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[ 30 avril 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Clarification du droit au regroupement familial dans l’État membre d’origine selon la qualité du ressortissant de l’Union

Mots-clefs : Droit de séjour, Titre de séjour, Droit au regroupement familial, Travailleur migrant, Citoyen de l’Union, Ressortissant des pays tiers, Liberté de circulation

Le droit au regroupement familial est fondé sur le droit à la vie privée qui est aujourd’hui largement protégé en droit de l’Union au travers de différentes dispositions dont la Charte des droits fondamentaux ainsi que la directive 2004/38 explicitant son contenu. Cependant ce droit n’est pas absolu, il est conditionné par l’exigence de l’usage de la mobilité par le citoyen de l’Union, mobilité qui doit être effective. La Cour juge que pour être effective, le séjour du citoyen de l’Union dans un autre État membre doit durer au minimum trois mois consécutivement, les séjours de plus courte durée ne pouvant être pris en compte, mêmes considérés dans leur ensemble. Cette condition de durée n’est toutefois pas exigée à l’égard des personnes ayant la qualité de travailleurs migrants, la seule véritable obligation étant qu’elles se rendent régulièrement dans un autre État membre et que ce refus ne les dissuade pas de circuler. La Cour de justice impose ainsi deux régimes distincts fondés sur la qualité du ressortissant de l’Union : celle du citoyen de l’Union et celle du travailleur européen migrant.

Le droit au regroupement familial, concernant des ressortissants de pays tiers, membres de la famille d’un citoyen européen, constitue un important contentieux depuis plusieurs années, sans que les questions soient encore toute épuisées.

Ce contentieux est lié à la particularité du droit de séjour. En effet, il faut rappeler que le ressortissant du pays tiers ne bénéficie pas d’un droit de séjour autonome tant au regard de l’article 21 TFUE que de la directive n°2004/38, seul un droit dérivé lui est accordé par l’intermédiaire de son lien familial avec un ressortissant de l’Union. Ce droit de séjour apparaît automatique lorsqu’un ressortissant de l’Union est légalement installé dans un autre État membre que son État d’origine conformément à la directive 2004/38. Ce n’est, en revanche, pas le cas dans l’hypothèse où il revient dans son État d’origine, même si la Cour en admet le principe.

Parmi les questions restées en suspens demeurent celles de la durée du séjour dans l’État membre d’accueil. Cette question se pose spécifiquement dans l’hypothèse où le ressortissant de l’Union revient dans son État d’origine, l’usage préalable de la mobilité étant alors déterminant pour bénéficier de l’application du droit de l’Union. La preuve de la mobilité est essentielle pour l’applicabilité du droit de l’Union, dans le cas contraire la situation est juridiquement encadrée par le seul droit national, souvent moins favorable au regroupement familial.

Aussi la Cour a-t-elle précisé que la durée minimale devait être effective, ce qui se traduit au regard de la directive 2004/38 par trois mois d’installation dans l’État membre d’accueil, ces trois mois devant se dérouler de manière continue lorsque la personne n’a pas la qualité de travailleur. En revanche si la personne à la qualité de travailleur migrant, la durée de séjour n’est plus exigée, seul est imposé que le travailleur se rende régulièrement dans l’État membre d’accueil.

Ces solutions apparaissent dans deux arrêts distincts.

Le premier arrêt (CJUE, C-456/12) concernait deux requérants dont les membres de la famille, ressortissants de l’Union, n’avaient pas la qualité de travailleurs migrants. Tout d’abord il s’agit de monsieur O, de nationalité nigériane, marié avec une ressortissante néerlandaise. Monsieur O vivait en Espagne et sa femme est venue le rejoindre pendant deux mois ; elle a également régulièrement passé les vacances en Espagne avec lui. Ensuite, monsieur B, celui-ci est marocain et il a cohabité avec sa future femme néerlandaise en Belgique. Celle-ci a passé tous les week-ends en Belgique avec lui entre 2005 et 2007.

