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[ 25 janvier 2022 ] Imprimer

Droit pénal général

Compétence universelle et double incrimination : la nécessaire identité des éléments constitutifs entre législations française et étrangère

L’application de la compétence universelle des juridictions françaises pour juger les crimes contre l’humanité implique que la législation pénale de l’État où ils ont été commis incrimine des faits comportant un élément constitutif relatif à une attaque lancée contre une population civile en exécution d'un plan concerté.

Crim. 24 nov. 2021, n° 21-81.344

Un ressortissant syrien a été mis en examen en 2019 pour complicité de crimes contre l’humanité pour des faits commis entre 2011 et 2013 sur le territoire syrien. La nullité de la mise en examen de l’intéressé est invoquée pour incompétence des juridictions françaises. Les juridictions du fond rejettent cette exception en raison de l’incrimination par le code pénal syrien des faits criminels constituant les crimes contre l’humanité. Le mis en examen forme un pourvoi en cassation et invoque tout particulièrement que la condition de double incrimination en matière de compétence universelle implique une incrimination autonome des crimes contre l’humanité dans la législation de l’État où les faits ont été commis. L’espèce interrogeait ainsi sur la nécessité ou non d’une disposition sui generis incriminant les crimes contre l’humanité ou au moins d’une disposition visant l’ensemble des éléments constitutifs de cette infraction. La Cour de cassation casse l’arrêt de la chambre de l’instruction considérant que « l'exigence posée par l'article 689-11 du code de procédure pénale, selon laquelle les faits doivent être punis par la législation de l'État où ils ont été commis, inclut nécessairement l'existence dans cette législation d'une infraction comportant un élément constitutif relatif à une attaque lancée contre une population civile en exécution d'un plan concerté ».

L’article 113-2 du code pénal fixe le principe en matière d’application de la loi dans l’espace : « La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République ». Ce principe de territorialité est complété par d’autres hypothèses de compétence de la loi française lorsqu’il existe un élément de rattachement à la France tel que la nationalité française de l’auteur (C. pén., art. 113-6 ; compétence personnelle active), la nationalité française de la victime (C. pén., art. 113-7 ; compétence personnelle passive) ou encore en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation française (C. pén., art. 113-10). Concernant les infractions commises à l’étranger par un ressortissant étranger, sans élément de rattachement à la France, le principe est celui de l’incompétence de la loi française. Toutefois, en vertu d’une forme de responsabilité internationale, il est des infractions qui peuvent être jugées en France dès lors que l’auteur est trouvé sur le territoire de la République.

Conformément à l’article 689 du code de procédure pénale, l’auteur ou le complice d’une infraction commise hors du territoire de la République peut être poursuivi et jugé par les juridictions françaises, soit parce qu’un texte législatif rend la loi française applicable, soit parce qu’une Convention internationale donne compétence aux juridictions françaises. En matière de crimes contre l’humanité, lorsque l’État d’origine de l’auteur ou du complice n’a pas signé la Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale, il est fait application de l’article 689-11 du code de procédure pénale qui prévoit que la personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui est soupçonnée d'avoir commis à l'étranger les crimes contre l'humanité tels que définis par l’article 212-2 du code pénal peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis.

En l’espèce, la Syrie n’est pas partie à la Convention de Rome et n’incrimine pas les crimes contre l’humanité au titre d’une infraction autonome. Le conseil du ressortissant syrien invoquait en conséquence une exception d’incompétence des juridictions françaises. Les juridictions du fond ont toutefois rejeté cette exception en considérant que même si le code pénal syrien n’incrimine pas de manière autonome les crimes contre l’humanité, il punit en revanche les actes constitutifs de ces crimes tels que le meurtre, les actes de barbarie, le viol, les violences et la torture. Il est également précisé que la Constitution syrienne interdit la torture et que la Syrie a signé de nombreux traités prohibant les meurtres de civils, les exécutions sommaires ou la torture (Conventions de Genève et Pacte international relatif aux droits civils et politiques notamment). En conséquence, la chambre de l’instruction a considéré que l’absence d’incrimination autonome ne permettait pas de considérer comme non remplie la condition de double incrimination. Elle a estimé au contraire que l’ensemble des normes pénales syriennes faisait apparaître une volonté répressive des crimes contre l’humanité et que ces textes étaient dès lors suffisants pour relever la compétence des juridictions françaises compétentes.

La Cour de cassation ne suit pas le raisonnement et, se fondant sur l’article 212-1 du code pénal, rappelle que les crimes contre l’humanité se caractérisent non seulement par les actes commis qui sont limitativement énumérés par la disposition (dont l'atteinte volontaire à la vie, la torture, le viol et les actes inhumains) mais aussi par le fait que ces actes sont commis « en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique ». Or, la législation syrienne ne vise aucunement dans les incriminations de meurtre, de torture, de viol ou de violences, ce cadre particulier d’exécution des crimes contre l’humanité. La Cour de cassation affirme ainsi que la condition de double incrimination implique une identité d’incrimination c’est-à-dire une similitude des éléments constitutifs entre les dispositions françaises et étrangères. L’exigence posée par l’article 689-11 doit donc s’analyser non comme une identité de volonté répressive mais bien comme une équivalence, en tous ses éléments constitutifs, entre l’incrimination du droit français et celle du droit étranger.

S’il est évident que les crimes contre l’humanité se distinguent d’autres infractions criminelles par leurs éléments constitutifs et en particulier par l’existence d’un plan concerté, il faut toutefois rappeler que la compétence universelle se fonde sur l’existence d’une atteinte à la communauté internationale. Une telle atteinte existe, que la législation étrangère l’incrimine ou non dans toutes ses composantes. De telles atteintes sont d’ailleurs bien souvent commises dans des États n’ayant ni signé la Convention de Rome ni incriminé les crimes contre l’humanité. De nombreux auteurs ayant déjà jugées les conditions de l’article 689-11 trop restrictives, nul doute que la décision de la Cour de cassation fera l’objet de critiques supplémentaires en ce sens.

 

Auteur :Catherine Ménabé


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