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Procédure pénale
Instruction : validité des transcriptions de conversations téléphoniques incidentes avec un avocat
Mots-clefs : Instruction, Écoutes téléphoniques, Avocat, Confidentialité, Procédure incidente
Les officiers de police judiciaire qui, à l'occasion de l'exécution d'une commission rogatoire, acquièrent la connaissance de faits nouveaux, peuvent, avant toute communication au juge d'instruction des procès-verbaux qui les constatent, effectuer d'urgence, en vertu des pouvoirs propres qu'ils tiennent de la loi, les vérifications sommaires qui s'imposent pour en apprécier la vraisemblance, pourvu qu’elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l'action publique. Tel est le cas de la retranscription d’écoutes téléphoniques ordonnées dans le cadre d’une information ouverte du chef de d’infractions à la législation des stupéfiants et révélant un délit de révélation d'information d'une instruction prévu à l’article 434-7-2 du code pénal.
Cet arrêt rappelle les pouvoirs dont disposent le juge d'instruction et les OPJ qui, au cours de leurs investigations, découvrent un fait nouveau. Il permet aussi de revenir sur le principe et les limites de la confidentialité des communications d’un avocat.
En l’espèce, dans une information ouverte des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, de non-justification de ressources et d'association de malfaiteurs, une interception de la ligne de l'un des mis en cause, M. X, a permis l'enregistrement d'une conversation téléphonique, entre celui-ci et l'avocat d'un mis en examen qui avait accusé son frère d'être l'instigateur du trafic. Cette écoute laissait penser que pouvait être commis, lors d'un rendez-vous organisé au cabinet de cet auxiliaire de justice, le délit de révélation d'information d'une instruction aux auteurs ou complices de l'infraction reprochée prévu à l’article 434-7-2 du Code pénal caractérisé par la communication, à un tiers, de la copie du dossier de l'instruction. La teneur des conversations téléphoniques entre l'avocat et M. X indiquait que cet avocat avait accepté de transmettre copies de pièces du dossier de la procédure d'information en cours à une partie qui n’était pas son client et qui était suspectée d'être le commanditaire des opérations d’importation des produits stupéfiants. Les enquêteurs ont alors mis en place une surveillance aux abords de ce cabinet, et ont pu voir M. X pénétrer dans les lieux puis, par le biais d'une interception régulièrement décidée, avoir la confirmation de la vraisemblance objective de la commission du délit constitutif d'un fait nouveau, sur le fondement duquel le procureur de la République compétent, avisé par le juge d'instruction mandant, a requis l'ouverture d'une information de ce chef. L'avocat, mis en examen dans le cadre de cette nouvelle instruction, dépose aussitôt une requête en annulation des actes ayant abouti au constat de ce fait nouveau (la retranscription des écoutes téléphoniques) que la chambre d'accusation rejette. Le demandeur à l'annulation forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Dans sa décision du 27 mars 2012, la chambre criminelle rejette celui-ci en rappelant une solution classique selon laquelle « dès lors que les officiers de police judiciaire qui, à l'occasion de l'exécution d'une commission rogatoire, acquièrent la connaissance de faits nouveaux, peuvent, avant toute communication au juge d'instruction des procès-verbaux qui les constatent, effectuer d'urgence, en vertu des pouvoirs propres qu'ils tiennent de la loi, les vérifications sommaires qui s'imposent pour en apprécier la vraisemblance, pourvu que, comme en l'espèce, elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l'action publique ».
Rappelons que les pouvoirs accordés au juge d’instruction, qui lui permettent de procéder à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité, sont limités aux seuls faits dont il est régulièrement saisi en vertu du principe de saisine in rem. Si des faits nouveaux sont découverts au cours d’une information, le juge d’instruction doit, aux termes de l’article 80 alinéa 3 du Code de procédure pénale, communiquer immédiatement au procureur les procès-verbaux qui les constatent. Toutefois, il peut, avant toute communication, effectuer des vérifications sommaires pour en apprécier la vraisemblance sans pour autant procéder à des actes qui, présentant un caractère coercitif, exigent la mise en œuvre de l’action publique (Crim. 6 févr. 1996). La vérification non « coercitive » est donc celle qui n'exige pas la mise en mouvement préalable de l'action publique. Il est ainsi exclu par exemple, en application de cette jurisprudence, qu'un juge d'instruction, qui découvre fortuitement des faits autres que ceux dont il est saisi ordonne des écoutes téléphoniques.
