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[ 10 décembre 2018 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Condamnation pénale du préposé : son commettant est civilement responsable

La condamnation pénale définitive du préposé implique de reconnaître sa faute civile et d’engager la responsabilité du fait d’autrui de son commettant.

Une assistante de direction, employée par une clinique, avait porté plainte pour harcèlement moral. Le procureur de la République avait fait citer directement devant le tribunal correctionnel la clinique comme civilement responsable ; la victime, quant à elle, avait fait citer directement la responsable des ressources humaines, qu’elle accusait de harcèlement, devant ladite juridiction, qui avait joint les procédures. Concernant l’action civile, la cour d’appel déclara que la clinique était, en sa qualité de commettant, civilement responsable de sa préposée, pénalement condamnée pour harcèlement moral, en application de l'ancien article 1384, alinéa 5 du Code civil, ancien, devenu l'article 1242, alinéa 5. 

Le pourvoi formé contre cette décision, fondé sur l’absence d’éléments suffisamment probants pour caractériser l’infraction reprochée, est rejeté. La chambre criminelle juge, d’une part, que la responsabilité de la clinique, dont la responsable des ressources humaines était sa préposée, est engagée en application des règles de droit civil, qui régissent les relations entre le commettant et le préposé, fondées sur les dispositions de l'article 1384, alinéa 5 ancien, devenu l'article 1242, alinéa 5, et dont il résulte en substance qu’existe une présomption de responsabilité du commettant du fait de son préposé, sauf à ce que le premier démontre que le second a agi sans autorisation, à des fins étrangères à ses attributions, et s'est placé hors des fonctions auxquelles il était employé (Cass., ass. plén., 17 juin 1983, n° 82-91.632). Elle ajoute, d’autre part, que la faute pénale du préposé, dont résulte la faute civile au sens des textes précités, ne peut plus être contestée par le commettant, fût-ce à l'occasion d'un procès ayant pour objet la seule action civile, lorsqu'elle constitue le fondement d'une condamnation pénale devenue définitive, ce qui était en l’occurrence le cas, le harcèlement moral imputé à sa préposée ayant été établi par sa déclaration de culpabilité. Par voie de conséquence, la clinique, dont la responsabilité civile est engagée de ce fait, s'il lui est loisible d'invoquer une cause d'exonération de sa responsabilité en établissant que ce préposé s'est placé hors des fonctions auxquelles il était employé, n'est plus recevable à contester l'existence de la faute commise par ce dernier.

Le principe jurisprudentiel de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil exige que ce qui a été définitivement jugé par le juge répressif quant à l’existence et à la qualification du fait incriminé, ainsi qu’à la culpabilité ou à l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé s’impose au juge civil (Civ., 7 mars 1855 ; Civ. 1re, 2 mai 1984, n° 83-10.264 ; Civ. 2e, 3 mai 2006, n° 05-11.339 ; Com. 5 nov. 1991, n° 90-13.033 Soc. 13 juill. 1994, n° 92-11.234 P), à l’effet d’interdire au juge civil de démentir le juge pénal. La chambre criminelle de la Cour de cassation en fait ici application pour déclarer la clinique civilement responsable du fait de sa préposée, étant précisé que la responsabilité civile du commettant du fait de son préposé reste une responsabilité pour faute, malgré la disparition progressive de celle-ci en droit de la responsabilité civile. 

Ce cas d’engagement de la responsabilité du fait d’autrui suppose en effet que le préposé ait commis un fait de nature à engager sa propre responsabilité, un comportement fautif donc, contrairement au régime de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs. Cette différence s’explique par la nature même de la responsabilité du commettant, traditionnellement considérée comme accessoire à celle de son préposé, auquel seul devait être imputable la charge définitive de l’indemnisation. Présentant simplement de meilleures garanties de solvabilité, le commettant se substituait au préposé dans ses rapports avec la victime, qui avait le choix d’agir contre l’un ou l’autre, le commettant ayant, le cas échéant, la possibilité d’exercer un recours en contribution contre son préposé, l’unique débiteur définitif de l’indemnité versée à la victime. Il n’est cependant pas exclu qu’à l’avenir, un fait simplement causal du préposé suffise à l’application de l’article 1242, alinéa 5. En effet, l’analyse traditionnelle a été profondément remise en cause il y a presque vingt ans par l’arrêt Costedoat, affirmant le principe de l’immunité civile du préposé resté dans le cadre de sa mission (Cass., ass. plén., 25 avr. 2000, n° 97.17.378 et 97.20.152 : « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant »), renouvelant ainsi profondément l’articulation des responsabilités respectives du préposé et du commettant. L’exigence d’un fait fautif du préposé pour engager celle de son commettant a toutefois été ensuite, étonnamment, maintenue (Civ. 2e, 8 avr. 2004, n° 03-11.653). Quoi qu’il en soit, l’arrêt Costedoat avait été complété l’année suivante par l’arrêt Cousin (Cass., ass. plén., 14 déc.2001, n° 00-82.066), par lequel l’Assemblée plénière avait, en toute logique cette fois, considéré que « le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fut-ce sur ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci », la référence au caractère intentionnel de l’infraction ayant ensuite été délaissée (V. Civ. 2e, 20 déc. 2007, n° 07-11.679; Civ. 2e, 21 févr. 2008, n° 06-21.182). Le bénéfice de l’immunité civile n’est, il est vrai, plus justifié dans cette hypothèse, la commission d’une infraction pénale ne relevant pas des risques à prendre en charge par l’entreprise.

