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Le billet

[ 11 janvier 2016 ] Imprimer

« Voile à la Fac » : cent fois sur le métier…

Ainsi, la question du port du voile au sein des enceintes universitaires revient sur le devant de la scène. Et cette fois ce n’est pas par la faute d’un homme politique en mal de couverture médiatique, mais par la grâce de l’Observatoire de la laïcité qui, dans l’avis qu’il a émis le 15 décembre 2015, précise qu’il « a souhaité s’autosaisir » de ce problème et, plus largement, de la question de la laïcité et de la gestion du fait religieux dans l’enseignement supérieur public.

Puisque l’Observatoire de la laïcité « a souhaité s’autosaisir » de ces questions, que l’on examinera essentiellement pour les besoins de ce billet qu’à travers celle du port du voile à la Fac (certes, l’avis de l’Observatoire ne fait pas de distinction selon le type de signes religieux, mais, sauf à se complaire dans une hypocrisie consensuelle, nul n’ignore que c’est le seul port du voile qui a suscité le débat et l’intervention des pouvoirs publics), on est intuitivement tenté de penser qu’elle présentait une gravité certaine et qu’il existait une certaine urgence à s’en…autosaisir… D’ailleurs, les moyens mis en œuvre par l’Observatoire accréditent cette impression, puisque celui-ci s’est livré à une multitude d’auditions auxquelles ont été conviés tous les représentants et les syndicats de la communauté universitaire (enseignants-chercheurs, personnels administratifs et techniques, usagers, etc…), des membres des ministères intéressés et le Président de la Conférence des Universités. Mieux, les Présidents des cent trente Universités de France et de Navarre ont reçu un questionnaire afin qu’ils signalent les difficultés relatives à la gestion du fait religieux dans leurs établissements.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat n’est pas à la hauteur des inquiétudes redoutées… D’une façon générale, l’avis révèle qu’environ cent-trente cas de conflits relatifs à la gestion du fait religieux ont été relevés, et simplement une trentaine concerne le port d’un signe religieux… Beaucoup de bruit pour rien, donc !!!

Mais, avouons-le, ce qui déçoit surtout dans cet avis c’est le laconisme de son argumentation. Sans surprise, l’Observatoire, après avoir rappelé que les personnels qui exercent une mission au sein de l’établissement supérieur public sont tenus à un strict principe de neutralité et ne peuvent donc pas porter un signe ou une tenue qui manifeste leur appartenance ou leur conviction religieuse, énonce qu’il en va autrement pour les étudiants. Le principe de laïcité leur permet, tout au contraire, de porter de tels signes, dès lors que leur comportement n’est pas prosélyte et ne perturbe pas le bon fonctionnement du service public. Absolument rien de nouveau sur ce point ; on aurait pu alors espérer, puisque l’Observatoire avait ressenti la nécessité de « s’autosaisir », qu’il allait en profiter pour avancer quelque peu dans l’argumentation. Or, à cet égard, l’Observatoire se retranche peu ou prou derrière celle de la Commission Stasi, qui avait déjà rendu un rapport sur ce thème : «  L’Université est depuis toujours le lieu du débat et de la liberté d’expression. Cette liberté doit s’appliquer aux étudiants adultes qui ont librement choisi leur formation d’enseignement supérieur ». Passons sur le critère de l’étudiant « adulte » qui nous paraît totalement inopérant, notamment pour distinguer l’étudiant du lycéen en classe de terminale, mais arrêtons-nous sur celui fondamental de la liberté. Chacun sait, en effet, que le débat sur le « voile à la Fac » oppose aujourd’hui ceux qui considèrent que il constitue un signe d’inégalité des sexes, de soumission de la femme qui le porte et donc de son absence de liberté, et par conséquent qu’il doit être interdit, et ceux qui leurs répliquent que fermer aux jeunes filles voilées les portes de l’enseignement supérieur les privent de la liberté essentielle que leur apporteront la culture et le débat d’idées… Égalité dans la Fac contre liberté par la Fac, en somme ! On peut regretter que ce sur ce débat fondamental, on ne trouve pas dans cet important rapport de dix-huit pages l’esquisse d’une réflexion.

Pour conclure, une explication à cette auto-saisine de l’Observatoire, puisqu’apparemment tout va très bien quant à la question et à la gestion du fait religieux dans les établissements de l’enseignement supérieur public : tout est de la faute aux médias !!! Et pour bien leur faire la leçon, l’Observatoire leur adresse même une recommandation spéciale et les appelle «à la plus grande vigilance dans le traitement des questions touchant à la laïcité et à la gestion du fait religieux dans les établissements de l’enseignement supérieur public ». Chaque époque a ses boucs émissaires de première main…

 

Auteur :Denis Mazeaud


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