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[ 10 octobre 2011 ] Imprimer

Procédure pénale

Agressions sexuelles sur mineurs et application de la loi pénale dans le temps

Mots-clefs : Action publique, Prescription, Applicabilité, Loi dans le temps

Une loi relative à la prescription de l’action publique est d’application immédiate aux faits commis avant son entrée en vigueur et non encore prescrits à cette date.

Un homme est poursuivi par sa fille des chefs de viols et agressions sexuelles aggravés commis entre 1985 et le 21 octobre 1995, date à laquelle la jeune fille est devenue majeure. Le 23 mars 2011, la chambre de l’instruction décide de son renvoi devant la Cour d’assises sous l’accusation de viols et agressions sexuelles aggravés. L’homme conteste la prescription des seuls délits d’atteintes sexuelles commis antérieurement au 15 juillet 1986 prononcée par la chambre de l’instruction. Il décide de se pourvoir en cassation contre l’ordonnance de renvoi aux motifs que l’ensemble des infractions qui lui sont reprochées seraient prescrites. À l’appui de son pourvoi en cassation, il allègue de la violation des articles 6 (droit à un procès équitable) et 7 (principe de légalité des peines) de la Convention européenne des droits de l’homme, 222-22, 222-23, 222-24, 222-27, 222-28, 222-29, 222-30 du Code pénal (viol et autres agressions sexuelles), 331, 332, 333 anciens du Code pénal (attentats aux mœurs), 7 (prescription des crimes), 8 (prescription des délits), 591 et 593 (ouvertures à cassation) du Code de procédure pénale. La Cour de cassation va lui donner partiellement raison. Elle estime que sont également prescrits les faits d’attentats à la pudeur commis avec violence, contrainte ou surprise par ascendant légitime du 21 octobre 1992 au 28 février 1994, ainsi que les atteintes sexuelles avec violence, contrainte, menace ou surprise commis par ascendant légitime du 1er mars 1994 au 20 octobre 1995. La Cour distingue deux périodes (ancien/nouveau Code pénal), les faits reprochés avant le 1er mars 1994 correspondant à l’incrimination de l’ancien article 333, ceux reprochés postérieurement étant les faits visés à l’actuel article 222-30.

Rappelons qu’avant 1989, l’article 7 du Code de procédure pénale se contentait de fixer à dix années révolues la prescription de l’action publique en matière de crimes, le point de départ de ce délai étant le jour où le crime avait été commis (sauf acte de poursuite ou d’instruction reportant le point de départ dudit délai). L’article 8 du même code se contentait pour sa part de fixer à trois années le délai de prescription en matière de délits et renvoyait à l’article précédent pour les distinctions spécifiées. La loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance est venue ajouter un alinéa à l’article 7 précisant que le point de départ du délai était reporté à la majorité de la victime dans le cas où celle-ci aurait été mineure au moment des faits et où le crime aurait été commis par un ascendant ou par une personne ayant autorité sur elle. L’article 8 continuant à renvoyer « aux distinctions spécifiées à l’article précédent », la jurisprudence étendait le report du point de départ du délai aux délits commis contre les mineurs par ascendant (v. notamment en ce sens, Crim. 2 déc. 1998). Ce principe a d’ailleurs été inséré expressément pour davantage de lisibilité à l’article 8 par la loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d’ordre social. Enfin, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs est venue encore modifier les articles 7 et 8 du Code de procédure pénale. Le report du point de départ du délai de prescription de l’action publique a été généralisé à l’ensemble des crimes commis contre les mineurs (et plus seulement ceux commis par ascendant ou personne ayant autorité) et étendu également à de plus nombreux délits commis contre des mineurs désormais expressément visés par le texte (notamment les agressions sexuelles autres que le viol : art. 222-27 à 222-30 C. pén.). Le délai de prescription a en outre été allongé à dix ans pour certains délits lorsque la victime est mineure (notamment les agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par ascendant : art. 222-30).