Dans le second arrêt (CJUE, C-457/12), qui concerne des ressortissants de l’Union, travailleurs migrants, deux requérants étaient en cause. Il y a madame S, de nationalité ukrainienne, qui souhaite séjourner auprès de son gendre qui a la nationalité néerlandaise. Sa demande est motivée par le fait que madame S s’occupe de son petit-fils pendant que son gendre, qui réside et travaille aux Pays-Bas, se rend régulièrement pour son travail en Belgique, au moins une fois par semaine selon les faits. Ensuite, il y a madame G, de nationalité péruvienne qui a épousé en 2009 un Néerlandais. Son mari, qui réside aux Pays-Bas, va travailler quotidiennement en Belgique.

Dans cette dernière hypothèse, les juges de l’Union conditionnent ce droit à deux conditions :

– il ne faut pas que le refus dissuade le citoyen de l’Union de quitter son État membre d’origine et de commencer à mener une vie de famille dans un autre État membre ;

– il faut que le séjour dans l’État membre d’accueil ait un caractère effectif, le séjour ne pouvant être ainsi inférieur à trois mois continu.

Cette exigence permet d’éviter les séjours de circonstances destinées à bénéficier d’un droit de l’Union. La Cour empêche les situations d’abus de droit par cette condition. En l’espèce, ni monsieur O., ni monsieur B. ne peut prétendre à un titre de séjour.

Cette condition demeure cependant spécifique aux ressortissants de l’Union non actifs économiquement.

En effet, la Cour a une approche plus favorable à l’égard des travailleurs migrants, ayant la nationalité d’un État membre, au regard de leur rôle dans l’économie. Le marché intérieur doit totalement être réalisé à leur égard. Aussi précise-t-elle que le droit de séjour pour un membre de la famille doit être appréhendé au regard de sa nécessité de garantir au citoyen de l’Union l’exercice effectif de l’article 45 TFUE (liberté de circulation des travailleurs).

En conséquence, il doit être vérifié qu’il y a un lien entre le fait de refuser le titre de séjour et le fait que l’individu pourrait renoncer à sa liberté de circuler. Le juge national doit procéder à une analyse concrète, sachant que le seul fait que le titre de séjour soit souhaitable pour mettre en œuvre la vie familiale n’est pas suffisant, il faut véritablement que le refus amène à la remise en cause de la liberté de circulation. Peu importe la durée du séjour dans l’État membre d’accueil, il peut être quotidien ou seulement être le fruit d’un déplacement hebdomadaire dans le cadre de l’activité économique. La seule exigence est que ce déplacement soit régulier.

La Cour applique la même solution que celle qui a prévalu en matière de libre prestation de services (CJCE 11 juill. 2002, Carpenter), démontrant une cohérence de sa jurisprudence à l’égard des personnes étant actives économiquement.

La Cour renforce, par ces décisions, les régimes juridiques distinctifs en matière de droits sociaux entre les ressortissants de l’Union selon leur qualité.

CJUE 12 mars 2014, O. et B. c/ Minister voor Immigratie, Integratie en Asiel, C-456/12 et S. et G. c/ Minister voor Immigratie, Integratie en AsielC-457/12

Références

 Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres

■ Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 21 (ex-art. 18 TCE)

« 1. Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application.

2. Si une action de l'Union apparaît nécessaire pour atteindre cet objectif, et sauf si les traités ont prévu des pouvoirs d'action à cet effet, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent arrêter des dispositions visant à faciliter l'exercice des droits visés au paragraphe 1.

3. Aux mêmes fins que celles visées au paragraphe 1, et sauf si les traités ont prévu des pouvoirs d'action à cet effet, le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, peut arrêter des mesures concernant la sécurité sociale ou la protection sociale. Le Conseil statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen. »

Article 45 (ex-art. 39 TCE)

« 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union.

2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique: 

a) de répondre à des emplois effectivement offerts,

b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres,

c) de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux,

d) de demeurer, dans des conditions qui feront l'objet de règlements établis par la Commission, sur le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi.

4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique. »

 CJCE 11 juill. 2002, Carpenter, C-60/00.

 

Auteur :V. B.


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