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[ 22 janvier 2015 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Charge de la preuve du devoir d’informer : la CJUE confirme la position française

Mots-clefs : Droit de l’UE, Question préjudicielle, Directive, CJUE, Contrats, Crédit à la consommation, Obligation d’information, Charge de la preuve

Il appartient au prêteur de prouver qu’il a exécuté les obligations précontractuelles d’information et d’explication qu’il doit à l’emprunteur.

Une directive de l’Union (2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs) met à la charge du prêteur des obligations d’information et d’explication afin que l’emprunteur puisse effectuer un choix éclairé lors de la souscription du crédit. Elle oblige, également, le prêteur à délivrer une fiche d’informations, sur un support papier ou sur un autre support durable, informations qui sont fournies à l'aide des «informations européennes normalisées en matière de crédit aux consommateurs» qui figurent à l'annexe II de la directive (Dir., art. 5).

Dans l’arrêt rapporté, la Cour de justice devait répondre à la question préjudicielle posée par une juridiction française de savoir dans quelle mesure une clause type par laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu et pris connaissance de la fiche d’informations, alors que le prêteur n’est pas en mesure de la fournir, pourrait avoir pour effet d’inverser la charge de la preuve du devoir d’informer au détriment du consommateur.

La Cour constate que la directive n’indique pas à qui il incombe de prouver l’exécution par le prêteur de ses obligations, si bien que cette question dépend de l’ordre juridique interne de chaque État membre. Cela étant, elle rappelle l’exigence que les règles de droit national ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive (principe d’effectivité).

Si la Cour n’exprime aucun doute quant au respect du principe d’équivalence, elle considère, en revanche, que le principe d’effectivité serait compromis si la charge de la preuve de la non-exécution des obligations du prêteur reposait sur le consommateur, celui-ci ne disposant pas des moyens nécessaires pour prouver que le prêteur ne lui a pas fourni les informations requises.

A contrario, le principe d’effectivité est garanti lorsque le prêteur doit justifier devant le juge de la bonne exécution de son obligation : un prêteur diligent devant, en effet, avoir conscience de la nécessité de collecter des preuves de l’exécution de ses obligations d’information et d’explication.

Quant à la clause type litigieuse, la Cour refuse qu’elle permette au prêteur de contourner ses obligations, en sorte que ce type de clauses ne peut constituer qu’un indice de leur exécution, à charge pour le prêteur de le corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve complémentaires. La Cour considère que si une telle clause suffisait à établir la pleine et correcte exécution des obligations du prêteur, elle entraînerait un renversement de la charge de la preuve de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la directive.

Ainsi cet arrêt révèle-t-il l’alignement des positions française et européenne sur la question de la charge de la preuve du devoir d’informer.

En effet, après s’être longtemps fondée sur l’adage actor incumbit probatio et avoir jugé en conséquence que celui qui reproche un défaut d’information au professionnel doit en rapporter la preuve, la Cour de cassation a opéré un revirement remarquable : le 25 février 1997, au seul visa de l’article 1315 du Code civil, elle a posé le principe selon lequel « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » (Civ. 1re, 25 févr. 1997). Cette décision, qui aurait pu être limitée aux professions médicales, puisque l’affaire en cause concernait un médecin, s’applique en vérité à tous les débiteurs d’une obligation d’information ou de conseil. Ainsi la Haute Cour s’est-elle démarquée du droit commun de la preuve pour poser une règle propre à ce type d’obligations.

En matière probatoire, seule compte donc la détermination de l’objet de l’obligation à prouver, peu important la nature exacte de la fonction ou de la mission confiée au professionnel à qui revient la charge de l’exécuter. Au regard de l’article 1315 du Code civil, la solution paraît cependant difficilement compréhensible. D’aucuns l’ont fondée sur l’alinéa 2 de ce texte. Ainsi, selon Mmes Viney et Fabre-Magnan, la preuve que le 1er alinéa de l’article impose au créancier est celle de l’existence de l’obligation, laquelle résulte de la loi. Le demandeur n’a donc pas à rapporter la preuve de l’existence d’une obligation d’information ou de conseil que la loi met systématiquement à la charge du professionnel. Par conséquent, si le débiteur se plaint de ne pas avoir été suffisamment informé, et que le professionnel conteste cette allégation, la situation relève de l’alinéa 2 qui fait peser la charge de la preuve sur le débiteur.

Aussi a-t-on également justifié la solution par la difficulté, pour la victime de l’inexécution, de rapporter la preuve d’un fait négatif. Pourtant, même lorsque le fait nécessaire au succès d’une prétention est négatif, la Cour ne consent pas, traditionnellement, à renverser la charge de la preuve (v. Cass. 27 févr. 1958, RJCB 1959. 42). Sans doute la Cour poursuit-elle, en cette matière, une politique protectrice, voire consumériste, justifiant de déroger au droit commun de la preuve en faveur de la partie faible. La meilleure preuve en est que, par exemple, le notaire comme l’avocat ne sont pas dispensés de leurs obligations par les compétences personnelles des parties, et la solution reste identique lorsque la partie à l’acte est un professionnel averti (Civ.1re, 9 mars 2004), ou qu’elle profite de l’assistance d’un tiers (Civ. 1re, 9 mars 2004, préc.). Poursuivant depuis longtemps une logique propre au droit spécial de la consommation dans des affaires où il n’était pourtant pas applicable, la jurisprudence française conforte la prise de position européenne, en l’ayant devancée et même dépassée.

CJUE 18 déc. 2014, CA Consumer Finance SA c/Ingrid Bakkaus e.a., C-449/13

Références

 Directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil.

 Article 1315 du Code civil

« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »

 Civ. 1re, 25 févr. 1997, n°94-19.685, RTD civ. 1997. 434, note JourdainRTD civ. 1997. 924, note Hauser.

■ Civ.1re, 9 mars 2004, n°01-17.951.

 

Auteur :M .H.


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