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[ 12 avril 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Accès restreint aux études v. droit à l’instruction

Mots-clefs : Union européenne, Droit à l’instruction, Concours, Numerus clausus

La réglementation de l'accès à des études particulières n’est pas contraire à la législation de l’Union européenne, ni au droit à l'instruction, si les restrictions qui y sont apportées sont proportionnées.

Des étudiants italiens ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH), en soutenant que la combinaison d’un numerus clausus et d’un concours d’entrée dans les universités de médecine et dentaire constitue une restriction contraire à la Constitution italienne et à l’article 2 du Protocole n° 1 (droit à l’instruction) de la Convention européenne des droits de l’homme.

En vertu de l’article 2 du Protocole n° 1 susvisé : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction ». Bien qu’il s’agisse d’une formulation négative, la CEDH, par le biais de sa jurisprudence, a rapidement procédé à une réécriture positive. Dès lors ledit article doit être entendu comme le droit de chacun à l’instruction. Il convient de noter que celui-ci a été érigé en droit fondamental (CEDH 7 déc. 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark  ; reprise par la suite notamment par CEDH, gr. ch., 29 juin 2007, Folgero et a. c. Norvège) et qu’il a été expressément étendu à l’enseignement supérieur (CEDH, gr. ch., 10 nov. 2005, Leyla Sahin c. Turquie).

Cependant, comme le rappelle la Cour dans l’arrêt ici commenté, « le droit à l’instruction ne s’applique que dans la mesure où il existe et dans les limites qui l’encadrent ». Ainsi tout le monde a droit à une instruction, mais l’accès à des niveaux d’instruction peut être limité à certaines personnes. En l’espèce, pour apprécier la proportionnalité des restrictions litigieuses, la CEDH a mis en balance les intérêts des requérants, ceux de la société en général et ceux des autres étudiants. Il en résulte :

– concernant le concours d'entrée obligatoire : il est de jurisprudence constante que les États sont libres d’organiser des sélections lors des études ou par un concours d’accès (Comm. décis., 9 déc. 1980, X c. R-U), tant que ces limitations n’atteignent pas le droit à l’instruction dans sa substance même. Autrement dit, chaque personne peut prétendre à l’accès à l’instruction mais rien ne garantit qu’elle y arrive. En l’espèce, la Cour reconnaît que la mise en place d'examens, lorsqu'ils sont adéquats, permet d'assurer un niveau de haute qualité d’enseignement à l’Université. Cette mesure vise à ce que les étudiants puissent acquérir un certain nombre de compétences et de connaissances nécessaires à l'exercice de leur profession ;

– concernant la limitation du nombre d'entrées (numerus clausus) : une telle restriction étant fonction du besoin social de professions particulières et des ressources matérielles de l'Université, la Cour juge cette mesure proportionnée. Cette solution suit le courant établi par un arrêt du 23 juillet 1968 dans lequel la Cour avait déduit de l’article 2 du Protocole n° 1 que « les Parties Contractantes ne reconnaissent pas un droit à l’instruction qui les obligerait à organiser à leurs frais, ou à subventionner, un enseignement d’une forme ou à un échelon déterminés » (affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique : CEDH 23 juill. 1968). La position soutenue, en l’espèce, se comprend d’autant plus que l’État prend en compte dans ses calculs l’intégration sur le marché du travail des candidats reçus. Étant donné que la majorité des diplômés reste dans l’État membre et ne souhaite pas aller chercher du travail à l’étranger, la Cour juge qu’il est raisonnable pour celui-ci d'anticiper un probable chômage sur ces secteurs, ce qui représente une charge pour la société dans son ensemble.

Au surplus, la Cour estime que le droit à l'instruction était respecté en ce que les requérants pouvaient repasser autant de fois qu’ils le souhaitaient ledit concours, poursuivre leurs études à l'étranger ou s’orienter vers d’autres cursus. L’État italien n’ayant pas outrepassé la marge d’appréciation dont il dispose pour statuer sur la question de la réglementation de l’accès à l’instruction, la Cour juge donc que celui-ci n’a pas violé l’article 2 du Protocole n°1.

On soulignera, à titre de comparaison, qu’en France, l’accès aux études médicales est lui aussi limité (v. not., C. éduc., art. L. 631-1). Des affaires similaires ont de même été portées devant les juridictions nationales. C’est ainsi, notamment, que le tribunal administratif de Lyon a reconnu la légalité du système de régulation par concours « dès lors qu'il est fondé sur le mérite des étudiants et qu'il est justifié par un but d'intérêt général tiré de la protection de la santé publique, sans établir aucune distinction en fonction de leur nationalité » (TA Lyon, 20 oct. 2011).

CEDH 2 avr. 2013, Tarantino et autres c. Italie, n° 25851/09, 29284/09 et 64090/09

Références

 Gérard Gonzalez, « Le droit à l’instruction au sens de la Convention européenne des droits de l’homme », RFDA 2010. 1003.

 CEDH. 7 déc. 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n° 5095/71 ; 5920/72 ; 5926/72.

 CEDH, Gr. Ch., 29 juin 2007, Folgero et a. c. Norvège, n° 15472/02.

 CEDH, gr. ch., 10 nov. 2005, Leyla Sahin c. Turquie, n°44774/98.

 Comm., décis., 9 déc. 1980, X c. R.-U., req. 8844/80.

 CEDH 23 juill. 1968, affaire « relative a certains aspects du régime linguistique de l'enseignement en Belgique » c. Belgique, n° 1474/62 ; 1677/62 ; 1691/62 ; 1769/63 ; 1994/63 ; 2126/64.

 TA Lyon, 20 oct. 2011, n° 0904978.

■ Article 2 du Protocole n°1 - Droit à l'instruction

« Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'État, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

 Article L. 631-1 du Code de l’éducation

« I. - La première année des études de santé est commune aux études médicales, odontologiques, pharmaceutiques et de sage-femme. Les ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé déterminent par voie réglementaire : 

1° L'organisation de cette première année des études de santé ; 

2° Le nombre des étudiants admis dans chacune des filières à l'issue de la première année des études de santé ; ce nombre tient compte des besoins de la population, de la nécessité de remédier aux inégalités géographiques et des capacités de formation des établissements concernés. Toutefois, les universités peuvent répartir ce nombre entre plusieurs unités de formation et de recherche pour répondre à des besoins d'organisation et d'amélioration de la pédagogie. Un arrêté détermine les critères de répartition de ce nombre de façon à garantir l'égalité des chances des candidats ; 

3° Les modalités d'admission des étudiants dans chacune des filières à l'issue de la première année ; 

4° Les conditions dans lesquelles les étudiants peuvent être réorientés à l'issue du premier semestre de la première année des études de santé ou au terme de celle-ci ainsi que les modalités de leur réinscription ultérieure éventuelle dans cette année d'études. 

II. - 1. Des candidats, justifiant notamment de certains grades, titres ou diplômes, peuvent être admis en deuxième année ou en troisième année des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou de sage-femme. 

2. Peuvent également être admis en deuxième année des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou en première année d'école de sage-femme des étudiants engagés dans les études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou de sage-femme et souhaitant se réorienter dans une filière différente de leur filière d'origine ; cette possibilité de réorientation est ouverte aux étudiants ayant validé au moins deux années d'études dans la filière choisie à l'issue de la première année. 

Les ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé arrêtent le nombre, les conditions et les modalités d'admission des étudiants mentionnés aux 1 et 2. 

III. - Le ministre chargé de la santé est associé à toutes les décisions concernant les enseignements médicaux, odontologiques et pharmaceutiques. »

 

Auteur :H. V.


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