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[ 3 décembre 2013 ] Imprimer

Le vote blanc ou la cuisine électoraliste

Parmi les arlésiennes législatives, la prise en compte du vote blanc figure en bonne place. Il y a en effet beau temps que flotte dans l’air la comptabilisation séparée des votes blancs.

Le vote blanc est celui qui s’exprime par un bulletin blanc, c'est-à-dire un bulletin qui ne comporte pas le nom d’un candidat et, plus largement, qui ne comporte aucune inscription. Actuellement, la loi ne donne pas de définition du vote blanc. Toute définition est inutile puisque le vote blanc n’est, de toute façon, pas distingué du vote nul.

Pourtant, la distinction est importante. Celui qui vote blanc désire signifier qu’aucune des propositions politiques qui lui est faite ne lui convient. En tant que citoyen, il se déplace pour exprimer son refus de choisir entre les candidats. Le vote nul est, au contraire, celui qui est irrégulier, notamment parce qu’il ne respecte pas les formes prévues par les textes.

Au vrai, la différence entre le vote blanc et le vote nul n’est plus très bien perçue par la population. Il n’est en effet pas exceptionnel de retrouver dans les urnes des enveloppes contenant plusieurs bulletins, des bulletins déchirés, ou des bulletins comprenant des inscriptions additionnelles. Ces pratiques, lorsqu’elles ne relèvent pas de la blague de potache, sont souvent révélatrices de l’insatisfaction des citoyens face à l’offre politique. La motivation du vote nul confine ainsi parfois à celle du vote blanc.

La distinction vote blanc et vote nul va, peut-être, retrouvée de sa vigueur. Une proposition de loi, déposée par l’UDI, a été votée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le jeudi 28 novembre. Elle prévoit de donner une place particulière aux votes blancs, qui seront comptabilisés indépendamment des votes nuls.

Toutefois, les votes blancs ne seront pas classés parmi les « suffrages exprimés », au grand dam des associations qui militent en faveur de la reconnaissance du vote blanc. Cela mérite une explication.

Prenons l’exemple d’une élection opposant deux candidats Primus et Secundus. Le corps électoral se compose de dix électeurs : quatre se prononcent pour Primus, trois pour Secundus, deux votent blanc et un vote est considéré comme nul.

Si les votes blancs ne sont pas comptabilisés parmi les suffrages exprimés, Primus obtient quatre voix sur sept, soit 57, 14 % des voix.

Si les votes blancs sont comptabilisés parmi les suffrages exprimés, Primus obtient quatre voix sur neuf, soit 44, 44 % des voix.

Deux raisons expliquent ainsi que nos parlementaires n’aient pas souhaité que le vote blanc soit considéré comme un suffrage exprimé. La première est que la comptabilisation des votes blancs dans les suffrages exprimés aboutit mécaniquement à réduire la légitimité de celui qui est élu. Notre personnel politique n’a sans doute pas besoin de cela en ce moment. Il n’est en effet pas certain que fragiliser la légitimité des élus améliore la qualité des décisions prises et, surtout, pousse à la mise en œuvre des politiques courageuses dont notre pays a plus que jamais besoin.

La seconde raison est que la comptabilisation des votes blancs parmi les suffrages exprimés entraînerait des conséquences importantes sur nos modes de scrutin et, en particulier, sur l’élection du président de la République. L’article 7 de notre Constitution précise en effet que : « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ».

L’exemple ci-dessus démontre qu’il faudrait alors se contenter, pour éviter les blocages, d’une majorité relative au second tour de l’élection présidentielle. La prise en compte des votes blancs parmi les suffrages exprimés devrait donc s’accompagner d’une modification de la Constitution, modification susceptible d’entraîner un abaissement de la fonction présidentielle…

Reste une question qui agace les parlementaires ?

Quid de l’entrée en vigueur de la loi permettant la comptabilisation des votes blancs ? Initialement, cette loi devait entrer en vigueur pour les élections municipales. Mais la majorité a joué un tour pendable à l’opposition. Elle a modifié la définition du vote blanc en seconde lecture. Pour l’Assemblée nationale, le vote blanc est non seulement celui qui est exprimé par un bulletin blanc, mais également par une enveloppe vide… De fait, le texte de loi n’ayant pas été adopté dans les mêmes termes que le Sénat, il faudra une seconde lecture devant les sénateurs, voire la réunion d’une commission mixte paritaire. Le gouvernement a ainsi beau jeu de prétendre que, pour des « raisons techniques » (établissement des procès-verbaux, mise à jour des logiciels…), les élections municipales ne pourront être concernées par la nouvelle loi.

L’opposition crie ainsi au scandale.

Mais pourquoi diable l’opposition, qui avait tout le loisir de faire adopter cette loi lorsqu’elle était au pouvoir, et qui avait presque failli le faire en 2003, est-elle si empressée, aujourd’hui, de faire reconnaître les droits des citoyens ne se retrouvant pas dans l’offre politique proposée ?

Peut-être est-ce parce que l’opposition escomptait qu’une partie du vote protestataire, qui se cristallise en général sur les extrêmes, et sur le Front national en particulier, se reporte sur le vote blanc. Ce report aurait ainsi évité aux candidats de l’UMP ou de l’UDI des triangulaires avec le PS et le FN, triangulaires dont on sait qu’elles sont le plus souvent fatales au candidat de la droite traditionnelle…

À l’inverse, c’est sans doute pour cette raison, que la majorité a subitement estimé qu’une absence de bulletin dans l’enveloppe traduisait également l’intention du citoyen de voter blanc…

Cuisine électoraliste ?

 

Auteur :Mathias Latina


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