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Le billet

[ 14 mars 2016 ] Imprimer

Sur le rapport de présentation de l’ordonnance du 10 février 2016

La publication de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a été accompagnée de celle du rapport de présentation de cette ordonnance au Président de la République.

L’idée d’un tel rapport est excellente. On ne pouvait que se réjouir de connaître les raisons qui ont poussé le « législateur » à adopter telle position plutôt que telle autre. On pouvait également espérer que le sens de certains textes pourrait être éclairé par la « révélation » de l’intention du « législateur ». Reste que la lecture de ce rapport génère des déceptions, et des surprises.

Les déceptions sont nombreuses. Le « législateur » ne s’explique pas, loin s’en faut, sur le détail des dispositions qu’il a adoptées. On répondra que si tel avait été le cas, le rapport aurait fait 600 pages. Et alors ? Puisque, du fait du choix de l’ordonnance, il n’y a pas de travaux parlementaires, n’aurait-il pas été judicieux d’expliquer les prises de position du « législateur » ? Le contrat, cellule de base de l’activité économique, n’aurait-il pas mérité une explication d’envergure, à même d’apaiser les craintes de la pratique devant l’ampleur des changements ?

Car, en effet, affirmer, comme le fait le rapport, que « l'ordonnance prévoit, pour sa majeure partie, une codification à droit constant de la jurisprudence », est trompeur. 

D’abord, parce que nombreuses sont les jurisprudences qui sont brisées par l’ordonnance, au-delà de la jurisprudence Cruz relative à la rétractation du promettant dans une promesse unilatérale de contrat (comp. Civ. 3e, 15 déc. 1993 n° 91-10.199 avec l’art. 1124) et de Canal de Craponne à propos de la révision judiciaire en cas d’imprévision (Comp. Civ., 6 mars 1876 avec art. 1195). En faire la liste, ici, dépasserait le cadre d’un simple billet. 

Ensuite, parce que la « codification à droit constant de la jurisprudence » est un non-sens. Codifier une jurisprudence ne maintient pas le droit en l’état. Codifier une jurisprudence, c’est énoncer une règle dont la formulation était susceptible de varier d’un arrêt à un autre. C’est également prendre parti. 

Par exemple, et même si cela semble avoir échappé au rédacteur du rapport de présentation de l’ordonnance, consacrer la règle « nul ne peut se constituer de titre à soi-même » (art. 1363), ce n’est pas consacrer le principe général « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ». Or, précisément, s’agissant de la formulation de cette règle, mais aussi de sa portée, la jurisprudence avait largement fluctué. De sorte qu’il est quelque peu simpliste d’affirmer que l’article 1363 du Code civil, issu de l’ordonnance, consacre un « principe essentiel du droit de la preuve, consacré par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ».

C’est ainsi que le lecteur de ce rapport cherchera, le plus souvent, vainement les réponses à ses questions. En voici quelques une, pêle-mêle : 

-Pourquoi, entre le projet d’ordonnance et sa version finale, il a paru pertinent au « législateur » de ne pas donner au juge le pouvoir de réviser le prix fixé abusivement (art. 1164 et 1165), mais de consacrer la révision judiciaire du prix pour imprévision (art. 1195), c’est-à-dire d’inverser les solutions qui figuraient dans le projet d’ordonnance ?

- De même, quelle est la raison qui a poussé le « législateur » à exclure les contrats à exécution successive du domaine de la fixation unilatérale du prix (art. 1164) ? 

- D’ailleurs, pourquoi avoir consacré l’opposition entre les contrats à exécution instantanée et à exécution successive dans le chapitre liminaire (art. 1111-1), alors que le « législateur » a méthodiquement effacé toutes les références qui étaient faites à cette classification dans les projets de réforme, aussi bien en matière de fixation du prix, que de résolution du contrat ?

Plus grave, et c’est là que se situent les surprises, on pouvait espérer que le « législateur », sans rentrer dans le détail de l’analyse, indique au moins clairement sa position lorsqu’il avait pris la décision de briser une jurisprudence. 

Un exemple suffira à démontrer qu’il ne l’a pas fait systématiquement. Chacun sait qu’en droit positif, l’acheteur n’a pas d’obligation d’information quant à la valeur de la chose achetée (Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-11381, dit « Baldus » et Civ. 3e, 17 janv. 2007, n° 06-10442). La jurisprudence excluait ainsi qu’une réticence dolosive puisse être commise par un acheteur qui taisait sciemment la valeur réelle de la chose au vendeur. Cette jurisprudence est, selon toute vraisemblance, brisée par le « législateur ». 

En effet, la réticence dolosive est constituée, en vertu de l’article 1137 du Code civil, issu de l’ordonnance, en cas de dissimulation intentionnelle portant sur une information dont l’auteur du dol connaît le caractère déterminant pour l’autre partie. Le rapport nous confirme alors que le dol est déconnecté de l’obligation légale d’information consacrée à l’article 1112-1

Seules comptent donc, pour qu’il y ait réticence dolosive, la conjonction d’une intention de tromper de l’auteur du dol d’une part, et la rétention d’une information dont l’auteur du dol connaît le caractère déterminant pour l’autre partie, d’autre part. 

La valeur de la prestation, expressément exclue en matière d’obligation légale d’information, ne l’est donc pas sur le terrain du dol, ce que confirme l’article 1139 qui précise que le dol, y compris la réticence dolosive, rend toujours excusable l’erreur de la victime… La jurisprudence Baldus est donc brisée ! 

Mais le rapport ne le dit qu’à demi-mot, lorsqu’il énonce que « le texte fait le choix de ne pas subordonner la réticence dolosive à l'existence d'un devoir d'information, conformément à une conception plus solidaire du contrat qui met l'accent sur la sanction de l'intention de tromper (l'erreur provoquée étant toujours excusable) ».

Voilà donc un autre exemple d’une jurisprudence brisée par la réforme, et sur le fondement d’une conception plus solidaire du contrat, comprendre solidariste !

On remarquera, pour s’en amuser, la distance prise par le « législateur »  pour expliquer l’article 1137, alinéa 2 : c’est le texte qui « a fait le choix de ne pas subordonner la réticence dolosive à l’existence d’un devoir d’information ». Amis libéraux ne vous en prenez donc pas au « législateur », le texte a pris sa décision ! Le « législateur » n’y est pour rien !

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce rapport, et sur l’ordonnance elle-même ; il faudra au moins de 600 pages (à suivre…) ! 

Références

■ Civ. 3e, 15 déc. 1993Cruz, n° 91-10.199 P, D. 1994. 507, note F. Bénac-Schmidt ; ibid. 230, obs. O. Tournafond ; ibid. 1995. 87, obs. L. Aynès ; AJDI 1994. 384 ; ibid. 351, étude M. Azencot ; ibid. 1996. 568, étude D. Stapylton-Smith ; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre.

■ Civ., 6 mars 1876Canal de Craponne.

■ Civ. 1re, 3 mai 2000, Baldus, n° 98-11.381 P, D. 2002. 928, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 2000. 566, obs. J. Mestre et B. Fages.

■ Civ. 3e, 17 janv. 2007, n° 06-10.442 P, D. 2007. 1051, note D. Mazeaud ; ibid. 1054, note P. Stoffel-Munck ; ibid. 2966, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 416, obs. S. Bigot de la Touanne ; RTD civ. 2007. 335, obs. J. Mestre et B. Fages.

 

Auteur :Mathias Latina


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