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[ 8 avril 2013 ] Imprimer

Un Observatoire national de la laïcité : tel le Phénix…

Par un décret n° 2007-425 du 25 mars 2007, signé par le Premier ministre de l’époque Dominique de Villepin, Jacques Chirac avait créé, du moins juridiquement, l’Observatoire national de la laïcité. Comme un certain nombre de textes et d’institutions, cet Observatoire était resté lettre morte et aucune institution n’avait été réellement mise en place, sauf au niveau départemental. Le 9 décembre 2012, François Hollande avait annoncé la mise en place effective de cet Observatoire. Parole en l’air auraient pu dire les mauvaises langues ? Il n’en est rien, comme le prouve le décret n° 2013-270 du 3 avril 2013 (JO 4 avril 2013) qui renouvelle cet observatoire pour une durée de 5 ans à partir du 5 avril 2013 et la nomination fraîchement annoncée, ce lundi 8 avril 2013, de ses membres. Il paraît utile de revenir sur les origines de cette institution et sur ses fonctions afin de mieux en apprécier l’avenir.

▪ La mise en place d’un Observatoire national de la laïcité – L’idée d’un Observatoire national de la laïcité est née à une période de tensions où la laïcité, sacralisée par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, était malmenée. Différentes formes de communautarisme avaient menacé le sacro-saint principe de laïcité « à la française ». Le président de la République de l’époque, Jacques Chirac, à la suite du rapport « Stasi », avait affirmé que « la République ne saurait accepter que l'identité d'un citoyen soit définie par la communauté dont il se réclame, ou à laquelle on veut le réduire ». Parmi un grand nombre de mesures proposées, mesures destinées à restaurer l’autorité du principe de laïcité, il avait annoncé la création d’un Observatoire national de la laïcité, institution qui figurait déjà dans une proposition de loi socialiste, la proposition « Glavany » du 28 juin 2006 visant à promouvoir la laïcité dans le République (art. 1er). Ce ne fut pas, a priori du moins, un simple effet d’annonce car un décret du 25 mars 2007 fut publié au Journal officiel instaurant officiellement cette nouvelle institution. Pourtant, sans désignation de ses membres, sa création demeura purement symbolique.

Si cet observatoire est de nouveau sous les feux de la rampe c’est en raison de la publication d’un nouveau décret du 3 avril 2013 qui en prolonge l’existence pendant 5 ans, pour faire probablement suite aux nouvelles tensions qui questionnent le principe de laïcité et, spécialement, l’affaire « Baby Loup », sur laquelle je renvoie à l’excellent édito du plus connu des inconnus, Félix Rome, affaire pour laquelle un lobbying très fort a été exercé par de nombreuses personnalités.

▪ La mise en œuvre de l’Observatoire national de la laïcité – Selon l’article 2 du décret du 25 mars 2007, cet Observatoire a une mission d’assistance du gouvernement en vue d’assurer le respect du principe de laïcité dans les services publics. À cette première fonction, doit s’ajouter la mission de réaliser un certain nombre d’études afin d’éclairer les pouvoirs publics sur la laïcité. Ces études et recherches peuvent être réalisées à la demande de l’Observatoire, formulée auprès du Premier ministre. L’Observatoire est chargé de la rédaction d’un rapport annuel et peut rédiger des études thématiques (art. 3). De sa propre initiative, encore, l’Observatoire de la laïcité peut conseiller le Premier ministre en lui proposant les moyens d’améliorer la mise en œuvre du principe de laïcité, notamment par une meilleure information des agents publics et des usagers du service public. Enfin, cette autorité peut être consultée par le Premier ministre ou les ministres sur des projets de textes législatifs ou réglementaires.

Quant à sa composition, l’Observatoire sera présidé par Jean-Louis Bianco, nommé par décret pour 4 ans. Outre les nombreux secrétaires généraux de certains ministères et des directeurs généraux des principaux services publics, l’Observatoire comptera deux députés et deux sénateurs (Fr.-N. Buffet, J. Glavany, Fr. Laborde et M.-J. Zimmermann) et de « dix personnalités désignées en raison de leur compétence et de leur expérience » (art. 4). Parmi les dix personnalités de cet observatoire, on trouve, notamment, l’historien A. Bergounioux, le philosophe et écrivain A. Bidar, le conseiller d’État et ancien préfet A. Christnacht, le journaliste et essayiste P. Kessel, L. Loeffel, maître de conférences en science de l’éducation, le poète et romancier D. Maximin et, enfin, un juriste universitaire, Mme Soraya Amrani-Mekki, professeur de droit à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense et membre de la Commission nationale des droits de l’homme.

Les « dossiers » confiés à l’Observatoire seront denses et particulièrement sensibles. Parmi les questions les plus récentes : quelle place accorder à la laïcité dans les établissements et entreprises privés ? Quelle place pour la laïcité dans le débat sur « le mariage pour tous » ? Faut-il une Charte de la laïcité dans les établissements scolaires (annonce du ministre V. Peillon en décembre 2012) ? Quelle forme et quel fond pour une « morale laïque » à l’école, dans la continuité des propositions du ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon ? Les membres de l’Observatoire auront à résoudre dans les prochaines années des questions de plus en plus sensibles et devront rechercher et trouver un juste équilibre entre les droits de l’homme et les devoirs du citoyen. La mission est d’autant plus lourde que la laïcité semble aujourd’hui faire l’objet d’une enflure notionnelle et tend à se confondre, dans l’esprit des politiques, avec l’éthique ou la morale sociale. Les mots du ministre Vincent Peillon sur la notion de « morale laïque » le confirment : « C'est plus large, cela comporte une construction du citoyen avec certes une connaissance des règles de la société, de droit, du fonctionnement de la démocratie, mais aussi toutes les questions que l'on se pose sur le sens de l'existence humaine, sur le rapport à soi, aux autres, à ce qui fait une vie heureuse ou une vie bonne ». Pour comprendre, il faut consulter la relecture faite par Vincent Peillon de la pensée de Jules Ferry (Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson, éd. du Seuil, coll. « La Librairie du xxie siècle », 2010). Attention, cependant, à ce que l’Observatoire national de la laïcité ne devienne pas, avec le temps, un simple Observatoire national de la citoyenneté !

