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[ 30 juin 2016 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

CEDH : l’interdiction absolue du port de la barbe en prison peut être contraire à la Convention

Mots-clefs : Droits de l’homme, Europe, Cour européenne des droits de l’homme, Barbe, Prison, Convention européenne des droits de l’homme, Détenu

Dans un arrêt rendu le 14 juin 2016, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la question de l’interdiction absolue du port de la barbe dans une prison lituanienne au regard du droit au respect de la vie privée garanti à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En l’espèce, un détenu dans la prison de Marijampole en Lituanie de novembre 2006 à décembre 2009, s’est vu interdire, durant toute sa période de détention, le port de la barbe.

Contestant cette interdiction inscrite dans le règlement intérieur de l’établissement pénitentiaire que le détenu a signé lors de son arrivée, le détenu formula à deux reprises des demandes d’autorisation lui permettant de se faire pousser la barbe invoquant notamment un traitement au laser subit pour un cancer de la langue, rendant selon le requérant, les rasages quotidiens douloureux.

Après un examen médical effectué ne permettant pas de confirmer l’existence des problèmes de santé invoqués, les demandes furent rejetées par l’administration pénitentiaire puis, par les juridictions internes, estimant qu’il n’existait pas de raisons d’ordres sanitaires, religieuses ou sérieuses justifiant l’autorisation du port de la barbe en prison.

Dans ce contexte, la Cour européenne des droits de l’homme fut saisie sur le fondement de l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée).

S’agissant de la recevabilité de la requête, la Cour rappelle qu’il n’existe pas de définition exhaustive de la notion de « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (§ 32) (V. CEDH 27 août 2015, Parillo c/ Italie, n° 46470/11). Cette notion inclut ainsi les aspects relatifs à l’identité physique, psychologique et sociale d’un individu (CEDH 8 nov. 2011, V. C. c/ Slovaquie, n° 18968/07, § 138 s.). En outre, le choix d’un individu quant à l’apparence souhaitée se rapporte à l’expression de sa personnalité au sens de la notion de vie privée (Conv. EDH, art. 8) (CEDH 1er juill. 2014, S. A. S c/ France, n° 43835/11).
 
Par ailleurs et s’agissant des droits des prisonniers, la Cour rappelle que les détenus continuent de jouir des droits et libertés fondamentales garantis dans la Convention, seules des mesures liées à la sécurité et la prévention de la criminalité et du désordre peuvent justifier des restrictions à ces droits (§ 45). 

Statuant sur le fond, la Cour considère, en l’espèce, que l’interdiction absolue reposant sur une base légale de droit interne, établie dans le règlement intérieur de l’établissement, n’est pas proportionnée à l’objectif de défense de l’ordre, de la prévention de la criminalité ou des impératifs d’hygiènes ou d’identifications tel que le soutien l’État lituanien.

Ainsi, selon la Cour, il n’existe pas de besoin social impérieux justifiant une telle interdiction. En l’espèce, le port de la barbe constituant la volonté du requérant d’exprimer sa personnalité et son identité protégée par l’article 8, la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.

CEDH 14 juin 2016, Biržietis c/ Lituanie, n° 49304/09

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ CEDH 27 août 2015, Parillo c/ Italie, n° 46470/11, D. 2015. 1700; ibid. 2016. 752, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2015. 433, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2015. 830, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 2016. 76, obs. J. Hauser.

■ CEDH 8 nov. 2011, V. C. c/ Slovaquie, n° 18968/07.

■ CEDH, 1er juill. 2014, S. A. S c/ France, n° 43835/11, AJDA 2014. 1348 ; ibid. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; ibid. 1866, étude P. Gervier ; D. 2014. 1451 ; ibid. 1701, chron. C. Chassang ; ibid. 2015. 1007, obs. REGINE ; Constitutions 2014. 483, chron. M. Afroukh ; RSC 2014. 626, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD civ. 2014. 620, obs. J. Hauser ; RTD eur. 2015. 95, chron. P. Ducoulombier.

 

Auteur :E. A.


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