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[ 8 mars 2016 ] Imprimer

Notre-Dame-des-Landes : un test pour la démocratie locale ?

Depuis l’annonce par le Président de la République de la mise en œuvre d’un « référendum local » pour déterminer l’avenir du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les juristes analysent les arcanes du droit de la démocratie locale, pour déterminer si ce projet répond aux exigences, strictes, posées par le Code général des collectivités territoriales pour permettre la réalisation de consultations de cette nature. Et la réponse à laquelle ils parviennent en général est plutôt négative, en particulier parce qu’il s’agit d’un projet relevant de la compétence de l’État alors que le referendum local ne peut concerner que des projets relevant de celles des collectivités territoriales qui l’organisent.

Mais les pouvoirs publics ont plus d’un tour dans leur sac, et un projet d’ordonnance relative à la « démocratisation du dialogue environnemental » est actuellement en cours d’élaboration qui pourrait permettre, si elle est adoptée rapidement, de donner un cadre juridique à cette consultation.

Là, toutefois, n’est pas l’essentiel. Si l’on prend un peu de recul, le projet de Notre-Dame-des-Landes, à cause, ou grâce, aux contestations vives qu’il a suscitées, permet de s’interroger sur la manière dont fonctionne notre démocratie locale, et force est de constater que les conclusions auxquelles on aboutit ne sont guère réjouissantes.

Voici en effet un projet qui a suivi absolument toutes les procédures existant dans notre droit, et qui permettent la participation du public à l’occasion d’un projet d’infrastructure : concertation, enquête publique (renforcée), commission du débat public notamment, et dont chacun des actes de mise en œuvre a fait l’objet d’une validation juridique. Et pourtant, malgré l’ensemble de ces procédures, la contestation demeure vive, voire, s’est amplifiée.

Cela témoigne donc d’un premier échec : celui de l’aptitude de nos procédures dites de « démocratie administrative » à produire du consensus, de l’acceptabilité de la décision publique, si l’on nous autorise cette vilaine formule. Pourquoi ? Cela tient sans doute à deux caractéristiques de cette démocratie administrative. D’abord celle-ci n’est pas un régime de « coproduction » de la décision finale, elle s’opère toujours sur le projet des pouvoirs publics et les avis, les opinions, voire les expertises indépendantes peuvent le cas l’infléchir à la marge mais jamais le remettre en cause ou surtout présenter des alternatives. Ensuite, la participation du public ne constitue toujours qu’une somme d’opinions qui ne peut jamais emporter la décision qui reste fondamentalement entre les mains des pouvoirs publics.

De ce point de vue, l’appel au referendum, pour tenter d’enrayer le processus d’opposition est significatif d’une intention de changer de niveau de participation du public en lui permettant non plus seulement de s’exprimer mais de décider. Entendons-nous ici sur le mot décider : certes le referendum local est, pour l’essentiel, consultatif, mais il est évident que dans la quasi-totalité des situations, l’autorité qui l’a initié n’ira pas contre le résultat du scrutin de sorte que la consultation produit en réalité les effets d’une décision.

Mais la vertu magique ainsi prêtée au referendum (et qui s’inspire du précédent allemand des travaux de réaménagement de la gare de Stuttgart, approuvé par referendum malgré une contestation très vive du projet par les écologistes) doit être sérieusement tempérée.

Il y a tout d’abord un risque, bien connu dans les referendums nationaux comme locaux, c’est celui de la faible participation qui affecte la légitimité du résultat. Rappelons ainsi que dans la majeure partie des consultations organisées, le taux de participation n’excède pas 25% de sorte qu’accepté ou rejeté, le projet n’a fréquemment obtenu qu’une part de suffrages autour de 10% du corps électoral ce qui ne le conforte guère politiquement.

Il y a ensuite un autre risque, que le referendum allemand bien montré et que l’on retrouve dans de nombreux referendums locaux en France, c’est que la consultation référendaire vise à en appeler au « parti de l’ordre » contre la contestation. Mutatis mutandis on retrouve ici le phénomène bien connu et décrit par la science politique, que tout mouvement de désordre ou de contestation suscite une réaction des populations qui ne sont pas investies dans cette contestation et conduit le plus souvent à une légitimation du pouvoir contesté. Les élections législatives qui suivirent les manifestations de mai 1968 et qui donnèrent une majorité considérable au pouvoir gaulliste en sont un des exemples les plus classiques. De toute évidence, le projet de referendum dans notre affaire de Notre-Dame-des-Landes est mû par une semblable intention en tentant de mobiliser la majorité silencieuse contre la minorité contestatrice.

De sorte que, en définitive, le recours au referendum constitue moins une « démocratisation du dialogue environnemental » pour reprendre la terminologie de l’ordonnance que nous avons évoquée plus haut, mais un outil supplémentaire entre les mains des pouvoirs publics pour tenter d’éteindre et de surmonter une contestation.

Autant dire que l’on n’est pas ici dans l’épure des idéaux de la démocratie locale et environnementale, de sorte que la question qui continuera de se poser est la suivante : quelles sont les conditions et les outils juridiques qui permettent de construire un consensus sur un projet d’aménagement public ?

A cette question, les esprits sceptiques répondront que ce consensus n’est pas possible : qu’entre le mouvement « not in my backyard » qui anime tous les habitants proches d’un projet d’infrastructure et l’opposition systématique des mouvements de protection de l’environnement, il n’y a de toute façon pas de projet qui puisse réunir, aussi « démocratisé » soit-il un accord même minimal.

Mais on peut également dépasser ce scepticisme en posant que c’est précisément l’incapacité française d’assurer une coproduction des décisions d’aménagement entre le public et les autorités administratives et politiques qui génère ces oppositions systématiques.

 

Laissons à chacun le soin de donner à cette question la réponse la plus conforme à ses convictions. Mais constatons en tous les cas que le que le projet de referendum sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes permet de mettre en évidence non seulement les échecs passés de notre démocratie locale mais la mise, mais aussi la difficulté de construire un nouvel équilibre autour de cette question.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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