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Le billet

[ 29 juin 2015 ] Imprimer

Quoi de neuf ? Duguit et Hauriou !

Pour terminer cette année de billets d’actualité juridique – et Dieu sait qu’elle a été riche en actualité juridique, cette année, de la réforme du droit des contrats, au projet de loi Macron en passant par le Grand Paris ou les questions toujours débattues de droits fondamentaux – je propose d’emprunter une autre voie, apparemment inactuelle mais qui finalement n’est pas si éloignée de certaines de préoccupations juridiques contemporaines. 

Deux auteurs viennent de faire paraître une biographie croisée des deux grands fondateurs du droit public : Maurice Hauriou et Léon Duguit (J.-M Blanquer et M. Milet, Léon Duguit, Maurice Hauriou et la naissance du droit public moderne, éd. Odile Jacob). On pourrait souligner bien des qualités qui font de ce texte un évènement dans la bibliographie juridique : la qualité de ses sources et informations, la rigueur de l’analyse ou la reconstruction méthodique des cohérences doctrinales. 

Mais au-delà de ces points, un des intérêts majeurs de cette forme littéraire est de montrer comment les échanges entre ces deux auteurs, et les échanges qu’ils ont eus avec d’autres personnes et institutions ont progressivement fait émerger une théorie de l’État « à la française », qui sera un des jalons importants de l’histoire de la République, ou plus exactement de la républicanisation de l’État.

Mais au-delà de la description de ce moment théorique très important, cet ouvrage met aussi en évidence la méthode utilisée par ces deux professeurs pour construire leur paradigme théorique et lui donner une audience dans les cercles universitaires et bien au-delà. 

Il montre ainsi combien le recours à l’interdisciplinarité a joué un rôle essentiel dans l’émergence de cette doctrine et que Duguit, mais aussi Hauriou, ont été particulièrement préoccupés d’intégrer à leur réflexion les apports de la jeune sociologie, mais aussi ceux d’une histoire renouvelée et modernisée. Il faut souligner combien ce qui a fait la force de ces personnages, c’est leur curiosité insatiable, leur préoccupation constante de réadapter leur(s) théorie(s), aux faits sociaux. On les verra ainsi, par exemple, évoluer l’un et l’autre sur des questions aussi sensibles au début du XXe siècle que le syndicalisme des fonctionnaires, les modes de gestion des services publics, etc.

Les deux biographes soulignent aussi combien Hauriou et Duguit ont cherché à intervenir sur la scène publique pour promouvoir leur doctrine. C’est tout particulièrement vrai pour Duguit qui se fera tour à tour requérant, pour défendre le fonctionnement du service public dans le fameux arrêt du Conseil d’État de 1906 « Croix-de-Seguey-Tivoli », puis élu local impliqué dans la gestion de ces mêmes services publics. 

Bref ils nous décrivent deux universitaires engagés qui se rejoignent – même s’ils s’opposent sur bien des points – dans la construction d’une figure académique nouvelle et qui connaîtra de grands successeurs avec Vedel ou Carbonnier.

Mais la lecture de cet ouvrage pose aussi au juriste d’aujourd’hui une question presqu’existentielle : cette curiosité, cette interdisciplinarité, cette weltanschauung qui est au fondement de ces avancées théoriques majeurs, sommes-nous encore aujourd’hui capables de les mobiliser ? Je citais en commençant ce billet le projet de loi Macron parmi les actualités de l’année : est-ce que la technicité, l’espèce d’addition de dispositions sans cohérence, le manque de perspectives d’ensemble n’illustrent-il pas, presque jusqu’à la caricature la perte de vision du droit et des juristes au profit de machineries normatives un peu monstrueuses dans leur forme et vouées à la désagrégation dans un futur de toute évidence proche ?

C’est pourquoi, à l’orée des vacances, période propice aux lectures et aux réflexions, je ne peux qu’inciter à la lecture de ce livre, non seulement pour le plaisir mais également comme point de départ d’une réflexion sur la place du droit et des juristes dans notre société contemporaine. 

Bonnes vacances à tous. 

Référence

CE 21 déc. 1906, Croix-de-Seguey-Tivoli, n° 19167.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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