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Le billet

[ 29 septembre 2015 ] Imprimer

Le travail en milieu pénitentiaire devant le Conseil constitutionnel : circulez il n’y a rien à voir !

Le Conseil Constitutionnel poursuit méthodiquement sa construction d’un «non-droit » constitutionnel du travail des personnes détenues. Après avoir considéré en 2013 (décision n° 2013-320/321 QPC) que le fait que les détenus ne soient pas embauchés sur la base d’un contrat de travail, il a cette fois considéré que la délimitation des droits sociaux des détenus par un « acte d’engagement » relevant de la seule compétence du chef d’établissement, constituait une garantie suffisante et que le législateur n’avait pas besoin d’aller plus loin dans la définition de ces droits (décision n° 2015-485 QPC).

Une décision fondée sur la domination du régime de la détention sur le droit au travail dans les établissements pénitentiaires

Cette décision traduit d’abord l’idée que dans les établissements pénitentiaires, le droit au travail n’est pas, malgré les affirmations générales du Code de procédure pénale (art. 717-3) d’une même valeur que les exigences d’ordre public « inhérentes à la détention ». Autrement dit, en premier vient la peine et son exécution, en second vient l’activité professionnelle et les garanties susceptibles de lui-être attachées. En posant cela le Conseil constitutionnel s’inscrit clairement dans la lignée des conceptions dominantes de la fonction de la peine en France : il faut que la punition domine, que le détenu ressente sa condition, tandis que les perspectives de réinsertion par la formation ou le travail ne constituent qu’un accessoire qui doit rester strictement encadré par l’autorité pénitentiaire. On ne peut que regretter cette manière de voir, qui va à l’encontre aussi bien des recommandations du contrôleur général des prisons que de l’évolution de nombreux systèmes pénitentiaires de par le monde.

Un « arrêt Dehaene » transposé dans le secteur pénitentiaire

La principale critique contenue dans la QPC concernait le fait que l’article 22 de loi pénitentiaire de 2009 ne contenait aucune définition des droits sociaux des personnes détenues et renvoyait aux autorités pénitentiaires le soin de les mettre en œuvre : « L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ». Le Conseil constitutionnel, dans la droite ligne de l’arrêt Dehaene du Conseil d’État de 1950, admet cette logique en considérant implicitement que pour ces catégories de personnes, le fait que le législateur ne procède pas à une réglementation des droits sociaux mais renvoie aux autorités administratives le soin de le faire est conforme aux exigences de la répartition des compétences entre la loi et le règlement contenues à l’article 34 de la Constitution et ne porte pas atteinte à ces droits puisque l’autorité pénitentiaire devra les appliquer dans le cadre de « l’acte d’engagement » qu’elle prendra pour chaque détenu.

Voilà donc l’application des droits sociaux du détenu entièrement soumise à la décision administrative individuelle du chef d’établissement. Sans doute le Conseil constitutionnel rappelle-t-il que ces décisions sont contrôlées par le juge administratif. Mais comment peut-on sérieusement parler de contrôle alors qu’il n’existe aucune norme de référence (même réglementaire) qui détermine la consistance de ces droits ? Comment contrôler la décision du chef d’établissement acceptant ou refusant qu’un détenu travaille ? Comment contrôler le niveau de rémunération prévu ? Comment déterminer si le droit de retrait, le droit syndical, le contrôle du respect des conditions de travail sont convenablement appliqués alors qu’ils ne sont pas définis et organisés? Autant dire que cette décision maintiendra le régime du travail en prison tel qu’il est actuellement et que les dérives constatées et dénoncées pourront continuer de se produire avant comme après la décision. 

Deux poids et deux mesures

On pourrait être tenté de nous rétorquer qu’en réalité le problème n’est pas constitutionnel mais simplement législatif, voire réglementaire, que le Conseil constitutionnel ne cautionne pas les pratiques actuelles mais renvoie les pouvoirs publics à leurs responsabilités et à leurs décisions.

On pourrait juger une telle critique recevable si la décision ne donnait pas le sentiment qu’il existe dans la jurisprudence constitutionnelle deux poids et deux mesures en ce qui concerne l’étendue de l’obligation de protection des droits par le législateur.

Prenons au hasard une décision du Conseil constitutionnel rendue dans le même contexte de QPC statuant sur un moyen d’incompétence négative du législateur. Par exemple la décision n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010 sur la cession gratuite de terrains au profit de collectivités publiques.

Que nous dit ici le Conseil constitutionnel ? 

« 4. Considérant que le e du 2° de l'article L. 332-6-1 du Code de l'urbanisme permet aux communes d'imposer aux constructeurs, par une prescription incluse dans l'autorisation d'occupation du sol, la cession gratuite d'une partie de leur terrain ; qu'il attribue à la collectivité publique le plus large pouvoir d'appréciation sur l'application de cette disposition et ne définit pas les usages publics auxquels doivent être affectés les terrains ainsi cédés ; qu'aucune autre disposition législative n'institue les garanties permettant qu'il ne soit pas porté atteinte à l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ». 

Voilà donc une loi trop générale qui n’institue pas par elle-même les garanties permettant de protéger le droit de propriété contre les décisions des autorités administratives (notons au passage que ces garanties existaient dans la partie réglementaire du Code de l’urbanisme) et donc elle est entachée d’incompétence négative, et cela alors même que le juge administratif contrôle, ici aussi, ces décisions.

Ainsi, si vous êtes propriétaire, le Conseil constitutionnel s’assurera que la protection constitutionnelle de votre droit de propriété sera complètement et précisément définie par le législateur. En revanche, si vous êtes une personne détenue, vos droits sociaux pourront être simplement réaffirmés dans une loi, tout en laissant aux chefs d’établissements pénitentiaires l’entier pouvoir, sans même de dispositions réglementaires à respecter, pour les mettre en œuvre.

Oui assurément, on est bien ici en présence de deux poids et deux mesures et cette comparaison n’a guère besoin de commentaire pour comprendre que le droit des détenus est un de minimis qui n’a pas grand-chose à attendre ou à espérer de la jurisprudence constitutionnelle…

Références

■ Constitution du 4 octobre 1958

Article 34

La loi fixe les règles concernant : 

- les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ; 

- la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ; 

- la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ; 
- l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d'émission de la monnaie. 

La loi fixe également les règles concernant : 

- le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; 

- la création de catégories d'établissements publics ; 

- les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'État ; 

- les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé. 

La loi détermine les principes fondamentaux : 

- de l'organisation générale de la défense nationale ; 

- de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; 

- de l'enseignement ; 

- de la préservation de l'environnement ; 

- du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; 

- du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. 

Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. 

Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. 

Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État. 

Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques.

Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique.

■ Cons. const. 25 sept. 2015M. Johny M., n° 2015-485 QPC. 

■ Cons. const. 14 juin 2013, M. Yacine T. et a. , n° 2013-320/321 QPC.

■ CE 7 juill. 1950, Dehaene, n° 01645, Lebon 426. 

■ Cons. const. 22 sept. 2010, n° 2010-33 QPC.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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