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[ 20 juin 2022 ] Imprimer

Ministre, exemplarité et siège éjectable ?

Les évènements ayant émaillé la finale de la Ligue des champions le 28 mai 2022 ont été d’une réelle gravité, entraînant des auditions devant les Commissions du Sénat et le dépôt de multiples plaintes. Si le déroulé des faits doit encore être précisé, la préparation de ce rendez-vous sportif et la gestion de l’ordre public n’ont pas été conformes aux attentes. Dans de nombreux États, la démission du ministre de l’Intérieur aurait été la règle. En France, la situation ne s’est pas présentée et le Président de la République n’a pas pris lui-même la décision de mettre fin aux fonctions de son ministre, conformément à l’article 8 de la Constitution. Certes, la période électorale rendait sans doute une telle décision plus complexe pour le Président, mais le ministre aurait pu agir de lui-même.

L’absence de prise de responsabilité n’a, en réalité, rien d'exceptionnelle, peu importe le calendrier électoral. La démission individuelle d’un membre du gouvernement en raison de défaillance de son ministère ou de son administration ne constitue plus la voie privilégiée. Pourtant les occasions n’ont pas manqué ces dernières années avec la crise relative aux masques, y compris auprès des professionnels de santé, ou encore l’élaboration contestée du protocole pour la rentrée scolaire en décembre 2021 alors que le ministre de l’Éducation était en vacances à l’étranger.

L’approche est radicalement différente chez nos voisins où la démission s’impose dès lors que les décisions prises n’ont pas permis d’éviter ou de surmonter une crise efficacement. Ainsi, au Danemark, le choix d’abattre 17 millions de visons dans le cadre de gestion de la Covid a obligé le ministre de l’Agriculture à démissionner. De même, le fait pour le ministre britannique de ne pas respecter les règles édictées pour lutter contre la pandémie a conduit à sa démission. Au-delà, dans de nombreux États, les ministres et même les hauts fonctionnaires se doivent d’être exemplaires dans leur comportement au regard même de leurs fonctions. La moindre faute ou le moindre écart est rédhibitoire. C’est ainsi que la ministre de la Famille allemande a présenté sa démission parce qu’elle était partie en vacances alors qu’un Lander avait subi de fortes inondations, Lander dans lequel elle avait été ministre de l’Environnement. Également, toutes confusions entre dépenses personnelles et activités de ministre impliquent une démission, comme en Suède en raison du paiement de sucrerie avec la carte de crédit de fonction.

Il en est de même pour des emplois de nourrice non déclarés ou encore pour faits liés aux mœurs en Norvège entre un ministre et une lycéenne de 18 ans, datant de plusieurs années, indépendamment de l’aspect répréhensible. L’approche est similaire au niveau de l’Union, où le commissaire irlandais a dû quitter ses fonctions pour ne pas avoir respecté les règles sanitaires en Irlande, puisqu’il a participé à un dîner de gala en dépit des restrictions sanitaires. Si des démissions en France ont existé, comme celle de François de Rugy, en raison d’interrogation sur la gestion de fonds publics, ou encore de Jérôme Cahuzac, sur une dissimulation de comptes à l’étranger, elles sont rares et non liées à l’activité de ministre elle-même.

Cette résistance à la démission a nécessairement des implications sur la fonction même de ministre et plus largement sur le rôle de l’exécutif. La reconnaissance d’une responsabilité n’est rien s’il n’existe aucun risque réel à endosser les conséquences d’insuffisances. La démission traduit en outre la capacité effective du ministre à prendre des décisions et à organiser les administrations sous son autorité. La démission n’a de sens que si le ministre accepte son rôle, intervenant sous une double fonction, politique, d’une part, en tant que membre de gouvernement ayant une feuille de route, et chef hiérarchique de son administration, d’autre part. Le refus de s’effacer signifie, par opposition, que le ministre n’est plus un acteur privilégié, décisionnaire, mais un agent, prisonnier de son administration, adoptant des décisions sans son aval.

En l’absence de recours à la démission, l’accent est mis sur le rôle plus secondaire du ministre, consacré à la gestion, à la communication, sans emprise sur l’action publique. Par des effets de vase communicant, le rôle du Président en sort renforcé, ce dernier assumant le rôle de chef de l’exécutif, alors même qu’il est irresponsable politiquement. Ceci emporte un affaiblissement supplémentaire de la fonction ministérielle. Il y a même une perte de sens de la démission, dès lors que celle-ci s’impose par une règle, en dehors de la Constitution, pour toute défaite aux élections législatives. Ainsi il y a une déconnexion entre le rôle attendu du ministre et les conséquences à en tirer et les hypothèses où la démission est retenue.

Sans doute l’adoption d’un code de conduite, dans le prolongement de ce qui est instauré au niveau de l’Union européenne (Rapport annuel sur l’application du code de conduite pour les membres de la Commission européenne 2021, 29 mai 2022) serait nécessaire pour rappeler que la fonction de ministre n’est pas seulement honorifique, mais qu’elle emporte des obligations, y compris celles de la remise en cause du « maroquin ». C’est ce qui en fait la grandeur et emporte le respect. Cette attitude aurait sans doute un effet d’exemplarité et par ricochet à l’égard des responsables des grandes entreprises publiques et des établissements publics, quand on se souvient que l’accident de train de Brétigny, en 2013, n’a entraîné aucune démission au sein de la SNCF.

 

Auteur :Vincent Bouhier


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