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Le cas du mois

Lancer le nain en société…

[ 25 avril 2012 ] Imprimer

Droit des sociétés

Lancer le nain en société…

Désiré et Adhémar ont depuis leur plus tendre enfance une passion commune pour les nains de jardin. Désireux de la faire partager, ils envisagent de créer une société ayant pour objet social l’achat, la vente et la confection de nains de jardin. Leur amie Blanche partageant la même passion souhaite également s’associer.

Pour la constitution de la SARL « Un nain fidèle », spécialisée dans la décoration du jardin, Adhémar, Désiré et Blanche apportent 7 500 € chacun. Les statuts sont signés le 1er février 2012 et prévoient que toutes les acquisitions de matériels seront reprises par la société au jour de l’immatriculation. Blanche est nommée gérante de la société et un mandat lui est donné à l’occasion de la signature des statuts pour acheter le matériel nécessaire à la fabrication des nains. Ce mandat insiste sur les caractéristiques spécifiques de la terre, qui une fois cuite, doit pouvoir résister aux intempéries. Un acte annexé aux statuts prévoit également que les actes d’acquisition du matériel seront repris par la société au jour de l’immatriculation.

Dès janvier, Blanche avait loué un petit local et acheté les équipements informatiques ainsi qu’un petit four d’occasion pour le compte de la société en formation « Un nain fidèle ». Le 28 janvier, elle avait également souscrit un abonnement Internet au nom de la société « Un nain fidèle ». À compter de la signature des statuts, elle s’est ensuite chargée d’acheter la terre conformément aux spécificités convenues, les outils de sculpture et la peinture. Malheureusement, mi-mars, le four est tombé en panne. Pour assurer l’importante commande passée par la commune de Morsang-sur-Orge, qui prévoit de décorer l’ensemble des ronds-points de la ville, Blanche a acheté dans l’urgence un nouveau four pouvant contenir au moins 7 nains.

La société créancière n’a reçu que le versement de l’acompte. Aujourd’hui, la société « Un Nain fidèle » n’est toujours pas immatriculée. Les sommes engagées pour lancer leur petite entreprise commencent à devenir importantes. Adhémar et Désiré reprochent à leur amie Blanche de ne pas les avoir consultés pour l’achat du nouveau four. Ils ne veulent pas être poursuivis par le créancier et prétendent que seule Blanche est tenue au paiement.

Pour les aider à y voir plus clair, déterminez la valeur de l’ensemble des actes pris par le gérant.

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Désiré, Adhémar et Blanche ont décidé de créer une société à responsabilité de fabrication de vente de nains de jardin dénommée « Un nain fidèle ». Les statuts ont été signés le 1er février 2012. Blanche a été nommée gérante et s’est chargée de conclure plusieurs actes. Leur société n’est toujours pas immatriculée et les frais engagés pour son lancement commencent à devenir importants. Il convient de faire le point avec nos comparses pour déterminer quelles sont les personnes tenues par les actes passés par la gérante.

L’article L. 210-6 alinéa 2 du Code de commerce pose le principe selon lequel « Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsable des actes accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société ».

Les hypothèses de reprise des actes sont prévues à l’article R. 210-5 du Code de commerce. Ainsi, la première hypothèse de reprise est celle des actes passés avant la signature des statuts lorsqu’ils sont recensés dans un état annexé aux statuts. La reprise est alors automatique car la signature de ceux-ci vaut ratification des engagements antérieurs.

La deuxième hypothèse de reprise est celle des actes passés entre la signature des statuts et l’immatriculation. Pour ces actes, la reprise est automatique lorsqu’ils sont accomplis en vertu d’un mandat accordé par les associés à l’un d’eux, soit dans les statuts, soit par acte séparé. L’immatriculation emporte alors reprise des engagements conclus pour la société en vertu de ce mandat. La jurisprudence exige que les engagements et leurs modalités soient précisés dans le mandat. En revanche le mandat peut être donné par l’ensemble des associés postérieurement à l’engagement à condition qu’il intervienne avant l’immatriculation (v. p. ex. Com. 14 janv. 2003 ; Com. 1er juill. 2008).

