbables, et la désertion d’une partie du territoire inéluctable.

Enfin, son effet sur les prix est, à terme, incertain et son impact sur le pouvoir d’achat des ménages qui en ont le plus besoin sera quasi nul. Le gouvernement croit-il réellement que les éventuelles économies réalisées sur la rédaction des actes juridiques amélioreront le sort de nos concitoyens les plus pauvres ?

Quoi qu’il en soit, ce débat se poursuivra ailleurs et, vous l’aurez compris, chers étudiants, c’est la rentrée !

 

Auteur :Mathias Latina


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