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[ 21 juin 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Communication commerciale des avocats : son encadrement déontologique est inopposable aux tiers

Une société mettant en relation des justiciables avec des avocats ayant recours à la « sollicitation personnalisée » n’est pas tenu au respect des règles déontologiques qui incombent exclusivement aux membres de cette profession.

Un cabinet d’avocat avait assigné une société de conseil en ligne ayant pour objet « toutes prestations de services et d’information dans les domaines administratifs, commerciaux, civils et financiers » et son « aide et (son) assistance à toute personne physique ou morale » ainsi que la réalisation « des formalités de toutes natures auprès d’administrations, organismes de toutes sortes », au motif qu’ainsi, cette société se livrait, via les deux sites internet qu’elle avait créés à cet effet, à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, ainsi qu’à des pratiques commerciales trompeuses. Dans cette perspective, le cabinet sollicitait du juge, outre l’octroi de dommages-intérêts, d’enjoindre à cette société demande le retrait de toute publicité et offre de service, et tous actes de démarchage visant des consultations juridiques et la rédaction d’actes juridiques.

La cour d’appel accueillit sa demande, au motif que les références à une mise en relation avec un avocat figurant sur l’un des sites de la société attaquée sont constitutives d’actes de concurrence déloyale, puisqu’il résulte de la combinaison de « l'article 15 du décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014 » et de l'article 111, a), du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que seuls les membres de la profession d'avocat sont autorisés à promouvoir la publicité de leur activité ou à démarcher les justiciables sans pouvoir les déléguer à des personnes ou à des membres étrangers à leur profession, et ceci, pour garantir les règles de cette profession instituées par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, et par le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, qui portent sur l'indépendance, le secret professionnel, la prérogative de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique, et enfin, particulièrement, celle de représenter les justiciables devant les juridictions.

Et la cour d’ajouter que par ce même site, ne désignant pas les avocats avec lesquels les internautes étaient susceptibles d’être mis en relation gratuitement pour les prestations dont il faisait la promotion, la société violait les règles communes pour la publicité et le démarchage de la profession ainsi qu’une désorganisation de l’accès au marché. 

La Cour de cassation infirme ce raisonnement. Au visa des mêmes textes que ceux cités par la cour d’appel pour motiver leur décision, elle juge qu’aux termes du premier, d’une part, la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat à la double condition qu’elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession et qu’elles excluent tout élément comparatif ou dénigrant ; elle ajoute que si selon le second, la profession d'avocat est incompatible avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée, l’ensemble des textes susvisés ne régissent que la profession d'avocat et ne peuvent être opposés à des tiers étrangers à cette profession, la cour d'appel a violé lesdits textes.

Si cela ne va pas de soi, la publicité et la sollicitation personnalisée sont des activités permises aux avocats : le libéralisme propre à la législation de l’UE a d’abord conduit les instances européennes à s’opposer, concernant les communications commerciales des professions réglementées, à ce qu’une réglementation nationale interdise aux membres de celles-ci d’effectuer des actes de publicité et de démarchage (directive 2006/123/CE du 12 déc. 2006, art. 24§1) ; dans un sens conforme à la précédente directive, l’article 15 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 prévoit que « La publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l’avocat (…) », de même qu’un guide pratique intitulé « Participation des avocats à des sites de tiers » édité en décembre 2014 par le Conseil national des barreaux offre également aux avocats la faculté de participer, pour promouvoir leur activité, à un site internet d’un tiers à leur profession.

Autorisées, ces activités n’en demeurent pas moins encadrées. En effet, les avocats y ayant recours se doivent de respecter les principes déontologiques fondateurs de leur profession, tels que l’indépendance, la confidentialité, la prérogative de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ; en outre, tout élément comparatif ou dénigrant est proscrit ; enfin, seuls les avocats sont habilités à y procéder, toute délégation de telles opérations de promotion ou de démarchage à des personnes dépourvues de ce titre étant strictement interdites. Cependant, comme le précise la décision rapportée, cet encadrement ne concerne que les avocats et les règles précédentes sont inopposables aux tiers étrangers à la profession d’avocat, telle qu’une société exerçant une activité juridique consistant à mettre en relation des internautes avec des avocats ayant opté pour la sollicitation personnalisée et dont la participation, qui ne peut être assimilée à une délégation proscrite, constitue une forme de publicité autorisée qui n’est pas en elle-même contraire aux principes essentiels de la profession d’avocat.

Civ. 1re, 22 mai 2019, n° 17-31.320

 

Auteur :Merryl Hervieu


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