On ajoutera que tous les actes conclus avant l’immatriculation de la société peuvent être repris alors même qu’ils n’ont pas donné lieu à un mandat. C’est une troisième hypothèse de reprise qui intervient quelle que soit la date des actes. La reprise peut intervenir postérieurement à l’immatriculation quelle que soit la date à laquelle l’acte a été passé, à la suite d’une décision spéciale prise, sauf clause contraire des statuts, à la majorité des associés (v. p. ex. Com. 1er avr. 2003). Cette forme de reprise est utile lorsque les conditions d’une reprise automatique ne sont pas réunies. Tel est le cas lorsque le mandat confié à l’associé est trop général. Cette forme de reprise est parfois appelée « reprise balai ».

Il convient donc de distinguer selon le moment où l’acte a été passé.

I. Les actes pris avant la signature des statuts

Avant même que les statuts ne soient signés, Blanche a passé plusieurs actes :

– elle a conclu un bail, acheté les équipements informatiques et un petit four d’occasion pour le compte de la société ;

– elle a également, conclu au nom de la société « Un nain fidèle », un abonnement Internet.

Il convient de faire la distinction entre les actes conclus pour le compte de la société et ceux conclus en son nom, l’absence d’immatriculation de la société ayant des effets différents.

A. Les actes conclus pour le compte de la société

Avant la signature des statuts Blanche a conclu plusieurs actes. Un acte prévoyant la reprise par la société des actes d’acquisition du matériel au jour de l’immatriculation a été annexé aux statuts.

L’article R. 210-5 alinéa 1er du Code de commerce prévoit la reprise des actes passés avant la signature des statuts lorsqu’ils sont recensés dans un état annexé aux statuts. La reprise est alors automatique car la signature de ceux-ci vaut ratification des engagements antérieurs.

En l'espèce, un acte annexé aux statuts prévoit la reprise des actes conclus avant la signature des statuts. Il convient de rechercher si ces contrats ont été conclus dans l’intérêt de la société. La location d’un local, l’achat du four et des équipements informatiques remplissent cette exigence. Toutefois, tant qu’il n’aura pas été procédé à l’immatriculation, Blanche restera tenue par ces engagements.

B. Les actes conclus au nom de la société en formation

Blanche a également souscrit un abonnement Internet au nom de la société « Un nain fidèle ». L’article R. 210-5 du Code de commerce ne s’applique qu’aux actes conclus pour le compte de la société. En l’absence de reprise expresse dans l’acte annexé dans les statuts au jour de l’immatriculation, l’acte encourra la nullité absolue.

En principe, l’acte annexé aux statuts prévoit la reprise de tous les actes d’acquisition des équipements. Pour que la reprise soit effective au jour de l’immatriculation, il faut que la souscription à l’abonnement Internet figure dans cet acte. À l’inverse, dans la mesure où il a été signé au nom de la société, sa nullité pourra être demandée par toute personne intéressée.

Rappelons à cet égard que la chambre commerciale de la Cour de cassation fait preuve d’une grande sévérité concernant la reprise des actes conclus avant la signature des statuts. En effet, si au jour de l’immatriculation, les statuts ne mentionnent pas la reprise de ces actes, ceux-ci sont susceptibles d’être annulés. En effet, un acte conclu au nom de la société, sans préciser qu’il s’agit d’une société en formation, est considéré comme ayant été conclu par une personne dépourvue de personnalité juridique et donc n'ayant pas la capacité de contracter (Com. 21 févr. 2012).

II. Les actes passés en vertu du mandat

L’article R. 210-5 alinéa 2 du Code de commerce prévoit que la reprise automatique des actes pris en vertu d’un mandat entre la signature des statuts et l’immatriculation se fait automatiquement. Il faut néanmoins que le mandat soit précis.

En l’espèce, à l’occasion de la signature des statuts, un mandat a été donné à Blanche pour l’achat du matériel nécessaire à la fabrication des nains de jardin. Une clause précise que la terre doit pouvoir résister aux intempéries une fois cuite.

Le mandat semble suffisamment précis puisqu’il est limité aux matériels nécessaires à la confection des nains et insiste sur les caractéristiques de la terre. Dès lors, une reprise automatique aura lieu si la société est immatriculée. En revanche, si cette formalité n’était jamais accomplie, Blanche se verra tenue par ses engagements en vertu de l’article L. 210-6 du Code commercial.

