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[ 1 juillet 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Monopole bancaire : nature et sanction des opérations proscrites

S’il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel, le seul fait qu'une opération de crédit ait été conclue en méconnaissance de cette interdiction n'est pas de nature à entraîner l'annulation du prêt.

Com. 15 juin 2022, n°20-22.160 B

Ce que l’on appelle communément « monopole bancaire » consiste en l’interdiction faite à toute personne autre que certaines catégories d’entités habilitées à cet effet d’effectuer, de manière habituelle, des opérations de banque. L’article L. 511-5 du Code monétaire financier proscrit à ce titre « à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel ». Succinct, ce texte mérite un éclairage apporté par l’arrêt rapporté, dont les faits lui ayant donné lieu offrent à la Cour l’opportunité de préciser à la fois la nature des opérations visées et la sanction encourue en cas d’infraction à cette disposition.

Au cas d’espèce, un distributeur conclut en 2012 un contrat avec un fournisseur, aux termes duquel le premier s’engage à acheter au second, annuellement, une certaine quantité de lubrifiants, durant 5 ans. En contrepartie de cet engagement de commandes, le fournisseur consent au distributeur une remise de 50 %, calculée sur son chiffre d’affaires, ainsi qu’une « avance sur remises », à hauteur de 30 000 euros, amortissable en cinq annuités. Après le placement du distributeur en liquidation judiciaire, le fournisseur assigne le couple qui s’était porté caution solidairement des engagements de son cocontractant. La cour d’appel rejette sa demande et annule les remises consenties par le fournisseur en méconnaissance du monopole bancaire. Devant la Cour de cassation, le fournisseur conteste l’annulation de ce que la juridiction du second degré qualifie de prêt, alors que le monopole conféré aux établissements de crédit d’effectuer des opérations bancaires de manière habituelle ne fait pas obstacle à ce qu’une entreprise puisse, en contrepartie de l’exclusivité habituellement demandée à ses cocontractants, consentir à ces derniers des avances et remises de paiement.

La chambre commerciale devait alors trancher deux problèmes complémentaires mais distincts.

D’une part, elle devait répondre à la question de savoir si l’« avance sur remises » litigieuse constituait bien une violation du monopole bancaire. D’évidence consentie par une personne exclue de ce monopole (un fournisseur), il convenait en vérité de déterminer si l’opération litigieuse correspondait à une opération de crédit habituellement pratiquée, seule celle-ci étant réservée aux établissements bancaires et sociétés de financement. À cette première question, la chambre commerciale répond par l’affirmative.

Elle qualifie l’avance sur remises de « prêt […] à intérêts », et ajoute que cette opération de crédit, au sens de l'article L. 311-1 du Code monétaire et financier, ne correspond pas aux exceptions prévues par l'article L. 511-7, I, 1, du même code, dès lors qu'elle ne consiste ni en l'octroi de délais de paiement ni en la perception d'avances de paiement. Elle retient enfin que le fournisseur a précisé conclure habituellement ce type de prêts avec sa clientèle. La Cour approuve alors les juges du fond d’avoir « exactement déduit » que les parties avaient conclu une opération de crédit prohibée, peu important que, dans leur esprit, le prêt litigieux était conçu non pas comme une opération de crédit purement financière mais davantage comme « le complément indissociable d’un contrat d'approvisionnement exclusif ».

D’autre part, la Cour devait se prononcer sur la sanction de l’opération de crédit effectuée en violation du monopole bancaire. La cour d’appel avait conclu à la nullité de l’opération de prêt, considérant implicitement l’article L. 511-5 du Code monétaire et financier comme une disposition d’ordre public. Elle est sur ce point censurée par la Cour de cassation. Sanctionnée pénalement et sur le plan disciplinaire, la violation de la prohibition n’emporte pas, en revanche, de sanction civile : « le seul fait qu'une opération de crédit ait été conclue en méconnaissance de cette interdiction n'est pas de nature à en entraîner l'annulation ».

En somme, la pratique de l’avance sur remise constitue une violation du monopole bancaire, mais ne peut être sanctionnée par la nullité du prêt.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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