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[ 28 novembre 2014 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Conciliation entre nécessité thérapeutique et article 3 Conv. EDH

Mots-clefs : Traitement inhumain et dégradant, Traitement sexologique, Conditions d’internement, Nécessité thérapeutique

Ne constituent pas un traitement inhumain ou dégradant les mauvaises conditions d’internement en hôpital psychiatrique ni l’administration d’un traitement sexologique auquel l’intéressé a donné son accord sans qu’aucun formulaire explicatif ne lui soit fourni préalablement au recueil de son consentement.

En l’espèce, un ressortissant tchèque, souffrant d’un trouble hébéphile (une forme de pédophilie), s’était vu prescrire, dans le cadre d’une condamnation pénale, un traitement sexologique protectif en institution. Interné en hôpital psychiatrique, il accepta, après s’y être opposé, un traitement médicamenteux anti-androgènes visant à faire baisser son taux de testostérone.

À sa sortie de l’hôpital, le requérant engagea, en vain, des procédures pour se plaindre des conditions de son internement. Il dénonçait l’impossibilité de suivre une psychothérapie adéquate durant son hospitalisation et se plaignait du traitement suivi qu’il prétendait avoir accepté sous pression et en l’absence d’informations suffisantes. Débouté de son action interne en protection des droits de la personnalité, il entreprit un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Invoquant notamment l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH), qui prohibe la torture et les traitements inhumains ou dégradants, le requérant dénonçait : l’absence d’aménagements raisonnables nécessités par son handicap lors de son internement, le fait d’avoir été soumis à un traitement médical forcé et les effets secondaires dudit traitement.

La Cour devait donc se prononcer sur le point de savoir si les conditions d’administration du traitement et d’internement du requérant étaient de nature à constituer une violation de l’article 3 de la Conv. EDH.

Les juges strasbourgeois rappellent que l’article 3 de la Convention trouve à s’appliquer lorsqu’un mauvais traitement atteint un minimum de gravité. Les allégations de mauvais traitements doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés, pouvant résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (CEDH 11 juill. 2006, Jalloh c/ Allemagne ; CEDH 18 janv. 1978, Irlande c/ Royaume-Uni ; CEDH 6 avr. 2000, Labita c/ Italie).

Concernant les conditions d’enfermement, les États doivent s’assurer que toute personne privée de sa liberté, y compris les personnes internées involontairement pour des raisons de santé psychique, est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine. Les autorités doivent contrôler que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la privation de liberté et que, eu égard aux exigences pratiques de l’internement, la santé et le bien-être du malade sont assurés de manière adéquate (CEDH 13 mars 2012, Parascineti c/ Roumanie).

Cependant, la Cour a eu l’occasion de relever qu’une mesure dictée par une nécessité thérapeutique du point de vue des conceptions médicales établies ne saurait, en principe, passer pour inhumaine ou dégradante (CEDH 24 sept. 1992, Herczegfalvy c/ Autriche, à propos de l’administration de force de nourriture et de neuroleptiques à un patient isolé et attaché à l’aide de menottes à un lit de sûreté).

Ainsi, au regard de cette jurisprudence, les juges estiment, en l’espèce, que si la plupart des restrictions en détention dénoncées par l’intéressé lui ont sans aucun doute causé des désagréments, elles étaient justifiées par son état de santé et son comportement. La Cour relève, par ailleurs, qu’il ne pouvait être établi que le requérant avait subi des pressions le poussant à suivre le traitement sexologique et que le fait de ne pas avoir eu recours à un formulaire explicatif avant de recueillir le consentement du patient n’était pas de nature à enfreindre l’article 3 de la Convention.

La Cour souligne, cependant, qu’un formulaire renforcerait la sécurité juridique pour tous les intéressés.

