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[ 21 novembre 2012 ] Imprimer

Le Vélib' : symptôme de la maladie chronique des contrats publics

La Chambre régionale des comptes d'Île-de-France vient de publier un rapport d'observations sur la gestion du Vélib’ par la Ville de Paris de son cocontractant qui constitue une critique sévère du fonctionnement du contrat passé en 2007. Mais plus fondamentalement, ce rapport est le symptôme d'une des faiblesses endémiques des contrats administratifs confiant l’exécution d'une prestation de service à une personne privée : l'incapacité structurelle des personnes publiques à assurer le contrôle de la bonne exécution du contrat. Plus largement même on peut se demander si la gestion de ce contrat ne démontre pas la manière dont les collectivités publiques sont « capturées » par leurs partenaires privés grâce à des situations d'asymétrie des informations bien connues des économistes.

Pour comprendre les enjeux de cette question, il faut tout d'abord revenir au contexte juridico-économique dans lequel est né le Vélib’ : la Ville devait en 2006 relancer son grand marché de mobilier urbain et elle a eu l'idée d'y associer cette prestation nouvelle que constituait à l'époque la fourniture de vélos en libre-service. Le contrat fut remporté par Jean-Claude Decaux qui mit des moyens très importants car aussi bien l'affichage que le service de vélos à Paris constituaient pour cette société leader sur le mobilier urbain un enjeu tant en termes économiques que sur le plan de sa communication : Paris joue à cet égard un rôle de « vitrine » évident.

Compte tenu de la forte concurrence d'un autre groupement, et de ces enjeux, la Ville de Paris obtint de la part de Jean Claude Decaux des conditions très favorables qui sont d'ailleurs relevées par la Chambre régionale des comptes : système de pénalités très dur pour le cocontractant, indicateurs de qualité très sévères, coût de fonctionnement extrêmement modique « adossé » sur le mobilier urbain. La Ville de Paris se félicitait à l'époque de ce grand succès contractuel.

Comme il paraît loin, aujourd’hui, ce début en fanfare.

Quatre années après que constate-t-on ?

– les indices de qualité ne sont atteints qu'au prix de contorsions ou de pieux mensonges : le rapport de la Chambre multiplie à cet égard les exemples symptomatiques de ces errements ;

– les pénalités résultant du non-respect par le cocontractant de ses obligations ont été purement et simplement abandonnées par la Ville de Paris, d'abord dans un cadre transactionnel, puis en omettant d'en demander le paiement ;

– le coût du service a été considérablement revu à la hausse tandis que le taux de satisfaction des usagers, notamment sur la disponibilité des vélos a connu des baisses importantes.

Mais surtout, d'un point de vue juridique, le rapport de la Chambre régionale des comptes met en évidence une dérive tendancielle de la gestion du contrat qui montre un opérateur qui reprend progressivement la main, accroît ses exigences financières, obtient des renégociations et des avenants qui améliorent sa situation financière, obtient l'abandon des pénalités qu'il doit, obtient de récupérer une partie des recettes du service, obtient une indemnité plus importante de la Ville de Paris pour les vélos vandalisés ou volés.

Et corrélativement la Chambre montre que le cocontractant collecte ses recettes de manière irrégulières sur la base d'une convention de mandat illégale, sans qu'aucune régie de recette n'ait été mise en place au point même que la Ville de Paris ne sait pas quel est le montant des recettes encaissées par son prestataire !

Malheureusement, l'ensemble des phénomènes que décrit ainsi la Cour ne sont pas l'apanage de la gestion du contrat Vélib’. Ils sont même un trait commun de la majorité des contrats administratifs qui confie à une personne privée le soin de gérer une prestation globale sur une durée moyenne ou longue.

C'est, qu'en effet, il existe entre l’administration et l'entreprise une asymétrie dans la gestion du contrat qui est non pas une asymétrie d'informations mais une asymétrie chronologique.

Pour l'administration, le temps essentiel du contrat, c'est celui de sa passation. C'est là qu'elle voit déployer le plus de ressources : pour connaître ses besoins, pour mettre en compétition des entreprises pour communiquer sur son projet, lorsque, comme dans le cas du Vélib’, il s'agit d'un projet valorisant.

Et dans ce temps de la passation, l'entreprise va faire entendre à l'administration ce qu'elle veut entendre : oui le service sera mené à bonne fin, oui il le sera à un coût maîtrisé.

Mais après la signature du contrat vient le temps de l'entreprise, c’est-à-dire celui de la gestion du contrat : c'est le moment où l'entreprise va tenter de maximiser ses profits en jouant sur l'équation initiale : service inférieur à celui annoncé, moindre investissement des personnels, réclamations auprès de l'administration pour obtenir des conditions financières améliorées. Ce ne sont pas même là des critiques mais simplement le mode de fonctionnement normal d'une institution qui cherche à améliorer la marge de son activité.

Or face à ce temps de l'entreprise, l'administration est généralement absente : elle réduit le nombre d'agents dévolus à la gestion du contrat, elle accepte la dégradation du cadre financier de l'exécution relativement facilement, elle consent à l'abandon des objectifs initiaux pourvu que soit assurée une exigence et une seule : la continuité du service.

Face à ces constats rapidement esquissés, on est amené à tirer au moins trois conclusions.

D'abord, ces tendances structurelles sont le meilleur plaidoyer contre les contrats de partenariats : par leur durée et par le caractère très large de la mission qu'ils confèrent à l’entreprise investie ils sont plus que toute autre forme de contractualisation publique soumis à ces dérives dans l'exécution.

Ensuite, les carences graves de l'administration dans l'exécution des prestations contractuelles devraient inciter les juristes publicistes à réfléchir le contrat administratif autrement qu'en terme de passation et de validité, comme ils le font depuis 25 ans : qu'importe la publicité et la mise en concurrence, qu'importent les critères de classement des offres et leur notation, si, dans la vie du contrat les quelques fractions de pourcentages gagnés dans la négociation sont reperdues et bien davantage encore, en pénalités non collectées, en avenants de révision des prix. Il faut donc aujourd’hui placer au cœur de la réflexion contractuelle les moyens d'obliger l'administration à assurer un contrôle effectif de l'exécution de ses contrats, par exemple en permettant aux chambres régionales des comptes de saisir directement les juridictions administratives, des errements constatés, soit en créant un juge de l'exécution du contrat administratif transposant au cadre contractuel la vielle jurisprudence Croix-de-Seguey Tivoli qui impose à l'administration d'assurer ses obligations d'exécution du service.

Enfin, si l'administration est en définitive structurellement démunie pour assurer le contrôle de l'exécution des prestations contractuelles qu'elle a sollicitées, elle pourrait parfaitement passer des marchés ayant pour objet le contrôle de l'exécution de ses contrats. En confiant à des entreprises le soin d'assurer ces contrôles, et en fondant leur rémunération sur le produit de ces contrôles, elle disposerait sûrement de contrôleurs plus vétilleux et plus performants que lorsqu'elle les assure elle-même.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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