En l’espèce, la difficulté venait donc du fait que la plainte avait été déposée en 2002 et portait sur des faits s’étant déroulés de 1985 à octobre 1995 : deux lois modifiant le régime de la prescription de l’action publique étant intervenues entre-temps.

S’agissant de l’application des lois relatives à la prescription de l’action publique, l’article 112-2, 4°, disposait avant 2004 (donc en 2002, à l’époque où la plainte a été déposée) qu’elles étaient applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, dès lors que les prescriptions n’étaient pas acquises, et sauf si ces lois devaient avoir pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé. Toutefois, la jurisprudence avait très tôt jugé que les dispositions de la loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 échappaient à la règle de l’article 112-2, 4° précité, postérieure à sa promulgation, et s’appliquaient aux crimes et délits non encore prescrits à la date de son entrée en vigueur (v. notamment en ce sens, Crim. 29 mai 1996 ; Crim. 2 déc. 1998 , préc.).

C’est ainsi que, suivant cette jurisprudence, la Cour de cassation, comme la chambre de l’instruction avant elle, ont en l’espèce appliqué immédiatement les dispositions de la loi de 1989 aux faits de viols et agressions sexuelles aggravés commis avant son entrée en vigueur (le 15 juillet 1989) et non encore prescrits (ainsi naturellement qu’aux faits postérieurs à ladite entrée en vigueur !). Seuls les délits antérieurs au 15 juillet 1986 ont donc été exclus des chefs de renvoi par la chambre de l’instruction (ce que ne remet pas en cause la Cour de cassation).

En revanche la Cour de cassation va se démarquer de la chambre de l’instruction s’agissant de l’application de la loi de 1998. La chambre de l’instruction avait appliqué les dispositions de la loi de 1998 aux agressions sexuelles supposées commises entre le 15 juillet 1986 et le 21 octobre 1995, faisant ainsi bénéficier la victime du délai de prescription spécifique de dix ans prévu à l’article 8, alinéa 3, du Code de procédure pénale. Or la Cour de cassation relève que si les faits n’étaient pas prescrits à la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998 et pouvaient en théorie bénéficier de l’application immédiate de la loi, cela ne devait néanmoins pas être le cas pour les faits commis après le 21 octobre 1992, date à laquelle la victime avait eu quinze ans, l’article 8 du Code de procédure pénale visant l’article 222-30 du Code pénal, lui-même incriminant les seules agressions sexuelles par ascendant sur mineur de quinze ans. A contrario, la Cour de cassation considère implicitement que le délai de dix ans est valable pour les agressions sexuelles commises entre le 15 juillet 1986 et le 20 octobre 1992. Cela peut paraître curieux et en contradiction avec les dispositions de l’article 112-2, 4°, précité. En effet, les dispositions de la loi de 1998, certes promulguée postérieurement au (nouveau) Code pénal, n’auraient en toute hypothèse pas dû devoir s’appliquer immédiatement aux faits de l’espèce puisqu’elles avaient nécessairement « pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé ». En réalité la solution est à rechercher dans le texte même de la loi du 17 juin 1998. Son article 50 dispose en effet que « les dispositions des articles 7 et 8 du code de procédure pénale, dans leur rédaction résultant des articles 25 et 26 de la présente loi, sont applicables aux infractions non encore prescrites lors de l'entrée en vigueur de la présente loi ». Or, en juin 1998 les délits litigieux n’étaient effectivement pas encore prescrits.

Pour finir il convient de signaler que depuis 2002, le régime de la prescription des infractions sexuelles commises contre des mineurs a été à nouveau modifié à trois reprises (en 2004, 2005 et 2006). Ainsi la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a porté :

– à dix ans le délai de prescription en matière de délits d’agressions sexuelles sur mineur ;

– et, à vingt ans celui applicable au viol sur mineur et aux agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par ascendant.

La loi de 2004 a en outre supprimé toute référence à l’aggravation du sort de l’intéressé dans l’article 112-2, 4° du Code pénal faisant des lois de prescription de l’action publique des lois d’application immédiate aux faits dont la prescription n’est pas encore acquise à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Aujourd’hui les infractions sexuelles sur mineurs les plus graves sont quasiment imprescriptibles.

