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Mini-moto, gros bobo !

[ 24 mars 2016 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Mini-moto, gros bobo !

Gaspard Tichaut, le frère d’Adhémar, est parti en vacances en Corrèze, chez ses grands-parents, Jacques et Bernadette. Il aime beaucoup s’y rendre parce que c’est l’occasion pour lui de retrouver Octave, le fils des voisins, avec qui il a l’habitude de jouer.

Alors que Jacques, discute avec Nicolas, un de ses vieux amis, Gaspard lui demande la permission de rejoindre Octave, pour essayer la mini-moto que celui-ci a reçu à Noël. 

Jacques, voyant que François, le père d’Octave est présent, laisse son petit-fils partir. Après quelques minutes, un bruit sourd retentit. Octave vient prévenir Jacques que son petit fils a heurté une remorque et s’est blessé. 

En apprenant l’accident de son frère, Adhémar convainc ses parents d’agir contre François pour obtenir réparation du préjudice subi par leur fils. François n’entend pas se laisser faire et considère que Jacques a également commis une faute en s’abstenant de surveiller son petit-fils. 

Qu’en pensez-vous ? 

                                                                               ■■■

Plusieurs fondements d’engagement de la responsabilité délictuelle des différents protagonistes sont susceptibles d’être envisagés. 

Dans un premier temps, l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, qui fonde la responsabilité des parents du fait de leur enfant. 

Plusieurs conditions sont requises pour son application : tout d’abord, qu’au moins l’un des parents de l’enfant détienne et exerce l’autorité parentale, ensuite, qu’une communauté d’habitation du ou des parents avec l’enfant puisse être constatée, enfin, que l’enfant ait commis un fait dommageable. Si la première condition ne suscite pas de difficultés particulières, en revanche, les deux dernières méritent quelques précisions. Concernant d’une part la communauté d’habitation, celle-ci est depuis longtemps appréciée en jurisprudence de manière abstraite ; seule compte la cohabitation juridique (Civ. 2e, 20 janv. 2000, n° 98-14.479 : « la cohabitation de l’enfant avec ses père et mère visée par l’article 1384 alinéa 4 du Code civil résulte de la résidence habituelle de l’enfant au domicile des parents ou de l’un d’eux »). Il n’y a donc pas lieu de s’attacher au point de savoir si l’enfant vivait effectivement chez ses parents au moment du dommage ; il suffit qu’il soit censé y résider habituellement. Ainsi la cohabitation ne cesse-t-elle pas en cas de cessation provisoire de la cohabitation de l’enfant avec ses parents, par exemple en cas de séjour chez ses grands-parents. S’agissant d’autre part de la nécessité d’un fait de l’enfant, il convient de préciser qu’il n’est pas exigé, en droit positif, que l’acte du mineur auteur du dommage soit de nature à engager sa propre responsabilité, autrement dit, qu’il soit fautif ; le simple fait dommageable, même non fautif, suffit à engager la responsabilité des parents (Civ. 2e, 10 mai 2001, Levert, n° 99-11.287).

L’engagement de la responsabilité des parents ne requiert pas, en revanche, que ces derniers aient commis une faute, s’agissant d’une responsabilité objective. Selon la même logique, les parents ne peuvent donc s’exonérer de leur responsabilité en prouvant que le dommage n’est pas dû à une faute de leur part. Seule la force majeure ou la faute de la victime peuvent les exonérer de la responsabilité de plein droit qu’ils encourent du fait de leur enfant. L’exonération totale est donc possible en cas de force majeure ou de fait de la victime présentant ses caractères, et la faute de la victime ne revêtant pas les caractères de la force majeure est partiellement exonératoire (Civ. 2e, 19 févr. 1997, Bertrand, n° 94-21.111).

