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[ 26 novembre 2013 ] Imprimer

Le scientifique tient-il le civil en l’état ?

Une jeune fille à laquelle l’avenir souriait, naguère, se trouve aujourd’hui dans une situation épouvantable. Après avoir été vaccinée contre le cancer du col de l’utérus, elle a contracté une sclérose en plaques. La jeune victime, ainsi que quelques autres jeunes filles ayant subi des troubles neurologiques après qu’on leur ait administré le même vaccin, demande l’indemnisation de son préjudice au laboratoire pharmaceutique, qui a commercialisé le vaccin, et l’Agence nationale de sécurité du médicament qui a autorisé la mise sur le marché.

Si tant est, comme c’est probable, que les protagonistes ne tombent pas d’accord sur le principe d’une indemnisation, voire sur son quantum, les juges seront confrontés à un dilemme que la Cour de cassation, dans les mêmes circonstances, n’a toujours pas définitivement tranché.

Au fond, et quitte à simplifier, la question revient à décider s’il convient de faire du prêt à porter scientifique ou du sur-mesure juridique…

Soit, en effet, en cas de doute scientifique sur pour la dangerosité d’un produit et sa propension à provoquer une maladie particulière, on se fonde sur des considérations générales, tenant au rapport bénéfices/risques de la vaccination. Dans cette mesure, si le bénéfice inhérent à la vaccination contre le cancer de l’utérus est supérieur au risque de sclérose en plaques, le caractère défectueux du produit litigieux sera donc exclu et toute responsabilité du laboratoire du fait de son produit, itou. De même, cette incertitude scientifique exclut le lien de causalité entre le fait du produit et le préjudice. Autrement dit, le scientifique tient le civil en l’état.

Soit, au contraire, quant à la défectuosité du produit, le juge doit se prononcer en fonction du cas précis qui lui est soumis et rechercher si dans le cas spécifique de la victime, le produit peut être considéré comme défectueux. Il devra alors se déterminer en fonction d’éléments factuels, tels le délai entre la vaccination et l’apparition de la maladie, l’état antérieur de la victime, ses antécédents familiaux, etc. Et s’il considère que ces présomptions sont suffisamment graves, précises et concordantes, il pourra conclure à la défectuosité du produit. Présomptions qui pourront aussi le conduire à décider que le lien de causalité est établi parce que probable, à défaut d’être certain. Alors, le civil passe le scientifique…

En somme, dans ce genre d’affaires, le juge est soumis à un choix quasi cornélien. Soit, il privilégie les impératifs de santé publique et il assume le risque de sacrifier les intérêts de quelques poignées de victimes sur l’autel de la prévention qui bénéficie à des milliers et des milliers de patients, avec la bénédiction des grands groupes pharmaceutiques. Soit, il répugne à laisser sur le bord du chemin une victime, laquelle a beau être isolée, n’en demeure pas moins… victime très probablement, mais pas certainement, du produit litigieux.

Faut-il privilégier une économie de l’indemnisation, en faisant prévaloir l’intérêt général, ou une éthique de la réparation en refusant d’abandonner une seule victime à son horrible sort ? Telle est la question, même si elle est tendancieusement posée… Mais, je défie quiconque d’être complètement objectif à propos d’une question aussi politiquement fondamentale…

 

Auteur :Denis Mazeaud


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