Ainsi, toute infraction pénale commise par le préposé, intentionnelle ou non, engage sa responsabilité personnelle ce qui, en l’espèce, explique d’autant mieux que la « faute civile », déjà exigée par principe, soit ici reconnue par les juges dès lors qu’elle résulte de la faute pénale commise. La faute constituait donc la base commune de l’action civile et de l’action pénale, justifiant l’application du principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil, et la condamnation des agissements à double titre répréhensibles de la responsable.

La faute étant acquise, la Cour considère donc qu'en cet état, le commettant n’aurait pu s'exonérer de sa responsabilité qu'à la condition de rapporter la triple preuve que son préposé avait agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions. La preuve d’un abus de fonction est en effet le principal moyen offert au commettant pour être exonéré de sa responsabilité. Si la réunion de ses trois conditions cumulatives rend généralement très difficile son exonération, elle devait en l’espèce, de toute évidence, être exclue. La première condition, pour que l’abus de fonction soit retenu, est que le préposé ait agi hors de ses fonctions, c’est-à-dire hors du cadre objectif de ses fonctions, dans des circonstances de temps (horaires de travail), de lieu ou de moyens autres que celles entourant normalement l’exécution de sa mission. La deuxième condition est l’absence d’autorisation, l’abus de fonction ne pouvant naturellement être retenu par le juge si l’acte dommageable a été autorisé par le commettant. La dernière condition, l’action du préposé à des fins étrangères à ses attributions, renvoie à une recherche des intentions subjectives du préposé, ce dernier devant avoir agi à des fins personnelles, et non dans l’intérêt de son commettant. En l’espèce, une telle preuve, même si la clinique avait cherché à l’obtenir, n’aurait pu être rapportée, l’infraction ayant été commise en lien et dans le cadre des fonctions de la préposée, laquelle n’y avait pas été autorisée.

Crim. 13 nov. 2018, n° 17-81.398

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz : Responsabilité civile des commettants du fait de leurs préposés 

■ Cass., ass. plén., 17 juin 1983, n° 82-91.632 P

■ Civ., 7 mars 1855 : Bull. civ., n° 31

■ Civ. 1re, 2 mai 1984, n° 83-10.264 P

■ Civ. 2e, 3 mai 2006n° 05-11.339 P: D. 2006. 1400

■ Com. 5 nov. 1991, n° 90-13.033 P

■ Soc. 13 juill. 1994, n° 92-11.234 P

■ Cass., ass. plén., 25 avr. 2000, Costedoat, n° 97.17.378 et 97.20.152 P : D. 2000. 673, note P. Brun ; ibid. 467, obs. P. Delebecque ; RDSS 2001. 134, obs. J.-M. Lhuillier ; RTD civ. 2000. 582, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 8 avr. 2004, n° n° 03-11.653 P : D. 2004. 2601, note Y.-M. Serinet ; ibid. 2005. 185, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud ; ibid. 2006. 190, obs. Centre de droit et d'économie du sport ; RTD civ. 2004. 517, obs. P. Jourdain

■ Cass., ass. plén., 14 déc. 2001, Cousin, n° 00-82.066 P : D. 2002. 1230, et les obs., note J. Julien ; ibid. 1317, obs. D. Mazeaud ; ibid. 2117, obs. B. Thullier ; RDSS 2002. 526, obs. G. Mémeteau ; RTD civ. 2002. 109, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 20 déc. 2007, n° 07-11.679 P 

■ Civ. 2e, 21 févr. 2008, n° 06-21.182 : D. 2008. 2125, note J.-B. Laydu

 

Auteur :Merryl Hervieu


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