En l’espèce, François, le père d’Octave, pourrait voir sa responsabilité engagée sur ce fondement. En effet, en sa qualité de père, il détient l’autorité parentale et cohabite habituellement avec son fils, du moins rien ne laisse entendre le contraire dans l’énoncé. En outre, alors même que la jurisprudence ne l’exige plus, François était semble-t-il matériellement présent au moment du dommage, dont la survenance devrait d’ailleurs conduire à qualifier son comportement de fautif (faute de négligence). Cependant, la responsabilité parentale étant objective, sa faute est indifférente. Surtout, Octave n’a commis aucun fait dommageable : s’il a certes prêté sa mini-moto à Gaspard, seul ce dernier, en la conduisant maladroitement, est à l’origine du dommage qu’il a subi. En conséquence, François n’a rien à craindre. Sa responsabilité ne pourra être engagée. Quoiqu’il en soit, il n’aurait pu demander à en être partiellement exonéré en invoquant l’éventuelle faute de négligence de Jacques (V. infra), puisque seule la faute de la victime, donc de Gaspard, est susceptible de produire cet effet partiellement exonératoire. Il convient donc d’envisager un autre fondement d’engagement de responsabilité.

La loi du 5 juillet 1985 a créé un régime d’indemnisation pour les victimes d’accident de la circulation. L’article 1er de la loi dispose que « les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’accidents de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques et semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ». 

Trois conditions doivent être remplies pour que la loi puisse s’appliquer. Il faut un véhicule terrestre à moteur, impliqué dans un accident de la circulation et que le dommage causé à la victime soit imputable à l’accident.

La notion de véhicule terrestre à moteur est définie en droit des assurances comme tout engin ayant une force motrice, apte au transport des personnes ou des choses, et évoluant sur le sol. La jurisprudence a une conception extensive de la notion de véhicule terrestre à moteur dans la mesure où elle a pu admettre qu’une tondeuse à gazon entrait dans cette catégorie (Civ. 2e, 24 juin 2004, n° 02-20.208). 

En l’espèce, Gaspard se blesse alors qu’il roulait sur une mini-moto. 

De par sa taille et l’utilisation qui en résulte, la question pouvait se poser de savoir si une mini-moto entrait dans la catégorie des véhicules terrestres à moteur. La Cour de cassation dans un arrêt du 22 octobre 2015 (n° 14-13.994), a jugé qu’une mini-moto se déplaçant sur une route, au moyen d’un moteur à propulsion et avec faculté d'accélération, ne pouvait être considérée comme un jouet et qu’il s’agissait d’un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi de 1985. Ainsi la première condition d’application de la loi est-elle, en l’espèce, remplie.

Se posait ensuite la question de l’implication du véhicule dans l’accident. Il s’agit de l’intervention du véhicule à quelque titre que ce soit ou à quelque moment que ce soit dans la réalisation de l’accident. Si cette condition est facile à prouver en cas de contact entre le véhicule et la victime, elle peut également être remplie en l’absence de contact entre la victime ou son véhicule et un autre véhicule. 

En l’espèce, Gaspard roulait sur une mini-moto lorsqu’il a percuté une remorque. 

Comme cela a été démontré précédemment, la mini-moto doit être considérée comme un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985. Dès lors que la victime conduisait sur la mini-moto au moment de l’accident, duquel résulte un contact entre le véhicule de la victime avec un autre véhicule, l’implication de la mini-moto peut être retenue. 

Enfin, restait à démontrer l’imputabilité du dommage à l’accident. Cette condition suppose de déterminer si le dommage a bien été causé par le véhicule impliqué. En effet, cette distinction trouve toute sa force en présence d’accidents complexes dans lesquels plusieurs véhicules sont impliqués. L’imputabilité du dommage à l’accident est en principe présumée (Civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 95-14.034). Il revient donc au conducteur de prouver que le dommage n’a pas été causé par son véhicule. 

En l’espèce, le dommage causé à Gaspard semble effectivement être imputable à l’accident de mini-moto. 

L’ensemble des conditions permettant l’application de la loi du 5 juillet 1985 sont donc remplies. 

