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[ 26 octobre 2009 ] Imprimer

Procédure et contentieux administratifs

Commissaires aux comptes : précisions sur le régime des sanctions disciplinaires

Mots-clefs : Acte administratif, Procédure contentieuse, Convention européenne des droits de l’homme, article 6 § 1er, Procès équitable, Lecture publique, Cassation, Recevabilité d’un moyen, Principe constitutionnel de légalité des délits, Sanction disciplinaire

Le Conseil d’État a apporté, dans un arrêt du 12 octobre 2009, trois importantes précisions sur la légalité d’une sanction disciplinaire infligée par le Haut Conseil du commissariat aux comptes.

La Section du contentieux du Conseil d’État a apporté une pierre supplémentaire à l’édifice du régime des sanctions disciplinaires visant des membres des professions réglementées. Elle devait d’abord déterminer si l’article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, qui pose le principe du droit à un procès équitable, exigeait que tout jugement fasse l’objet d’une lecture publique. Autrement dit, et en l’espèce, la décision du Haut Conseil du commissariat aux comptes méconnaissait-elle cette disposition puisqu’elle n’avait pas été lue publiquement ? La Haute juridiction administrative répond négativement « en l’absence de texte imposant la lecture publique d’une décision juridictionnelle, l’exigence de publicité qui découle de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales peut être satisfaite, soit par l’initiative d’une telle lecture, soit par tout autre moyen approprié assurant l’accès au texte de la décision, en particulier par sa consultation au greffe de la juridiction qui l’a prononcée ».

Par ailleurs, le requérant suspectait un juge de partialité pour des raisons tenant à sa personne (défaut d’impartialité subjective) et demandait sa récusation. Pour que soit recevable en cassation le moyen tiré de l’irrégularité dans la composition de la formation de jugement, la demande de récusation devait-elle avoir été présentée avant la fin de l’audience devant les juges du fond, alors, d’une part, que la composition de la formation de jugement n’était pas connue à l’avance et, d’autre part, que la faculté de récuser était, en l’absence de texte rappelant son existence devant la juridiction concernée, la conséquence d’un principe non écrit ? Le Conseil d’État considère « qu’un moyen relatif à l’irrégularité de la composition d’une formation de jugement, quel qu’en soit le fondement, peut être invoqué à toute étape de la procédure, y compris devant le juge de cassation ».

Enfin, le juge de cassation devait fixer les exigences découlant du principe constitutionnel de légalité des délits en matière de sanctions professionnelles à caractère disciplinaire. Le requérant soutenait en effet que le principe de légalité des délits et des peines s’opposait à ce que le Haut Conseil du commissariat aux comptes pût infliger une sanction fondée sur la méconnaissance de ces textes, qui n’auraient pas défini avec une précision suffisante les obligations imposées aux commissaires aux comptes. Pour les juges du Palais Royal, « pour ce qui concerne les sanctions susceptibles d’être infligées aux membres des professions réglementées, y compris celles revêtant un caractère disciplinaire, le principe de légalité des délits est satisfait dès lors que les textes applicables font référence à des obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l’activité qu’ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent ou de l’institution dont ils relèvent ; que, dès lors, le haut conseil du commissariat aux comptes n’a pas entaché sa décision d’erreur de droit en retenant que la méconnaissance des dispositions figurant à l’article L. 225-222 du code de commerce et à l’article 88 du décret du 12 août 1969 pouvait faire l’objet d’une sanction disciplinaire ».

CE, Sect., 12 octobre 2009, M. P., n° 311641

 

Références

Commissaire aux comptes

« Personne, physique ou morale, exerçant une activité réglementée consistant à contrôler très strictement la régularité, la sincérité, et la fidélité des comptes sociaux des sociétés par actions et de certains autres groupements.
À l’issue de son contrôle, le commissaire aux comptes certifie les comptes et, en cas de difficulté, émet des réserves ou refuse de certifier les comptes sociaux.
Le commissaire aux comptes doit également informer les organes de direction et les actionnaires d’un certain nombre d’opérations réglementées, ainsi que des irrégularités qu’il peut relever dans l’exercice de sa mission. »

Nullum crimen, nulla poena sine lege

Formule latine qui exprime le principe fondamental de la légalité des délits et des peines. « Il n’y a pas de crime, il n’y a pas de peine sans loi. »

