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Le cas du mois

Un fromage non désiré…

[ 12 octobre 2012 ] Imprimer

Introduction au droit

Un fromage non désiré…

Adhémar est lassé des pâtes que ses maigres finances l’obligent pourtant à avaler, chaque soir, après sa dure journée universitaire…

Or, ce samedi soir, de retour chez lui après une nouvelle semaine de dur labeur, il constate avec tristesse, dépit et solitude, qu’il ne lui reste, dans ses placards, qu’un paquet de pâtes… Aussi décide-t-il d’appeler sa bonne amie, Blanche, en lui demandant s’il peut venir dîner chez elle. « Quelle joie, s’exclame-t-elle, j’avais justement préparé ton plat préféré : le ragoût de porc au Mont d’Or. Tu le dégusteras avec Désiré, que j’ai invité à dîner ce soir ! ».

Malheureusement, Désiré, qui a accepté avec empressement l’invitation à dîner de Blanche, déteste le ragoût de porc au Mont d’Or. En se rendant chez son fromager, le très célèbre Tonio dont la notoriété lui a été acquise par ses fameuses quiches à la mimolette vieillie, Désiré apprend que ce dernier vient de vendre à Blanche un magnifique pavé Adhémar pour accompagner, selon les dires du fromager, les belles côtes de porc précédemment achetées chez le boucher, en vue du dîner qu’elle organise, le soir même, chez elle. Désiré comprend alors que ce plat qu’il abhorre lui est destiné. « Ô rage, Ô désespoir, n’ai-je donc tant courtisé Blanche que pour cette infamie ! Non, c’est décidé, je ne me rendrai pas à cette invitation ». Désiré se terre donc sous sa couette et ne daigne même pas prévenir Blanche qu’il ne se rendra pas chez elle.

Celle-ci attend…, attend…, avec Adhémar, jusqu’à 23 heures, et lorsqu’ils se décident à ne plus attendre, le ragoût de porc au Mont d’Or est froid et immangeable. Adhémar invite alors chez lui Blanche à savourer un bon plat de pâtes…

Cette dernière, très choquée par l’impolitesse de Désiré, aimerait savoir si elle peut obtenir qu’il lui rembourse le prix de ses côtes de porc et de son merveilleux Mont d’Or.

■ ■ ■

▪ Exposé des faits utiles et juridiquement qualifiés

Une règle de bienséance est violée. En effet, Désiré a manqué à la règle de convenance sociale selon laquelle la déclinaison d’une invitation à dîner ne peut être soudaine et ne pas être accompagnée d’avertissement, la bienséance exigeant de prévenir son hôte plusieurs heures avant l’heure convenue pour le dîner. En l’espèce, Blanche, très agacée par l’impolitesse de Désiré, compte lui demander le remboursement des frais exposés pour la préparation du dîner.

▪ Problème de droit

La violation d’une règle de bienséance peut-elle être juridiquement sanctionnée par l’indemnisation du préjudice causé par celui qui l’a enfreinte ?

▪ Exposé des généralités théoriques

Comme les règles de droit, les règles de bienséance constituent des règles de conduite, visant à régler, du moins en partie, la vie en société. Comme toutes les règles de conduite (juridiques, religieuses, morales, etc.…), les règles de bienséance composent un ordre normatif.

Cet ordre est proche de l’ordre juridique : en effet, les règles de bienséance ont un caractère abstrait, elles commandent une conduite et sont obligatoires, dans la mesure où le non-respect des règles de ce type exposera celui qui les a violées à une sanction.

Néanmoins, ce système normatif que constituent les règles de bienséance se distingue de cet autre système normatif qu’est le droit. Leur distinction repose essentiellement sur la sanction : à la différence de la règle de droit, qui suppose une contrainte étatique et l’éventuelle intervention du juge en cas de violation de la règle, la règle de bienséance ne peut faire l’objet de coercition étatique et d’une mise en œuvre par le juge. Indépendante de la sphère du droit, la règle de bienséance ne constitue pas une obligation juridique susceptible d’être sanctionnée par un juge. Interne, sa sanction consistera dans le remords ou le sentiment de culpabilité, notamment causés par l’exclusion du « groupe » concerné, de celui qui l’a violée. Par conséquent, il n’est pas possible d’engager, juridiquement, la responsabilité de ce dernier, peu important d’ailleurs que soit envisagée la responsabilité civile ou pénale de l’individu impoli.

▪ Application au cas

En l’espèce, même si l’invitation à dîner n’a pas été honorée et que Blanche a engagé des frais pour la préparation du dîner, cette dernière ne peut en demander le remboursement à son invité Désiré qui n’a enfreint, par son impolitesse, qu’une règle de bienséance.

Remerciements

■ La rédaction de Dalloz Actu Étudiant remercie Mme Astrid Marais, maître de conférences à Paris II, et auteur des ouvrages Introduction au droit, éd. Vuibert, 2011 et Droit des personnes, Dalloz, 2012, pour le libellé de ce sujet.

 

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