Crim. 20 juill. 2011, n° K 11-83.106 F-P

Références

Action publique

[Procédure pénale]

« Action en justice portée devant une juridiction répressive pour l’application des peines à l’auteur d’une infraction. Même si elle peut être mise en mouvement par la partie civile, elle est toujours exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. »

Prescription de l’action publique

[Procédure pénale]

« Principe selon lequel l’écoulement d’un délai (10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits, 1 an pour les contraventions) entraîne l’extinction de l’action publique et rend de ce fait toute poursuite impossible.

Il existe aussi des délais spéciaux parfois plus longs (30 ans pour les crimes de terrorisme par ex.), parfois plus courts (3 mois pour les délits de presse par ex.).

Ces délais peuvent être interrompus par des actes de poursuite ou d’instruction, anéantissant le délai déjà écoulé ou suspendus en cas d’obstacles de droit ou de fait à leur écoulement. Il en est ainsi des procès-verbaux dressés dans le cadre de l’enquête préliminaire qui interrompent le délai de la prescription ou d’une demande d’autorisation de poursuite adressée à la chambre à laquelle appartient un parlementaire qui suspend son écoulement. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

Crim. 2 déc. 1998, Bull. crim. n° 329.

Crim. 29 mai 1996, Bull. crim. n° 219.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6 - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

Article 7 - Pas de peine sans loi

« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

■ Code pénal

Article 112-2, version en vigueur du 1er mars 1994 au 10 mars 2004

« Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur :

1° Les lois de compétence et d'organisation judiciaire, tant qu'un jugement au fond n'a pas été rendu en première instance ;

2° Les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure ;

3° Les lois relatives au régime d'exécution et d'application des peines ; toutefois, ces lois, lorsqu'elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu'aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur ;

4° Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines, sauf quand elles auraient pour résultat d'aggraver la situation de l'intéressé. »

Article 112-2, modifié par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004

Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur :

1° Les lois de compétence et d'organisation judiciaire, tant qu'un jugement au fond n'a pas été rendu en première instance ;

2° Les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure ;

3° Les lois relatives au régime d'exécution et d'application des peines ; toutefois, ces lois, lorsqu'elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu'aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur ;

4° Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines.

Article 222-30, modifié par la loi n°2010-121 du 8 février 2010

« L'infraction définie à l'article 222-29 est punie de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende :

1° Lorsqu'elle a entraîné une blessure ou une lésion ;

2° Lorsqu'elle est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;

3° Lorsqu'elle est commise par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

4° Lorsqu'elle est commise par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;

5° Lorsqu'elle est commise avec usage ou menace d'une arme ;

6° Lorsqu'elle a été commise à raison de l'orientation sexuelle de la victime ;

7° Lorsqu'elle est commise par une personne agissant en état d'ivresse manifeste ou sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants. »

■ Code de procédure pénale

Article 7, modifié par la loi n°98-468 du 17 juin 1998 (version en vigueur du 18 juin 1998 au 10 mars 2004)

« En matière de crime et sous réserve des dispositions de l'article 213-5 du code pénal, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite.

S'il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu'après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite.

Le délai de prescription de l'action publique des crimes commis contre des mineurs ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers. »

Article 8, modifié par la loi n°98-468 du 17 juin 1998 (version en vigueur du 18 juin 1998 au 19 mars 2003)

« En matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ; elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article précédent.

Le délai de prescription de l'action publique des délits commis contre des mineurs prévus et réprimés par les articles 222-9, 222-11 à 222-15, 222-27 à 222-30, 225-7, 227-22 et 227-25 à 227-27 du code pénal ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers.

Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, le délai de prescription est de dix ans lorsque la victime est mineure et qu'il s'agit de l'un des délits prévus aux articles 222-30 et 227-26 du code pénal. »

 

Auteur :C. G.


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