Qu’en est-il alors de la retranscription d’écoutes téléphoniques ? Le demandeur au pourvoi prétendait que « la retranscription d’écoutes téléphoniques est une mesure attentatoire à liberté individuelle dont la mise en œuvre exige la mise en mouvement de l’action publique ». La chambre criminelle approuve en l’espèce les juges du fond d’avoir au contraire considéré « qu’à cet égard, s'agissant de vérifications sommaires destinées à apprécier la vraisemblance du renseignement obtenu et à asseoir la conviction du juge d'instruction d'un fait nouveau susceptible d'une qualification pénale, les officiers de police judiciaire, régulièrement commis par le magistrat instructeur, sont fondés à retranscrire, comme il est de jurisprudence constante, les informations se rapportant à l'interception de ces communications, afin de permettre au juge, saisi de faits complexes et initiaux d'importation et de trafic de produits stupéfiants, de se convaincre de la réalité de l'entrave à l'exercice de la justice et d'apprécier l'opportunité d'une communication de la procédure au parquet ».
S’agissant du régime de protection des correspondances émises par ou vers un avocat, la chambre criminelle ne répond pas sur ce terrain comme l’y invitait le demandeur au pourvoi. Ce dernier invoquait la méconnaissance du régime de protection des correspondances émises par ou vers un avocat, qui a vocation à protéger l'exercice des droits de la défense. Le moyen soulevé n’avait aucune chance de prospérer : l'avocat ne peut s'abriter derrière le secret professionnel quand il commet une infraction.
Les écoutes téléphoniques bénéficient d’un régime dérogatoire afin de protéger l'exercice des droits de la défense. Aux termes des articles 100-5 et 100-7 du Code de procédure pénale, aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier ne soit informé par le juge d’instruction. De plus, les correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense ne peuvent être transcrites sous peine de nullité, celle-ci devant être relevée d’office par les juges (Crim. 18 janv. 2006).
En cas d’interception fortuite d’une conversation entre un avocat et son client ou un tiers, la jurisprudence admet qu’il résulte des articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, 100-5 et 206 du Code de procédure pénale et 8 de la Conv. EDH que si elle est surprise à l’occasion d’une mesure d’instruction régulière, la conversation ne peut être transcrite et versée au dossier de la procédure que s’il apparaît que son contenu est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction (Crim. 1er oct. 2003). À défaut, la retranscription doit être annulée (Crim. 17 sept. 2008). En l’espèce, la régularité de la transcription de la conversation téléphonique entre l’avocat et la personne placée sous écoutes entrait bien dans le cadre de la dérogation jurisprudentielle au régime de protection des correspondances émises par ou vers un avocat : le contenu de la conversation était de nature à faire présumer la participation de l’avocat à une infraction : ici la violation du secret de l’instruction.
Crim. 27 mars 2012, n° 11-88.321 F-P+B
Références
■ Crim. 6 févr. 1996, n°95-84.041 ; D. 1996. 198, note Pradel.
■ Crim. 18 janv. 2006, n°05-86.447, AJ penal 2006. 254, note Dourneau-Josette ; RSC 2006. 413, note Buisson.
■ Crim. 1er oct. 2003, n°03-82.909, D. 2004. 671, obs. Pradel.
■ Crim. 17 sept. 2008, AJ pénal 2008. 467, note S. Lavric.
■ Article 434-7-2 du code pénal
« Sans préjudice des droits de la défense, le fait, pour toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance, en application des dispositions du code de procédure pénale, d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours concernant un crime ou un délit, de révéler sciemment ces informations à des personnes qu'elle sait susceptibles d'être impliquées comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation est réalisée dans le dessein d'entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
Lorsque l'enquête ou l'instruction concerne un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement relevant des dispositions de l'article 706-73 du code de procédure pénale, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende. »
■ Code de procédure pénale
Article 80 (version est en vigueur jusqu'au 1er janvier 2014)
« I. Le juge d'instruction ne peut informer qu'en vertu d'un réquisitoire du procureur de la République.
Le réquisitoire peut être pris contre personne dénommée ou non dénommée.
