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[ 25 octobre 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Bien tard acquis ne profite qu’après

L’acquéreur d'un immeuble qui consent au report du transfert de propriété ne peut demander à bénéficier d’une indemnité au titre de l’occupation de cet immeuble durant une période précédant la date à laquelle le transfert est effectivement intervenu.

Le 6 décembre 2002, une société avait promis de vendre à une autre société un immeuble, dont elle souhaitait temporairement conserver la propriété. C’est la raison pour laquelle avait été expressément stipulé dans ce compromis un report du transfert de propriété du bien, soit au jour de la constatation de la vente par acte authentique, soit en vertu d’une décision de justice définitive. Un an après sa signature, la société propriétaire avait accordé à une société tierce un droit d’occupation des locaux du premier étage jusqu’à la vente effective de l’immeuble. 

Par un jugement rendu en 2007, confirmé en appel trois ans plus tard, la promesse de vente avait été déclarée parfaite. L’acquéreur avait alors assigné la société ayant occupé les lieux en paiement d’une indemnité d’occupation pour une période couvrant les années 2003 - 2006. 

La cour d’appel rejeta sa demande, ce que la Cour de cassation approuve : constatant que les parties étaient convenues entre elles de différer le transfert de propriété jusqu’à la régularisation de la vente par acte authentique ou jusqu’à sa consécration par décision de justice définitive, elle juge en conséquence que conformément à la volonté des parties, la vente était devenue parfaite dès la date du prononcé du jugement, confirmé en 2010, la cour d’appel ayant ainsi exactement retenu que « c’est à cette date que s’était opéré le transfert effectif de propriété avec entrée en jouissance et qu’aucune mention du dispositif de cette décision ne contredisait les stipulations de la promesse de vente », et non en 2002, comme l’invoquait le demandeur. Celui-ci n’avait par conséquent aucun droit sur l’occupant des lieux pour lui réclamer une indemnité d'occupation à une période où il n’était pas encore devenu propriétaire du bien.

En principe, la promesse de vente vaut vente et celle-ci est en généralement parfaite entre les parties, et la propriété acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès lors qu’elles se sont entendu sur la chose et sur le prix, quoique la chose n'ait pas été livrée ni le prix payé (C. civ., art. 1583). Ce principe du transfert solo consensu, fondateur du régime légal supplétif applicable à la vente, revient à considérer qu’à compter du moment où les parties se sont entendues sur les éléments essentiels du contrat de vente, la chose et le prix, donc dès l’instant de la rencontre des volontés, le transfert de propriété s’opère instantanément. L’échange des consentements rend donc simplement et fictivement parfaite la tradition nécessaire au transfert de propriété, la fiction reposant sur la dissociation de la propriété et de la possession, peu important que la chose n’ait pas encore été concrètement livrée, ni le prix effectivement payé. L’acheteur devient immédiatement propriétaire de la chose, en quelque lieu où elle se trouve.

Cependant, comme le rappelle la décision rapportée, cette règle n’étant que supplétive de la volonté (Civ. 1re, 24 janv. 1984, n° 82-14.841), les contractants ont la liberté d’y déroger en différant le transfert de la propriété. Ainsi le transfert de la propriété du bien vendu peut-il être conventionnellement retardé, notamment par une clause de report, qui diffère seulement l’exigibilité de l’obligation, et non son existence, déjà acquise. Cette clause est parfaitement valable, à la condition d’être clairement rédigée (v. par ex. Com., 23 juin 1998, n° 97-17.171 : la clause mettant le transport aux frais du vendeur est sans incidence sur le transfert de la propriété ; adde, dans le même sens, Civ.1re, 10 oct. 1995, n° 93-18.457).

Ce procédé est couramment utilisé dans les ventes immobilières, le compromis reportant, le temps d’accomplir certaines formalités ou de remplir certaines conditions, le transfert de la propriété à une date ultérieure, généralement au jour de sa régularisation par acte notarié, ou bien encore à celui du paiement complet du prix ou, tel qu’en l’espèce, au jour de la constatation judiciaire de la vente. Tout en étant lié, le vendeur reste donc, jusqu’à cette date, propriétaire ; il conserve donc les risques de la chose, mais également ses revenus. 

C’est ainsi qu’en l’espèce, quoique la vente eût été parfaite dès le 6 décembre 2012, le transfert effectif de la propriété n’eut lieu, conformément aux termes du compromis, qu’au jour de la constatation de cette vente par décision de justice définitive, c’est-à-dire à la date de l'arrêt d'appel du 28 septembre 2010, ayant confirmé le premier jugement. La Haute cour souligne le respect de la loi des parties, affirmant qu'aucune mention du dispositif de cet arrêt, revêtant l’autorité de la chose jugée, ne contredit les dispositions du compromis, la vente s'était ainsi opérée conformément aux conditions convenues par les parties dans l'avant-contrat. Par conséquent, le demandeur ne disposait jusqu’à cette date d’aucun droit contre l’occupant des lieux et, contrairement à l’objet de sa demande, d’aucune créance indemnitaire à son encontre à une période où il n'était pas encore titré, c’est-à-dire propriétaire des lieux. A supposer que l’occupant eût été tenu de verser une indemnité au titre de son occupation gratuite des lieux, il n’en aurait été débiteur qu’au profit de l’auteur du compromis, resté seul propriétaire de l’immeuble durant la période considérée.

Civ. 3ème, 19 sept. 2019, n°18-14.172

 

Auteur :Merryl Hervieu


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