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[ 17 octobre 2016 ] Imprimer

Le « recrutement » en master

L’aversion profonde de Madame Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, envers la sélection à l’Université est connue.

Pour notre ministre, la sélection « s’oppose non seulement à la démocratisation et au nécessaire renouvellement des élites, mais elle s’oppose aussi frontalement (...) au progrès » car « elle masque, elle abandonne, elle laisse des millions de jeunes en dehors de l’enseignement supérieur (...). Je n’ignore pas les difficultés de l’enseignement supérieur. Mais je ne crois pas que nous les surmonterons en revenant à d’anciennes lubies, et les vieilles lunes ne m’intéressent pas » (Assemblée nationale, 17 févr. 2016).

Dont acte. On rappellera pourtant que cette diatribe anti-sélection n’était destinée qu’à l’Université, et certainement pas aux écoles d’ingénieurs, aux écoles de commerce, ou encore aux instituts d’études politiques…

L’auteur de ces lignes s’en voudrait pourtant s’il laissait entendre que la sélection doit être l’alpha et l’omega de toute politique universitaire. Il est bon que des étudiants qui n’avaient pas l’envie, la maturité ou la motivation de produire un travail acharné au lycée puissent accéder aux études supérieures. Nombreux sont ceux qui révèleront tout leur potentiel à l’Université et feront des études brillantes. C’est l’honneur de l’Université que de donner leur chance à des étudiants dont une classe préparatoire aux grandes écoles n’aurait pas voulu sur la base des résultats scolaires obtenus de 15 à 18 ans…

Encore faut-il que le lycéen en question ait une chance de réussir à l’Université. Or, une série de lâchetés politiques à amener à autoriser l’inscription à l’Université de bacheliers qui n’ont pas reçu les prérequis nécessaires à cette réussite. La création de filières dites technologiques ou professionnelles, à côté des filières générales, est une idée excellente, censée permettre l’épanouissement d’élèves pour qui les filières générales sont inadaptées. Que l’école s’adapte au profil des élèves est nécessaire. Après tout, les voies de la réussite personnelle sont diverses et il n’existe aucune voie royale.

Il fallait toutefois tirer les conséquences de la réalité de la formation reçue par ces élèves. Au lieu de cela, un système hypocrite, basé sur de l’orientation dite « active » a été mis en place. Tout le monde sait, statistiques à l’appui, que la probabilité de réussite de certains bacheliers à l’Université est faible, parfois quasi nulle. Mais, plutôt que de leur réserver des places dans des formations du supérieur adaptées à leur profil, ceux qui nous gouvernent, orientés par certains syndicats étudiants, ont laissé la porte de l’Université grande ouverte.

L’hypocrisie est double.

Elle consiste, d’abord, à « orienter » les lycéens en les décourageant de s’inscrire à l’Université, ce qui n’est guère valorisant. Étrange politique qui insiste sur l’inadéquation du profil du bachelier avec l’Université pour terminer par lui dire : « mais vous faites comme vous voulez ! ».

Elle consiste, ensuite, à pointer du doigt la faiblesse du taux de réussite en première année à l’Université. Évidemment, si le taux de réussite est mauvais, c’est uniquement la faute des enseignants-chercheurs, monstrueusement élitistes et peu pédagogues. Par un choc en retour, le prestige des Écoles, qui sélectionnent, ne fait que croître !

Mais l’hypocrisie vient de gagner la sélection en master. Que la sélection ne soit plus faite entre les deux années de master a quelque chose de cohérent. Le vieux logiciel Maîtrise/DEA ou DESS va, enfin, être remplacé par le système LMD qui est censé avoir été adopté depuis de nombreuses années. Il faudra donc repenser les masters et les concevoir comme des formations en deux ans.

Mais, en vérité, si l’on en croit Madame la Ministre, il n’y a aucun renoncement de sa part. Les Universités ne vont pas sélectionner en première année de master, mais « recruter » sur concours ou dossier. Que ceci soit dit sans ironie laisse rêveur…

Le diable est évidemment dans les détails, car un nouveau « droit à » sera créé, le « droit à la poursuite des études en master ». Tous les étudiants recalés dans les masters qu’ils avaient choisis se verront proposer « l'inscription dans une formation du deuxième cycle (…) tenant compte de leur projet professionnel et de l'établissement dans lequel ils ont obtenu leur licence » (Proposition de loi portant adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat, art. 1er).

Comment le ou les masters proposés seront-ils choisis ? Y aura-t-il un tirage au sort ? Quid si les masters désignés ont atteint leur capacité d’accueil maximum ? Faudra-t-il toujours conserver un pourcentage de places disponibles pour les intégrations sans sélection ? Faudra-t-il créer des masters non sélectifs, à côté des masters sélectifs, pour rendre ce « droit à » effectif ?

Et quid du droit et de la psychologie ?

Pour ces deux filières, la sélection à l’entrée du master est difficile.

D’abord, parce qu’il y a actuellement des effectifs très importants en première année de master, et des places disponibles assez faibles en master 2. Le déplacement de la sélection à l’entrée en M1 pourrait ainsi amener à une diminution drastique des places en première année, encore qu’on voit mal comment les Universités pourraient justifier ne pas être en mesure d’accueillir le même nombre d’étudiants qu’auparavant, ou à une augmentation considérable des effectifs en M2, ce qui nuirait à la qualité des enseignements.

Ensuite, parce que nombre d’examens professionnels ou de concours ne sont accessibles qu’à Bac + 4. Fermer la porte du M1 à certains étudiants en droit, c’est donc leur interdire de se présenter à ces examens ou à ces concours.

La proposition de loi portant adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat, dont l’examen a commencé devant le Sénat, prévoit ainsi qu’ un « décret pris après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche peut fixer la liste des formations du deuxième cycle conduisant au diplôme national de master pour lesquelles l'accès à la première année est ouvert à tout titulaire d'un diplôme du premier cycle et pour lesquelles l'admission à poursuivre cette formation en deuxième année peut dépendre des capacités d'accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l'examen du dossier du candidat. »

Il semble donc bien, qu’en droit, les facultés continueront à faire comme avant.

Mais jusqu’à quand ?

 

Auteur :Mathias Latina


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