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Le billet

[ 24 février 2015 ] Imprimer

Le lobbying et la loi

Le lobbying (de lobby, couloir) a toujours existé, spécialement dans les pays anglo-saxons. En revanche il paraissait tout à fait contraire à la conception française traditionnelle de la loi qui est présentée comme l’expression de l’intérêt général. Or, par définition même, un lobby – on dira plus volontiers aujourd’hui un groupe d’intérêt ou un groupe de pression – défend les intérêts particuliers des membres d’un groupe. Mais tout groupe d’intérêt suscite souvent son contraire : aux syndicats patronaux s’opposent les syndicats ouvriers ; aux fabricants et fournisseurs s’opposent les associations de consommateurs ; aux industriels réputés pollueurs s’opposent les défenseurs de l’environnement, etc. Chacun choisit son camp et tente de convaincre le pouvoir politique de prendre des dispositions dans tel ou tel sens.

Mais tel n’est pas toujours le cas. Il arrive que certains lobbys n’aient pas d’adversaires potentiels si bien qu’ils ne suscitent pas l’apparition d’un lobby opposé. En pareille circonstance le lobby mènera un combat essentiellement médiatique afin de rallier d’une part l’opinion publique, d’autre part l’intérêt des parlementaires. On en citera un exemple récent en guise d’illustration.

Il s’agit de l’introduction de l’animal dans le Code civil par la loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. À vrai dire, les animaux – ou certains d’entre eux – y figuraient déjà (depuis 1804 ainsi qu’en témoigne la langue utilisée), mais de manière très indirecte, dans le droit des biens, à propos de la distinction des meubles et des immeubles. Ainsi l’article 528 disposait que « Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu dans un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne peuvent changer de place que par l’effet d’une force étrangère ». Et, de même, l’article 524 classait dans la catégorie des immeubles par destination « les animaux et objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds » ; il visait à titre d’exemple « les animaux attachés à la culture », « les pigeons des colombiers », « les lapins des garennes », « les ruches à miel » et les poissons des étangs.

Cela dit, depuis 1804, le législateur n’avait pas oublié de traiter directement des animaux, mais dans le Code rural et de la pêche où ils semblaient avoir leur place naturelle. Un chapitre consacré « à la protection des animaux » s’ouvre par un article L. 214-1 ainsi rédigé : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».

Mais cette reconnaissance a toujours paru insuffisante aux partisans du lobby animal qui, depuis plus d’une vingtaine d’années, militaient pour que l’animal figure, au moins symboliquement, dans le Code civil. Et c’est ainsi que la loi du 16 février 2015 a introduit dans le Code civil un article 515-14 proclamant solennellement que : « [l]es animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité », étant toutefois immédiatement ajouté que « [s]ous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». En bref, au-delà de la proclamation de principe, le statut des animaux n’a pas changé d’un iota !

Qui était derrière cette symbolique avancée du droit ? Le lendemain même du vote de la loi, Le Figaro publiait un placard d’un bon quart de page dans lequel la Fondation 30 Millions d’Amis se réjouissait « de cette avancée décisive » et remerciait en ces termes tous ceux qui l’avaient aidée « Aux 24 intellectuels qui ont soutenu notre manifeste, aux 770 000 signataires de la pétition et aux élus qui ont défendu cette réforme, nous adressons un grand merci ! ».

On s’explique dès lors aisément le vote d’une telle disposition : quel parlementaire soucieux de sa réélection risquerait de se mettre à dos 30 Millions d’Amis, 24 intellectuels de renom qui ont publié un manifeste dans Le Figaro et 770 000 pétitionnaires qui sont autant d’électeurs ?

Et après tout, qui va souffrir de l’article 515-14 puisqu’il sera sans portée pratique ? Personne ? Les seules victimes sont le Code civil, mais il a vu bien pire, et le principe suivant lequel une disposition sans valeur normative ne saurait être une loi.

Enfin, sur le fond, on exprimera un doute. Tous les animaux sont-ils des êtres vivants doués de sensibilité ? Il est permis d’en douter. Certes, c’est le cas des animaux supérieurs qui, en fait, sont les seuls qui étaient implicitement visés par les promoteurs du texte, mais c’est là une catégorie extrêmement limitée. Qu’en est-il en revanche des myriades d’insectes (araignées, scorpions, acariens, puces et poux, fourmis, etc.), des poissons, des coquillages et mollusques (escargots, limaces, moules, huîtres, poulpes, etc.), des vers, des éponges, coraux, méduses, etc., des reptiles, serpents, crocodiles, etc. Sont-ils doués de sensibilité ? Ils n’en sont pas moins considérés comme tels par le nouvel article 515-14, probablement à tort.

Pour conclure, et changeant radicalement de registre, on ne fera qu’évoquer un second exemple, celui des notaires qui ont mené un lobby d’une efficacité redoutable pour échapper à certaines dispositions de la loi Macron, dispositions qui, il est vrai, n’avaient probablement pas fait l’objet d’une étude d’impact suffisamment sérieuse, ce qui a conduit le ministre à reconnaître s’être trompé. C’est là un autre sujet : les études d’impact sont-elles menées avec toute la compétence nécessaire ?

 

Références

■ Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieuresJO 17 févr.

■ Code civil

Ancien article 528

« Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère. »

Article 528 (modifié par la loi n°2015-177 du 16 février 2015 - art. 2)

« Sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre. »

Ancien article 524

« Les animaux et les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds sont immeubles par destination.

Ainsi, sont immeubles par destination, quand ils ont été placés par le propriétaire pour le service et l'exploitation du fonds :

Les animaux attachés à la culture ;

Les ustensiles aratoires ;

Les semences données aux fermiers ou métayers ;

Les pigeons des colombiers ;

Les lapins des garennes ;

Les ruches à miel ;

Les poissons des eaux non visées à l'article 402 du code rural et des plans d'eau visés aux articles 432 et 433 du même code ;

Les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes ;

Les ustensiles nécessaires à l'exploitation des forges, papeteries et autres usines ;

Les pailles et engrais.

Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure. »

Article 524 (modifié par la loi n°2015-177 du 16 février 2015 - art. 2)

« Les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds sont immeubles par destination.

Les animaux que le propriétaire d'un fonds y a placés aux mêmes fins sont soumis au régime des immeubles par destination.

Ainsi, sont immeubles par destination, quand ils ont été placés par le propriétaire pour le service et l'exploitation du fonds :

Les ustensiles aratoires ;

Les semences données aux fermiers ou métayers ;

Les ruches à miel ;

Les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes ;

Les ustensiles nécessaires à l'exploitation des forges, papeteries et autres usines ;

Les pailles et engrais.

Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure. »

Article 515-14 (créé par la loi n°2015-177 du 16 février 2015 - art. 2)

« Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. »

■ Article L. 214-1 du Code rural et de la pêche

« Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »

 

 

Auteur :Bernard de Bourbon


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