III. Les actes passés sans mandat postérieurement à la signature des statuts

La commune de Morsang-sur-Orge avait commandé une grande quantité de nains de jardin. Malheureusement, le four est tombé en panne. Blanche a donc pris l’initiative d’acheter un nouveau four pour pouvoir répondre à cette commande. Désiré et Adhémar lui reproche de ne pas les avoir consultés.

L’acte conclu par Blanche n’entre pas dans les hypothèses de reprise automatique prévues à l’article R. 210-5 du Code de commerce (actes annexés aux statuts ou mandat). Toutefois, la jurisprudence reconnaît une troisième hypothèse de reprise. Elle peut intervenir postérieurement à l’immatriculation et quelque soit la date de l’acte. Ainsi, si aucune clause des statuts n’y fait obstacle, une décision spéciale prise à la majorité des associés peut prévoir la reprise de ces actes.

En l’espèce, Blanche, Désiré et Adhémar sont associés à part égale (33.33% chacun). Pour que la reprise de l’acte d’achat du four soit valable, il faut donc remplir plusieurs conditions :

– l’immatriculation ;

– la décision spéciale prise à la majorité des associés.

Or Désiré et Adhémar reprochent à Blanche cet achat. Il sera donc difficile d’obtenir une décision à la majorité des associés. Il semble donc qu’elle reste tenue par cet acte en vertu de l’article L. 210-6 du Code de commerce.

Toutefois, cela ne leur assure aucunement une immunité totale. En effet, s’il était prouvé que la société en formation est devenue une société créée de fait, Adhémar et Désiré pourraient être poursuivis en paiement au même titre que Blanche (art. 1872-1 C. civ.).Une telle requalification nécessite que les actes passés par les associés dépassent les seules formalités de constitution de société.

En l’espèce, Blanche a acheté un four pour cuire les nains de jardin. L’objet social de la société étant la fabrication et la vente de nains de jardin. On peut donc considérer que l’achat du four dépasse le seul cadre de la formation de la société. La société pourra être qualifiée de société créée de fait. Dès lors, l’on pourra démontrer qu’Adhémar et Désiré se sont conduits au vu et au su de tous comme des associés et que, à ce titre, ils doivent être tenus au paiement du four avec Blanche.

Références

■ Code de commerce

Article L. 210-6

« Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La transformation régulière d'une société n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation. 

Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société. »

Article R. 210-5

« Lors de la constitution d'une société à responsabilité limitée, l'état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, avec l'indication, pour chacun d'eux, de l'engagement qui en résulterait pour la société, est présenté aux associés avant la signature des statuts. 

Cet état est annexé aux statuts, dont la signature emporte reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés. 

En outre, les associés peuvent, dans les statuts ou par acte séparé, donner mandat à l'un ou plusieurs d'entre eux ou au gérant non associé qui a été désigné, de prendre des engagements pour le compte de la société. Sous réserve qu'ils soient déterminés et que les modalités en soient précisées par le mandat, l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés emporte reprise de ces engagements par la société. »

■ Article 1872-1 du Code civil

« Chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers. 

Toutefois, si les participants agissent en qualité d'associés au vu et au su des tiers, chacun d'eux est tenu à l'égard de ceux-ci des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l'un des autres, avec solidarité, si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. 

Il en est de même de l'associé qui, par son immixtion, a laissé croire au cocontractant qu'il entendait s'engager à son égard, ou dont il est prouvé que l'engagement a tourné à son profit. 

Dans tous les cas, en ce qui concerne les biens réputés indivis en application de l'article 1872 (alinéas 2 et 3), sont applicables dans les rapports avec les tiers, soit les dispositions du chapitre VI du titre Ier du livre III du présent code, soit, si les formalités prévues à l'article 1873-2 ont été accomplies, celles du titre IX bis du présent livre, tous les associés étant alors, sauf convention contraire, réputés gérants de l'indivision. »

■ Société créée de fait

[Droit civil/Droit commercial]

« Société résultant du comportement de personnes qui ont participé ensemble à une œuvre économique commune dont elles ont partagé les profits et supporté les pertes, et se sont en définitive conduites comme des associés sans en avoir pleine conscience. Son régime est celui de la société en participation. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ Com. 14 janv. 2003, n°00-12.557.

 Com. 1er juill. 2008, n°07-10.676.

■ Com. 1er avr. 2003, n°99-12.443.

 Com. 21 févr. 2012, n° 10-27.630.

 

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