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[ 15 décembre 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Éviction du fait du tiers : un trouble de droit simplement éventuel empêche la garantie

En l’absence de suite judiciaire aux courriers du tiers, invitant les acheteurs à remédier à l’empiètement de leur propriété sur son fonds, le vendeur n’a pas à garantir ses cocontractants contre ce risque d’éviction.

Civ. 3e, 30 nov. 2022, 21-20.033 B

Après avoir acquis, le 6 septembre 2011, un bien immobilier comprenant une piscine, les nouveaux propriétaires avaient appris que leur piscine empiétait sur la parcelle voisine, appartenant à une société civile immobilière. Ils avaient donc assigné leurs vendeurs en garantie d’éviction du fait du tiers. En l’absence de trouble actuel justifiant la garantie d'éviction, la cour d’appel les débouta de leur demande : elle releva en ce sens qu'une lettre adressée le 1er juin 2012 par la SCI aux acheteurs, les invitant à prendre les mesures nécessaires pour retrouver les limites de leur parcelle, n'avait fait l'objet d'aucune suite et que, si, par une autre lettre, datée du 1er avril 2016, la SCI leur avait rappelé qu'aux termes de l'article 544 du Code civil, ils pourraient être contraints de démolir « la barrière » à leurs frais, aucune action judiciaire n'avait été intentée par ce tiers afin d'être rétabli dans ses droits.

Devant la Cour de cassation, le couple d’acquéreurs soutenait l’existence d’un risque d’éviction, suffisant à mettre en œuvre la garantie : le contenu des courriers qui leur avaient été adressés caractériserait ce risque, lié à l’éventualité d’une action en revendication par la SCI. La troisième chambre civile rejette le pourvoi. Elle approuve la cour d’appel d’avoir à bon droit énoncé que l'éviction supposant un trouble actuel et non simplement éventuel, la simple connaissance par l'acheteur de l'existence d'un droit au profit d'un tiers susceptible de l'évincer ne suffit pas à lui permettre d'agir en garantie. En l’absence de suite judiciaire aux courriers litigieux, elle a pu déduire, de ces seuls motifs, que l'existence d'un trouble de droit actuel subi par les acheteurs n'était pas établie, et ainsi légalement justifié sa décision.

Aux termes de l’article 1625 du Code civil, la garantie que le vendeur doit à l’acquéreur a pour premier objet la possession paisible de la chose vendue. Ce que l’on nomme traditionnellement la garantie d’éviction a pour but de prolonger l’obligation de délivrance incombant au vendeur pour offrir à l’acheteur, une fois cette obligation exécutée, la promesse de sa continuité en lui assurant une tranquille possession de la chose acquise.

Si l’éviction peut émaner du vendeur lui-même (garantie du fait personnel), elle peut également, comme en témoigne la décision rapportée, provenir d’un tiers. Conformément à la logique de la garantie, le vendeur est en effet tenu de garantir l’acheteur contre les troubles émanant d’autres personnes que lui. L’idée également défendue est que si des tiers prétendent avoir des droits sur la chose vendue, c’est probablement parce que le vendeur a cédé un droit qu’il ne détenait pas, un tiers en étant préalablement titulaire. D’où sa mise en cause au titre de la garantie d’éviction.

Ceci explique que la garantie du vendeur ne puisse jouer, comme le rappelle ici la Cour, que pour des troubles de droit, à l’exclusion des troubles de fait (Civ. 3e, 11 mai 2011, n° 10-13.679). En effet, si le vendeur est légitimement garant du droit qu’il a transmis à l’acheteur et ainsi tenu de le défendre contre une prétention juridique émanant d’un tiers susceptible d’entraver sa jouissance paisible du bien qu’il a acquis de lui, il n’a pas, en revanche, à le garantir contre les troubles factuels que l’acheteur peut, seul, faire cesser.

Cela explique également la condition de concomitance à la vente de la cause de l’éviction. Pour que la garantie d’éviction du fait d’un tiers puisse être mise en œuvre, le vendeur doit en effet avoir transmis à tort un droit dont il n’était pas titulaire au jour du transfert. Ainsi la jurisprudence fait-elle dépendre la mise en œuvre de la garantie d’ « un trouble de droit, existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l’acheteur » (Civ. 1re, 28 oct. 2015, n° 14-15.114). S’il n’a donc pas à garantir les évictions dont la cause, postérieure à la vente, le rend étranger au trouble créé, sa garantie couvre en revanche toutes celles qui trouvent leur origine avant la vente. Partant, le trouble né de la découverte d’un droit invoqué en justice par un tiers sur la chose vendue avant la conclusion de la vente constitue un trouble actuel, obligeant de ce seul fait le vendeur à garantir son acquéreur ; quoique le succès d’une action en justice ne soit jamais certain, dans cette hypothèse, le trouble existe avant même qu’intervienne un jugement le constatant (v .à propos d’une action en rescision, Civ. 3e, 4 juill. 1968, n°66-12.296). Autrement dit, le vendeur a l’obligation de garantir l’acquéreur de toute éviction que la prétention d’un tiers fait peser sur cet acquéreur dans le cadre d’une action judiciaire, quelle qu’en soit l’issue, dès lors que le droit de l’acheteur à sa jouissance paisible du bien s’en trouve atteint (Civ. 3e, 3 déc. 2008, n° 07-14.545 : revendication par un tiers d’une partie d’un terrain acquis et impossibilité corrélative pour l’acheteur de publier la vente. Ce dernier ne pouvait donc jouir paisiblement du bien puisque celui-ci était revendiqué par un tiers et que la transaction ne pouvait être publiée).

S’il n’est pas exigé que l’acquéreur soit effectivement évincé (dépossédé) du bien, il est en revanche nécessaire que le tiers ait effectivement intenté une action en justice afin d’être rétabli dans ses droits pour que le trouble, qui doit être actuel, ne soit pas considéré comme purement éventuel, comme dans l’affaire rapportée. La simple existence d’un droit susceptible d’évincer l’acquéreur ne suffit pas ; encore faut-il que le tiers revendique ce droit en justice pour que l’acquéreur, sachant l’existence de ce droit et le risque d’éviction qu’il encourt, puisse obtenir la garantie du vendeur.

Références :

■ Civ. 3e, 11 mai 2011, n° 10-13.679 P D. 2011. 1483.

■ Civ. 1re, 28 oct. 2015, n° 14-15.114 P : D. 2015. 2248 ; AJDI 2016. 526, obs. A. Delmotte.

■ Civ. 3e, 4 juill. 1968, n°66-12.296

■ Civ. 3e, 3 déc. 2008, n° 07-14.545 P : D. 2009. 98.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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