▪ La mise à l’épreuve de l’Observatoire national de la laïcité – Avait-on réellement besoin d’un tel observatoire ? N’est-ce pas, pour détourner la formule de Clémenceau, un moyen d’enterrer le problème que de créer un tel organisme ? La tendance était au contraire à la concentration des missions et à la suppression des autorités et commissions (Circ. du 30 nov. 2012 sur la suppression de nombreuses commissions). Ainsi le Défenseur des droits ne suffisait-il pas à prendre en charge cette mission relative à la laïcité ? N’a-t-on pas annoncé qu’une de ses missions était « la mise en place d'un cadre de dialogue s'appuyant sur l'expertise de ses services, portant sur la prise en compte du fait religieux dans le secteur public et privé, en y associant notamment les partenaires sociaux ». À dire vrai, le sujet de la laïcité est trop singulier pour être noyé dans la masse des affaires qui doivent être gérées par le Défenseur des droits. La laïcité est un organe vital de la République française et, à ce titre, c’est la vulnérabilité des valeurs républicaines et l’ordre social qui sont menacés lorsque la laïcité est malmenée. La question de la laïcité n’est pas une question comme les autres et le gouvernement mérite, en dehors de toute polémique, d’être assisté par une autorité spécialisée. Cet observatoire renforcera ainsi le dialogue entre l’État et la société civile au nom de cette fameuse « démocratie délibérative » qui n’a rien d’illusoire si elle est mise en œuvre intelligemment et avec sincérité. Enfin, il convient de se demander quel sort sera réservé aux nombreux observatoires de laïcité créés dans certains départements ou communes. Dernièrement, encore, la mairie de Paris a créé un Observatoire de la laïcité, le 24 septembre 2012, censé assister « l'Exécutif parisien dans la mise en pratique du principe de laïcité à Paris. Il rend des avis permettant d'éclairer l'action de l'exécutif dans ce domaine, et notamment pour ce qui concerne l'application de la Loi de Séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 ». Devront-ils rendre des comptes à l’Observatoire national pour garantir une plus grande cohérence et ne parler que d’une seule voix ?

Dans les semaines à venir, il faut s’attendre à une réaction virulente de certains citoyens ou de certaines personnalités qui n’hésiteront pas à rappeler qu’il paraît quelque peu paradoxal que l’on vienne leur rappeler les grands principes d’une morale laïque, d’une morale citoyenne, alors que certains membres du gouvernement ne semblent insensibles à toute forme d’éthique. Sans aller jusqu’à créer un Observatoire national de la déontologie politique, il serait temps que l’on réfléchisse à la mise en place d’un véritable code de déontologie des hommes politiques qui devra être accompagné d’une véritable formation éthique ou déontologique. Mais il s’agit là d’une tout autre affaire d’État…

Références

■ F. Rome, « Baby Loup dans la bergerie », D. 2013. 761.

■ Décret n°2007-425 du 25 mars 2007 créant un observatoire de la laïcité.

Article 1

« Il est institué, auprès du Premier ministre, un observatoire de la laïcité. »

Article 2

« L'observatoire de la laïcité assiste le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics. 

A ce titre, il réunit les données, produit et fait produire les analyses, études et recherches permettant d'éclairer les pouvoirs publics sur la laïcité. 

Il peut saisir le Premier ministre de toute demande tendant à la réalisation d'études ou de recherches dans le domaine de la laïcité. 

Il peut proposer au Premier ministre toute mesure qui lui paraît permettre une meilleure mise en œuvre de ce principe, notamment pour assurer l'information des agents publics et des usagers des services publics. 

Il peut être consulté par le Premier ministre ou les ministres sur des projets de textes législatifs ou réglementaires. « 

Article 3

« L'observatoire remet chaque année au Premier ministre un rapport qui est rendu public. 

Il peut également rédiger des études thématiques. »

Article 4

« Outre son président, nommé par décret pour une durée de quatre ans, l'observatoire est composé : 

a) Du secrétaire général du ministère de l'intérieur : 

-du secrétaire général du ministère de la justice ; 

-du directeur général de l'administration et de la fonction publique ; 

-du directeur général de l'offre de soins ; 

-du directeur des affaires juridiques au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; 

-du directeur des affaires politiques, administratives et financières du ministère de l'outre-mer ; 

-du conseiller pour les affaires religieuses au ministère des affaires étrangères ; 

b) De deux députés et de deux sénateurs désignés respectivement par le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat ; 

c) De dix personnalités désignées en raison de leur compétence et de leur expérience. 

Les membres visés aux b et c sont nommés pour une durée de quatre ans par arrêté du Premier ministre. Le mandat des députés prend en tout état de cause fin avec la législature au titre de laquelle ils ont été élus. Le mandat des sénateurs prend fin lors de chaque renouvellement partiel du Sénat. »

 

Auteur :Mustapha Mekki


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