Procès équitable

« Le droit à un procès équitable constitue aujourd’hui la pierre angulaire des procédures juridictionnelles. Il faut l’entendre comme le droit à un procès équilibré entre toutes les parties (equus = équilibre) dont les principales manifestations, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, sont : le droit à un recours effectif devant un tribunal; le droit à un tribunal indépendant et impartial; le droit à un procès public, respectant l’égalité des armes et conduisant à un jugement rendu dans un délai raisonnable; le droit à l’exécution effective de la décision obtenue.
Issu du droit naturel, le droit à un procès équitable est devenu un droit substantiel, la garantie de la garantie des droits. »

Récusation

« Procédure par laquelle le plaideur demande que tel magistrat s’abstienne de siéger, parce qu’il a des raisons de suspecter sa partialité à son égard, pour des causes déterminées par la loi : parenté ou alliance, lien de subordination, amitié ou inimitié notoire… La récusation, contre plusieurs juges peut entraîner le renvoi de l’affaire devant une autre juridiction.
On peut récuser également un arbitre et un expert. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

Sanctions disciplinaires

« Bien des auteurs s’interrogent sur la distinction sanction administrative/disciplinaire. Toute sanction suppose la violation d’une règle. La sanction disciplinaire évoque, en théorie, la violation d’une règle (statut, règlement intérieur) commune aux membres d’un corps, établissement, profession et l’existence d’un pouvoir de type hiérarchique, ou quasi hiérarchique, entre celui qui sanctionne et celui qui est sanctionné. Il n’y a pas d’obstacle majeur à en faire une variété de sanction administrative, à ceci près que le régime des sanctions disciplinaires est très particulier. Leur terre d’élection est la fonction publique, d’une manière générale les rapports Administration/agents publics. Le statut général de la fonction publique énumère ces sanctions (L. 11 janv. 1984 pour la fonction publique de l’État, art. 66), fixe les règles de la procédure disciplinaire, mais ne détermine pas les fautes de nature à justifier une sanction, ni, a fortiori, quelle est la sanction applicable. Le juge administratif, s’il est saisi, vérifie si les faits reprochés à l’agent sont de nature à justifier une sanction (pour un ex. d’erreur de qualification juridique des faits : CE 15 juin 2005, M. B. AJDA 2005. 1689, Concl. D. Casas). Depuis 1978, le CE accepte aussi de censurer l’erreur manifeste d’appréciation ou la disproportion manifeste commise par l’Administration dans le choix de la sanction (9 juin 1978, Lebon, Rec. 245; 26 juill. 1978, Vinolay, Rec. 315; 1er févr. 2006, Touzard, Rec. 38). Dans certains cas, les sanctions sont prononcées par des juridictions disciplinaires. Celles-ci – comme celle compétente pour les personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires – sont soumises au respect de l’art. 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CE 23 févr. 2000, M. L’Hermite, AJDA, 2000, 363).

Source : V. Van Lang, G. Gondouin, V. Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droit administratif, 5e éd., Sirey, coll. « Dictionnaire », 2008.

 

Convention européenne des droits de l’homme

Article 6 – Droit à un procès équitable

1 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

Code de commerce

Article L. 225-222 (applicable à l'époque des faits litigieux) : « Les fonctions de commissaire aux comptes sont incompatibles : 1° Avec toute activité ou tout acte de nature à porter atteinte à son indépendance ; 2° Avec tout emploi salarié ; toutefois, un commissaire aux comptes peut dispenser un enseignement se rattachant à l'exercice de sa profession ou occuper un emploi rémunéré chez un commissaire aux comptes ou chez un expert-comptable  ; 3° Avec toute activité commerciale, qu'elle soit exercée directement ou par personne interposée. »

Décret n° 69-810 du 12 août 1969 relatif à l'organisation de la profession et au statut professionnel des commissaires aux comptes

Article 88 (rédaction en vigueur à l'époque des faits incriminés) : « Toute infraction aux lois, règlements et règles professionnels, toute négligence grave, tout fait contraire à la probité ou à l'honneur commis par un commissaire aux comptes, personne physique ou société, même ne se rattachant pas à l'exercice de la profession, constituent une faute disciplinaire passible d'une peine disciplinaire. »

 

Auteur :E. R.


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