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[ 28 janvier 2016 ] Imprimer

Droit des sûretés et de la publicité foncière

Caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises vs liberté d’expression

Mots-clefs : Difficultés des entreprises, Procédures de prévention, Devoir de confidentialité, Liberté d’expression, Limite, Débat d’intérêt général

Le fait de révéler des informations relatives à une procédure de prévention des difficultés d'une entreprise n'est pas couvert par la liberté d'expression sauf à rapporter la preuve que cette diffusion contribue à l’information légitime du public sur un débat d’intérêt général et cause un préjudice réparable même si aucune demande de réparation pécuniaire n’a été formulée.

Par la décision rapportée, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, à l’issue du contrôle de proportionnalité exercé, privilégie le caractère confidentiel des procédures de mandat ad hoc et de conciliation, prévu par l'article L. 611-15 du Code de commerce, à la liberté d'expression des journalistes. En l'espèce, un site d'informations financières en ligne, spécialisé dans le suivi de l'endettement des entreprises, avait publié un article commentant l'ouverture de la procédure de mandat ad hoc concernant les sociétés d'un groupe. Ce site avait, par la suite, diffusé divers articles rendant compte de l'évolution des procédures en cours et des négociations engagées. Le mandataire ad hoc et plusieurs sociétés du groupe avaient alors assigné l'éditeur du site devant le juge des référés pour obtenir le retrait de l'ensemble des articles contenant des informations confidentielles les concernant, ainsi que l'interdiction de publier d'autres articles. La cour d'appel rejeta cette demande au motif que le fait pour l’éditeur d’avoir publié des informations soumises à la confidentialité par application de l’article L. 611-15 du Code de commerce, qui ne crée aucune obligation à son égard, ne saurait constituer, au regard des droits essentiels à la liberté d’informer du journaliste, une violation évidente de la loi pas plus qu’il ne constitue un trouble manifestement illicite, outre le fait qu’il n’est pas justifié d’un préjudice, aucune demande de réparation pécuniaire n’ayant été formée. 

Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel. Rappelant qu'il résulte de l'article 10 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme que des restrictions peuvent être apportées par la loi à la liberté d'expression, dans la mesure de ce qui est nécessaire dans une société démocratique pour protéger les droits d'autrui et empêcher la divulgation d'informations confidentielles tant par la personne soumise à un devoir de confidentialité que par un tiers, elle considère que tel est le cas des informations relatives aux procédures visées par l'article L. 611-15 du Code de commerce (mandat ad hoc et conciliation) et que l’éditeur, bien qu’étranger à la procédure de prévention des difficultés, était tenu à la confidentialité puisque cette obligation s’étend à toute personne qui, par ses fonctions, a connaissance de la procédure, ce qui était le cas de l’éditeur. 

En outre, selon la Cour, la confidentialité des procédures de prévention des difficultés des entreprises, imposée pour protéger, notamment, les droits et libertés des entreprises recourant à ces procédures, fait obstacle à leur diffusion par voie de presse, à moins qu'elle ne contribue à la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général. En conséquence, les juges du fond se devaient de rechercher si les informations diffusées, relatives à la prévention des difficultés des sociétés du groupe et couvertes par la confidentialité, relevaient d'un débat d'intérêt général, ce qui aurait pu, comme en matière d’atteinte à l’intégrité morale de la personne (vie privée, image, etc.), justifier la diffusion. 

Enfin, la Cour énonce que le préjudice découle de la seule diffusion des informations couvertes par la confidentialité, non légitimée par la nécessité d’informer le public sur un débat d'intérêt général. Là encore, comme en cas d’atteinte aux droits de la personnalité, la sanction conduira à l’allocation de dommages-intérêts, une fois l’atteinte constatée, sans que la victime n’ait besoin d’établir une faute ou un dommage (Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-14.798). 

Com., 15 déc. 2015, n°14-11.500

Références 

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 10

« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des 12 13 mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

■ Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-14.798, D. 1997. 403, note S. Laulom ; ibid. 289, obs. P. Jourdain ; RTD civ. 1997. 632, obs. J. Hauser 

 

Auteur :M. H.


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