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[ 12 septembre 2016 ] Imprimer

La réparation du préjudice écologique

Dans la torpeur de l’été, au moment où les revues juridiques donnaient rendez-vous à leurs lecteurs à la rentrée, le Parlement adoptait définitivement la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la nature, de la biodiversité et des paysages. Entre autres dispositions, cette loi a introduit, dans le Code civil, des dispositions destinées à reconnaître la notion de préjudice écologique et à en encadrer la réparation.

Décidément, après des décennies de stabilité, d’aucuns pourraient parler d’immobilisme, le droit des obligations connaît une effervescence réjouissante. À l’ordonnance n° 2016-151 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, qui entrera en vigueur le 1er octobre prochain, s’ajoute aujourd’hui la loi du 8 août 2016 qui introduit, dans le Code civil, un titre IV ter intitulé « De la réparation du préjudice écologique » contenant les articles 1386-19 à 1386-25. Il est toutefois urgent de ne pas s’habituer à cette numérotation puisque, dès le 1er octobre, les articles relatifs au préjudice écologique figureront dans le chapitre 3 du sous-titre relatif à la « responsabilité extracontractuelle », aux articles 1246 à 1252…

Confronté à l’article 1382 du Code civil, le préjudice écologique pur posait un problème redoutable. En effet, le préjudice écologique pur n’est pas subi par « autrui », c’est-à-dire par une personne, qu’elle soit publique ou privée, mais par la nature elle-même et par la collectivité. Faute de caractère personnel, on pouvait donc douter que le préjudice écologique pur puisse être réparé sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

Certes, la Cour de cassation avait fini par admettre la réparation du préjudice écologique pur dans l’affaire ERIKA (Crim. 25 sept. 2012, n° 10-82.938). Mais nombreux étaient ceux qui appelaient de leurs vœux une prise en compte de la spécificité du préjudice écologique dans la loi, afin que la jurisprudence soit consolidée et que le régime de la réparation soit encadré.

C’est donc chose faite avec la loi du 8 août 2016. L’article 1386-19 du Code civil, (1246 à partir du 1er octobre) énonce que « toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer », le préjudice écologique étant défini comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement » (C. civ., art. 1386-20 ; C. civ., art. 1247 à compter du 1er octobre).

Cette définition, qui diffère de celle qui était généralement retenue, à savoir une « atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction » (Crim. 22 mars 2016, n° 13-87.650) ou plus précisément encore une « atteinte aux éléments et/ou aux fonctions des écosystèmes, au-delà et indépendamment de leurs répercussions sur les intérêts humains » (L. Neyret et G. J. Martin [dir.], Nomenclature des préjudices environnementaux, LGDJ, 2012, p. 15), pose question.

Le profane, qu’est le signataire de ces lignes en la matière, s’étonne de la référence à une atteinte « non négligeable ». Il existe donc un seuil en deçà duquel certaines atteintes n’ont pas à être réparées, comme en matière de trouble anormal du voisinage par exemple. Mais le seuil du « non négligeable » est si faible qu’il semble perdre son intérêt.

Il ne faut voir, peut-être, dans l’introduction du critère du « non négligeable », qu’une réaction de l’Assemblée nationale à la formulation initiale du Sénat qui ne proposait de réparer que les « atteintes graves et durables » à l’environnement. La définition du préjudice écologique de l’Assemblée nationale, finalement adoptée, est donc beaucoup plus large, mais elle est si large qu’elle interroge sur l’utilité du seuil du « non négligeable ». La mesure de la réparation se faisant sur la base du préjudice, une atteinte négligeable aurait entraîné une réparation… négligeable. Du négligeable, le législateur n’a donc cure. Dont acte.

Par ailleurs, la loi donne une liste, semble-t-il non limitative, mais tout de même assez complète, des personnes qui pourront solliciter la réparation du préjudice écologique : «  l'État, l'Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations, agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement » (C. civ., art. 1386-21 ; C. civ., art. 1248 à compter du 1er octobre).

En outre, elle précise qui recevra les dommages et intérêts lorsque la réparation en nature ne sera pas possible, et ce qu’il devra en faire : « En cas d'impossibilité de droit ou de fait ou d'insuffisance des mesures de réparation, le juge condamne le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l'environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l'État » (C. civ., art. 1386-22 ; C. civ., art. 1249 à compter du 1er octobre)

Enfin, la loi prévoit un délai de prescription dérogatoire, fixé à 10 ans (C. civ., art. 2226-1).

La prochaine étape sera sans doute la création d’un fonds d’indemnisation qui permettrait, notamment, la réparation des préjudices écologiques lorsque l’auteur est inconnu, ou insolvable.

La cause de l’environnement progresse. Il était temps.

Références

Crim. 25 sept. 2012, n° 10-82.938 P, AJDA 2013. 667, étude C. Huglo ; D. 2012. 2711, et les obs., note P. Delebecque ; ibid. 2557, obs. F. G. Trébulle ; ibid. 2673, point de vue L. Neyret ; ibid. 2675, chron. V. Ravit et O. Sutterlin ; ibid. 2917, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2012. 574, note A. Montas et G. Roussel ; AJCT 2012. 620, obs. M. Moliner-Dubost ; Rev. sociétés 2013. 110, note J.-H. Robert ; RSC 2013. 363, obs. J.-H. Robert ; ibid. 447, chron. M. Massé ; RTD civ. 2013. 119, obs. P. Jourdain.

Crim. 22 mars 2016, n° 13-87.650 P, AJDA 2016. 638 ; D. 2016. 1236, note A.-S. Epstein ; ibid. 1597, chron. B. Laurent, L. Ascensi, E. Pichon et G. Guého ; AJ pénal 2016. 320, note J.-B. Perrier ; RSC 2016. 287, obs. J.-H. Robert.

 

Auteur :Mathias Latina


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