On rappellera, qu’en droit français, lorsque le juge pénal ordonne une injonction de soin à l’égard d’une personne condamnée, le médecin traitant désigné peut prescrire « tout traitement indiqué pour le soin du condamné y compris des médicaments inhibiteurs de libido » (CSP, art. L. 3711-3, al. 5). Le médecin est libre d’apprécier l’opportunité de ce traitement auquel le patient doit consentir après avoir été dûment informé conformément aux dispositions du Code de la déontologie médicale (CDM, art. 35 et 36) et du Code civil (C. civ., art. 16-1 et 16-2). La remise d’un formulaire explicatif sur le déroulement et les conséquences du traitement n’est pas obligatoire dans la mesure où la preuve qu’une information loyale, claire et appropriée à l’état du patient lui a été délivrée peut être rapportée par tout moyen (CSP, art. L. 1111-2).

Un amendement au projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale (adoptée en 2010) permettait au juge d'imposer un traitement médicamenteux inhibiteur de libido. Mais le Sénat l’a supprimé. Ainsi, en France, le médecin demeure le seul à pouvoir apprécier l’intérêt d’un tel traitement en respect du consentement de son patient.

CEDH 6 nov. 2014, Dvořáček c/ République Tchèque, n°12927/13

Références

■ Article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme - Interdiction de la torture

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

■ CEDH 11 juill. 2006, Jalloh c/ Allemagne, n°54810/00.

■ CEDH 18 janv. 1978, Irlande c/ Royaume-Uni, n°5310/71.

 CEDH 6 avr. 2000, Labita c/ Italie, n°26772/95.

■ CEDH 13 mars 2012, Parascineti c/ Roumanie, n°32060/05.

■ CEDH 24 sept. 1992, Herczegfalvy c/ Autriche, n°10533/83.

■ Code de la santé publique

Article L. 3711-3

« Le médecin traitant est habilité, sans que puissent lui être opposées les dispositions de l'article 226-13 du code pénal, à informer le juge de l'application des peines ou l'agent de probation de l'interruption du traitement. Lorsque le médecin traitant informe le juge ou l'agent de probation, il en avise immédiatement le médecin coordonnateur.

Lorsque le refus ou l'interruption du traitement intervient contre l'avis du médecin traitant, celui-ci le signale sans délai au médecin coordonnateur qui en informe immédiatement, dans le respect des dispositions relatives au secret médical, le juge de l'application des peines. En cas d'indisponibilité du médecin coordonnateur, le médecin traitant peut informer directement le juge de l'application des peines du refus ou de l'interruption du traitement intervenu contre son avis.

Le médecin traitant peut également informer de toutes difficultés survenues dans l'exécution du traitement le médecin coordonnateur qui est habilité, dans les mêmes conditions qu'à l'alinéa précédent, à prévenir le juge de l'application des peines ou l'agent de probation.

Le médecin traitant peut également proposer au juge de l'application des peines d'ordonner une expertise médicale.

Le médecin traitant peut prescrire tout traitement indiqué pour le soin du condamné y compris des médicaments inhibiteurs de libido. »

Article L. 1111-2

« Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.

Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel.

La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission.

Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l'information prévue par le présent article, sous réserve des dispositions de l'article L. 1111-5. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée soit à leur degré de maturité s'agissant des mineurs, soit à leurs facultés de discernement s'agissant des majeurs sous tutelle.

Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l'information sont établies par la Haute Autorité de santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé.

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.

L'établissement de santé recueille auprès du patient hospitalisé les coordonnées des professionnels de santé auprès desquels il souhaite que soient recueillies les informations nécessaires à sa prise en charge durant son séjour et que soient transmises celles utiles à la continuité des soins après sa sortie. »

■ Code de déontologie médicale

Article 35 (CSP, art. R.4127-35)

« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.

Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de contamination.

Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. »

Article 36 (CSP, art. R.4127-36)

« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.

Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.

Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité.

Les obligations du médecin à l’égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur protégé sont définies à l’article 42. »

■ Code civil

Article 16-1

« Chacun a droit au respect de son corps.

Le corps humain est inviolable.

Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. »

Article 16-2

« Le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci, y compris après la mort. »

 

 

Auteur :O. A.


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