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Le billet

[ 19 octobre 2015 ] Imprimer

Les doctorants en droit ne sont pas des chercheurs !

Pour nos lecteurs en cours de rédaction de thèse, cette affirmation ne manquera pas de surprendre. Ils pensent pourtant, et c’est même en général leur ambition la plus haute,  faire œuvre de recherche juridique, mais c’est pourtant, en substance,  ce qu’a décidé la cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt du 27 novembre 2014 (n° 12PA05144)  qui est passé relativement inaperçu.

Il s’agissait dans l’affaire qui était soumise à la cour administrative d’appel d’une application du dispositif bien connu des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) qui permettent à des doctorants de réaliser leur thèse pour partie en entreprise (et pour les juristes le plus souvent en cabinet d’avocats), notamment dans les domaines où la rencontre de la théorie et de la pratique juridique peut se révéler fructueuse.

Le dispositif des conventions CIFRE permet aux entreprises qui accueillent des chercheurs en cours de thèse d’obtenir une subvention liée aux coûts de structure et des charges d’accueil du doctorant. Elle permet également aux entreprises de bénéficier du crédit impôt recherche (CIR), pour celles des dépenses qui ne sont pas couvertes par la subvention.

En droit, les conventions CIFRE, sans être très fréquentes, font partie des possibilités de financement de thèse et les universités comme le ministère de l’enseignement supérieur les mettent fréquemment en avant pour montrer que la recherche juridique peut aussi être une recherche appliquée.

Or voilà qu’un cabinet d’avocats qui avait recruté un doctorant en convention CIFRE, a demandé à bénéficier du CIR. Dans un premier temps l’administration le lui octroie puis elle revient sur sa décision et lui réclame au contraire le paiement du complément d’impôt sur les sociétés pour les trois années de durée de la convention.

Le cabinet, qui est passablement surpris dans la mesure où l’éligibilité au CIR des conventions CIFRE est une des aides qui sont constamment mises en avant par les structures qui gèrent ce dispositif, conteste et perd devant le tribunal administratif. Il saisit donc la cour administrative d’appel qui rend l’arrêt que nous citions  et qui repose sur le motif tiré de ce que les doctorants en droit ne sont pas des chercheurs au sens que les dispositions du Code général des impôts donne de ce terme pour l’éligibilité des dépenses de recherche au CIR.

Que penser de cette solution ?

Il est exact que si l’on examine les dispositions du décret qui précise quelles sont les opérations de recherche éligibles au CIR, la recherche juridique est à la lisière de son champ d’application. Citons le (il s’agit de l’article 49 septies F de l’annexe III du CGI, selon l’inénarrable numérotation de ce code !) :

« sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique :

a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale, qui pour apporter une contribution théorique ou expérimentale à la résolution des problèmes techniques, concourent à l'analyse des propriétés, des structures, des phénomènes physiques et naturels, en vue d'organiser, au moyen de schémas explicatifs ou de théories interprétatives, les faits dégagés de cette analyse ;

b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance.

Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ».

Certes il est difficile de faire entrer la recherche juridique dans le a) du texte, mais en revanche avec une démarche un peu constructive, il était possible de le faire entrer dans la seconde branche du b) : « activités … qui visent à trouver des solutions nouvelles permettant à l’entreprise d’atteindre un objectif déterminé à l’avance ».

Si l’on examine les sujets des thèses réalisées en convention CIFRE que publient certains laboratoires de recherche, on se rend compte que la logique du dispositif est tout à fait respectée. Voici par exemple un projet de thèse de droit social consacré au « recours aux experts par les instances représentatives du personnel », et donc le projet mentionne comme objectif le fait de trouver des solutions pour endiguer l’augmentation des litiges en la matière et la multiplication des coûts en la matière. De toute évidence les propositions de bonne pratique ou d’organisation du dialogue social fondées sur l’analyse juridique de ce dispositif constituent bien une recherche, cette recherche est bien menée dans l’entreprise pour atteindre un objectif. Bref il ne faut pas faire beaucoup d’efforts interprétatifs pour considérer qu’une telle recherche entre bien dans le champ d’application du texte.

Ainsi, la décision de la cour administrative d’appel de Paris est de toute évidence fondée sur une interprétation restrictive selon laquelle la vraie recherche, c’est la recherche en sciences dures et que la recherche en sciences humaines et sociales ne mérite pas vraiment ce qualificatif ni le régime d’aides qui y est associé.

A l’heure où les laboratoires juridiques de toutes les universités multiplient les efforts pour produire des résultats scientifiques, sous forme de colloques, d’ouvrages, de recherches sur contrats, lesquels n’ont jamais été aussi nombreux, cette conception restrictive de la recherche est passablement frustrante et témoigne que même chez les juges (qui sont pourtant des juristes !) la vieille idée qu’on ne cherche pas en droit demeure fort persistante.

Ajoutons au passage que bien évidemment la perte du CIR va fortement tarir le recrutement de doctorants en conventions CIFRE à l’heure où, on le sait, les contrats doctoraux financés par universités sont eux mêmes en voie de raréfaction. Ainsi oui, c’est certain avec une telle décision, on cherchera de moins en moins dans les disciplines juridiques !

 

Auteur :Frédéric Rolin


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