Il s’agit de déterminer quels sont les recours ouverts à la victime. Gaspard a le statut de conducteur. Se pose la question de savoir s’il était gardien de la mini-moto. Traditionnellement, le propriétaire du véhicule est présumé en être le gardien. Lorsque le véhicule n’est pas conduit par son propriétaire, il faut rechercher si la garde du véhicule a été transférée au conducteur. Cette distinction est importante, notamment lorsqu’il s’agit d’un accident de la circulation impliquant un seul et unique véhicule. En effet, dans cette hypothèse, le conducteur victime, pourra agir contre le gardien (Civ. 2e, 2 juill. 1997, n° 96-10.298). A l’inverse, si les deux qualités se confondent, le conducteur victime ne disposera d’aucune action. La jurisprudence est sévère lorsqu’il s’agit d’admettre le transfert de la garde. Hormis les cas particuliers où il est prévu dans un contrat (ex. contrat de location), rares sont les hypothèses où il est reconnu. Pour qu’il y ait transfert, il faut que le conducteur bénéficie de tous les attributs de la garde, qu’il en ait l’entier usage, le contrôle et la direction. La jurisprudence écarte généralement le transfert lorsque la garde n’est que temporaire. 

En l’espèce, Octave avait prêté la mini-moto dont son père est propriétaire à Gaspard afin qu’il puisse l’essayer. 

Il semble qu’il ne s’agisse que d’un prêt pour une durée déterminée. Est donc exclu le transfert de garde à Gaspard. Dans cette hypothèse, les parents de Gaspard pourront agir contre le gardien et donc demander à François à être indemnisé du préjudice subi par leur fils.

La question qui se pose désormais est celle de savoir si François dispose de moyens d’exonération ou d’une possibilité de limiter sa part d’indemnisation.

L’article 2 de la loi du 5 juillet 1985 dispose que « les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule mentionné à l’article 1er ». 

Dès lors, il ne sera pas possible à François, d’invoquer la faute du grand-père de Gaspard pour s'exonérer. 

Cependant, il semble envisageable que François exerce une action récursoire à l’encontre du grand-père de Gaspard, afin de lui faire supporter tout ou partie de l’indemnisation. 

Pour cela, il pourra tenter d’engager la responsabilité délictuelle du grand-père sur le fondement de l’article 1382 et 1383 du Code civil. Il lui incombe donc de rapporter la preuve d’une faute de Jacques, le grand-père de Gaspard. 

En l’espèce, Jacques avait laissé Gaspard partir chez son ami pour essayer une mini-moto. François reproche à Jacques son défaut de surveillance. 

Gaspard avait l’habitude de se rendre chez l’ami de son grand-père pour jouer avec Octave. Jacques avait pu constater qu’un adulte, ici François était présent. Il semble donc difficile de qualifier le comportement de Jacques de fautif. C’est d’ailleurs ainsi que la Cour de cassation a tranché dans une affaire similaire (Civ. 2e, 22 oct. 2015, n° 14-13.994).

Références

■ Civ. 2e, 20 janv. 2000, n° 98-14.479 P, D. 2000. 469, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2000. 340, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 2e, 10 mai 2001Levert, n° 99-11.287 P, D. 2001. 2851, et les obs., rapp. P. Guerder, note O. Tournafond ; ibid. 2002. 1315, obs. D. Mazeaud ; RDSS 2002. 118, obs. F. Monéger ; RTD civ. 2001. 601, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 2e, 19 févr. 1997Bertrand, n° 94-21.111 P, D. 1997. 265, note P. Jourdain ; ibid. 279, chron. C. Radé ; ibid. 290, obs. D. Mazeaud ; ibid. 1998. 49, obs. C.-J. Berr ; RDSS 1997. 660, note A. Dorsner-Dolivet ; RTD civ. 1997. 648, obs. J. Hauser ; ibid. 668, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 2e, 24 juin 2004, n° 02-20.208 P, D. 2004. 2197, et les obs. ; ibid. 2005. 1317, obs. H. Groutel.

■ Civ. 2e, 22 oct. 2015, n° 14-13.994 P, D. 2015. 2181 ; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout.

■ Civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 95-14.034, D. 1997. 384, note C. Radé.

■ Civ. 2e, 2 juill. 1997, n° 96-10.298, D. 1997. 448, note H. Groutel ; ibid. 1998. 203, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1997. 959, obs. P. Jourdain.

 

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

 


 

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