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Le billet

[ 5 octobre 2015 ] Imprimer

Sur la règle « silence vaut habilitation » !

Un petit article du projet de réforme du droit des contrats pourrait rapporter gros, ou coûter cher, c’est selon. La lumière des projecteurs doctrinaux étant focalisée sur des articles désormais célèbres, comme l’article 1169 du projet, qui entend prohiber en droit commun les clauses abusives, d’autres dispositions profitent de l’ombre qui leur est faite pour se frayer discrètement un chemin vers la promulgation.

Il en va ainsi de l’article 1157, niché au cœur du paragraphe consacré à la représentation, qui énonce : 

« Lorsque le tiers doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l'occasion de la conclusion d'un acte, il peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.

«L'écrit mentionne, en termes apparents, qu’à défaut de réponse le représentant est réputé habilité à conclure cet acte. »

Le signataire de ces lignes a bien conscience que la technicité de cet article est en train de décourager les plus motivés de poursuivre leur lecture. Pourtant, il se pourrait bien que les lecteurs qui parviendront au bout de ce billet trouvent un moyen de devenir propriétaire d’une Porsche à peu de frais…

Mais commençons par le début. 

L’article 1157 du Code civil met en place une action interrogatoire qui permet au tiers contractant de demander au représenté de lui confirmer que celui qui se présente comme son représentant conventionnel et a bien le pouvoir de conclure l’acte qu’il souhaite passer. Si cette disposition se bornait à « autoriser » le tiers contractant à poser une question au représenté, il n’aurait guère d’intérêt... Toute personne normalement diligente, qui doute des pouvoirs d’un représentant, doit avoir le réflexe de se tourner vers le représenté pour lui demander les clarifications nécessaires.

L’apport du texte se situe donc dans l’effet que la loi attribue au silence du représenté. Si la question posée, par écrit, le mentionne « en termes apparents », le silence gardé par le représenté à l’issue du délai raisonnable que lui aura imparti le tiers contractant pour répondre vaudra habilitation du représentant à passer le contrat. 

En somme, le silence vaut habilitation !

Les rares auteurs qui se sont intéressés à ce texte se sont réjouis de cette innovation en faisant un parallèle avec l’action interrogatoire que l’article 1183 du projet prévoit de mettre en place en matière de nullité. Pourtant, les situations n’ont strictement rien à voir ! 

On peut en effet comprendre qu’un contractant ne souhaite pas rester, pendant tout le délai de prescription, à la merci de la partie qui dispose de la faculté de demander la nullité du contrat. Le cocontractant du titulaire de l’action en nullité relative doit savoir s’il peut compter sur le contrat, ou s’il est libre d’aller s’engager ailleurs. Précisément, c’est parce que le cocontractant doit, pour sa part, respecter le contrat, qu’il est opportun de lui permettre d’être fixé sur son sort dans un délai plus bref que le délai de prescription. 

Or, dans la situation visée par l’article 1157 du projet, aucun contrat n’a encore été conclu. Le tiers contractant n’est pas lié et, s’il a un doute sur les pouvoirs du représentant, il est parfaitement libre de s’engager ailleurs dans des conditions plus sûres.

Pourquoi, dans cette situation, lui permettre de presser le représenté qui, par hypothèse, ni par son comportement, ni par ses déclarations, n’a suscité la moindre apparence au sens de l’article 1155 du projet ? 

On rappellera ainsi que, si le silence ne vaut pas acceptation (art. 1121 du projet), c’est parce qu’il serait inopportun de pousser les citoyens à répondre systématiquement à toutes les sollicitations qu’ils reçoivent. En quoi la situation est-elle ici différente ? Le silence gardé sur l’action interrogatoire vaudra habilitation du représentant et, en quelque sorte, acceptation par anticipation du contrat passé entre le représentant et le tiers contractant...

Mais revenons à la Porsche. Il se pourrait bien que le lendemain de l’entrée en vigueur du texte, quelques personnes croisent un certain M. Tartempion qui se présentera comme le représentant conventionnel de la Société Porsche ; ils se verront ainsi proposer un véhicule neuf à un prix défiant toute concurrence.

Les personnes en question douteront naturellement des pouvoirs de M. Tartempion. Elles s’empresseront alors d’envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception au siège de la Société Porsche en demandant à ladite société de clarifier la situation. La lettre mentionnera, comme de bien entendu, EN TERMES APPARENTS, qu’à défaut de réponse dans le délai, par exemple, de quinze jours, le silence de la Société Porsche permettra de réputer que de M. Tartempion est habilité à vendre un véhicule, au nom et pour le compte de la Société…

Évidemment, la fraude corrompt tout, ce qui permettra d’éviter de donner effet aux situations les plus scandaleuses. Mais il faut être bien naïf pour penser qu’il ne se trouvera pas quelques coquins qui tenteront de contourner la règle selon laquelle « le silence ne vaut pas acceptation », par le nouveau principe : « le silence vaut habilitation ».

Ainsi, citoyens, PME, multinationales, surveillez votre courrier ! Il pourra s’y cacher un engagement contraignant…

Références

■ Projet de réforme du droit des contrats

Article 1155, alinéa 1er

« L’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, en raison du comportement ou des déclarations du représenté. »

Article 1183 

« Une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion.

Elle peut aussi proposer à la victime de l'erreur d'opter pour l'exécution du contrat dans les termes qu'elle avait compris lors de sa conclusion.

La demande n’a d’effet que si la cause de la nullité a cessé et si elle mentionne en termes apparents qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé. »

 

Auteur :Mathias Latina


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