Lorsque des faits, non visés au réquisitoire, sont portés à la connaissance du juge d'instruction, celui-ci doit immédiatement communiquer au procureur de la République les plaintes ou les procès-verbaux qui les constatent. Le procureur de la République peut alors soit requérir du juge d'instruction, par réquisitoire supplétif, qu'il informe sur ces nouveaux faits, soit requérir l'ouverture d'une information distincte, soit saisir la juridiction de jugement, soit ordonner une enquête, soit décider d'un classement sans suite ou de procéder à l'une des mesures prévues aux articles 41-1 à 41-3, soit transmettre les plaintes ou les procès-verbaux au procureur de la République territorialement compétent. Si le procureur de la République requiert l'ouverture d'une information distincte, celle-ci peut être confiée au même juge d'instruction, désigné dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 83.
En cas de plainte avec constitution de partie civile, il est procédé comme il est dit à l'article 86. Toutefois, lorsque de nouveaux faits sont dénoncés au juge d'instruction par la partie civile en cours d'information, il est fait application des dispositions de l'alinéa qui précède.
II.-En matière criminelle, ainsi que lorsqu'il requiert une cosaisine, le procureur de la République près le tribunal de grande instance au sein duquel il n'y a pas de pôle de l'instruction est compétent pour requérir l'ouverture d'une information devant les magistrats du pôle territorialement compétents pour les infractions relevant de sa compétence en application de l'article 43, y compris en faisant déférer devant eux les personnes concernées.
Dans les cas prévus au premier alinéa, le réquisitoire introductif peut également être pris par le procureur de la République près le tribunal de grande instance au sein duquel se trouve le pôle, qui est à cette fin territorialement compétent sur l'ensemble du ressort de compétence de ce pôle, y compris pour diriger et contrôler les enquêtes de police judiciaire.
Le procureur de la République près ce tribunal de grande instance est seul compétent pour suivre le déroulement des informations visées aux alinéas précédents jusqu'à leur règlement.
En cas de renvoi devant la juridiction de jugement, l'affaire est renvoyée, selon le cas, devant la juridiction de proximité, le tribunal de police, le tribunal correctionnel, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises initialement compétents.
III.-Si le procureur de la République près le tribunal de grande instance dans lequel il y a un pôle de l'instruction constate qu'une personne est déférée devant lui en vue de l'ouverture d'une information en application du deuxième alinéa du II et qu'il estime qu'aucune information relevant de la compétence du pôle ne doit être ouverte, il peut, avant de transmettre le dossier de la procédure au procureur de la République territorialement compétent, requérir le placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire de la personne selon les modalités prévues par le troisième alinéa de l'article 394 et l'article 396. Si la personne est placée en détention provisoire, elle doit comparaître devant le procureur de la République territorialement compétent au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. À défaut, elle est mise d'office en liberté. »
« Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui transcrit la correspondance utile à la manifestation de la vérité. Il en est dressé procès-verbal. Cette transcription est versée au dossier.
Les correspondances en langue étrangère sont transcrites en français avec l'assistance d'un interprète requis à cette fin.
À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense.
À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d'identifier une source en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
« Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d'un député ou d'un sénateur sans que le président de l'assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d'instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d'instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un magistrat ou de son domicile sans que le premier président ou le procureur général de la juridiction où il réside en soit informé.
Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité. »
« Sous réserve des dispositions des articles 173-1, 174 et 175, la chambre de l'instruction examine la régularité des procédures qui lui sont soumises.
Si elle découvre une cause de nullité, elle prononce la nullité de l'acte qui en est entaché et, s'il y échet, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure.
Après annulation, elle peut soit évoquer et procéder dans les conditions prévues aux articles 201, 202 et 204, soit renvoyer le dossier de la procédure au même juge d'instruction ou à tel autre, afin de poursuivre l'information. »
■ Article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques
« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.
Ces dispositions ne font pas obstacle, à compter de la conclusion d'un contrat de fiducie, à l'application à l'avocat qui a la qualité de fiduciaire, de la réglementation spécifique à cette activité, sauf pour les correspondances, dépourvues de la mention " officielle ", adressées à cet avocat par un confrère non avisé qu'il agit en cette qualité.
Le présent article ne fait pas obstacle à l'obligation pour un avocat de communiquer les contrats mentionnés à l'article L. 222-7 du code du sport et le contrat par lequel il est mandaté pour représenter l'une des parties intéressées à la conclusion de l'un de ces contrats aux fédérations sportives délégataires et, le cas échéant, aux ligues professionnelles qu'elles ont constituées, dans les conditions prévues à l'article L. 222-18 du même code. »
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
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