Actualité > À la une

À la une

[ 6 octobre 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Condition suspensive et résiliation unilatérale du contrat

C’est au jour de la résiliation unilatérale d’un contrat conclu sous condition suspensive que doit s’apprécier la réalisation ou la défaillance de la condition, dont l’accomplissement ultérieur est sans incidence.

Civ. 3ème, 14 sept. 2023, n° 22-18.642

Un contrat de maîtrise d’œuvre avait été conclu le 24 octobre 2017 par un particulier avec une société d’architectes. L’objet du contrat résidait dans l’aménagement d’un domicile personnel ainsi que dans la mise en conformité d’un local professionnel aux normes d’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Le contrat comportait une clause résolutoire stipulée au profit exclusif de la société. Le 12 juin 2018, celle-ci avait usé de sa faculté de résiliation pour mettre un terme au contrat. Son cocontractant avait contesté cette résiliation, qui méconnaîtrait les articles L. 313-1 et suivants du Code de la consommation en ce que le contrat devait être considéré, au regard de ce texte procédant par renvoi à l’article L. 313-42 du même code, comme conclu sous la condition suspensive d’obtention d’un prêt pour financer les travaux de mise aux normes. Or, à la date de la résiliation, ce dernier n’avait pas encore obtenu son prêt, qui ne lui fut octroyé qu’ultérieurement. Il avait donc sollicité en justice le remboursement des sommes versées à titre d’honoraires et le rejet des demandes de la société d’architectes qui souhaitait obtenir le paiement du solde de ses honoraires. Il obtint gain de cause en appel : observant que la société avait résilié le contrat le 12 juin 2018 et qu’à cette date, la condition ne s’était pas encore réalisée, les juges du fond ont considéré que les honoraires versés devaient être remboursés et la demande de paiement d’un solde d’honoraires rejetée. 

La société d’architectes s’est pourvue en cassation pour contester la défaillance de la condition, en l’espèce retenue, alors qu’une condition suspensive ne peut être considérée comme défaillie que dans le cas, étranger au litige, où il est certain que l'événement érigé en condition n'aura pas lieu. Le rejet du pourvoi s’appuie sur un attendu de principe relevant non pas du droit du crédit immobilier mais du droit commun des obligations : « La règle suivant laquelle l’engagement affecté d’une condition suspensive sans terme fixe subsiste aussi longtemps que la condition n’est pas défaillie et ne peut prendre fin par la volonté unilatérale de l’une des parties ne prive pas celles-ci du bénéfice des stipulations du contrat prévoyant une faculté de résiliation unilatérale. Dans ce cas, le sort de la condition s’apprécie à la date de la résiliation ».

 Rappelons à titre liminaire qu’une obligation est conditionnelle lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain (C. civ., art. 1304, al. 1er). On comprend par cette formule que la condition affecte l’existence même de l’obligation. Il s’agit d’une première différence avec le terme qui n’affecte pas l’existence de l’obligation, mais seulement son exigibilité. La seconde différence avec le terme est que la condition fait dépendre l’existence de l’obligation de la réalisation d’un événement futur et incertain, alors que le terme fait dépendre l’exigibilité de l’obligation de la réalisation d’un événement futur et certain. Autrement dit, seul un événement dont on n’est pas certain qu’il se réalisera peut en principe être érigé en condition. Malgré cette incertitude, la Cour de cassation fait dépendre, en cas de résiliation unilatérale du contrat, le sort d’une condition suspensive encore pendante de la date à laquelle le contrat prend fin. La solution répond à une logique temporelle, le terme ainsi mis au contrat obligeant à apprécier la condition à cette date, au-delà de laquelle le contrat résilié ne pourra plus, de toute évidence, la prévoir. Précisons toutefois qu’en principe, comme le rappelle la Cour, tant que la condition est pendante, la résiliation unilatérale n’est pas admise, sauf stipulation contraire des parties. En effet, tant que la condition est pendante, la résiliation unilatérale du contrat n’est pas envisageable puisqu’il n’est pas possible d’admettre, techniquement, la résiliation d’un contrat qui ne s’est pas encore formé. Ce n’est donc que dans le cas de l’espèce où la condition suspensive s’accompagne d’une clause résolutoire expressément stipulée par les parties que la résiliation unilatérale redevient, par dérogation, possible. La mise en œuvre de cette prérogative contractuelle suppose alors de considérer la condition, dont on ne peut augurer de la réalisation, comme définitivement défaillie si à la date de la résiliation, la condition n’est pas accomplie. Partant, la troisième chambre civile juge sa réalisation ultérieure indifférente, contrairement au moyen du pourvoi fondé sur le caractère certain de l’inaccomplissement de la condition pour constater sa défaillance ; selon le demandeur, la défaillance de la condition suspensive supposait, pour la tenir pour acquise, de constater que l’événement soumis à condition n’avait jamais pu se réaliser. Or en l’espèce, si lorsque le contrat a été résilié par l’architecte, le prêt n’avait pas encore été octroyé à son souscripteur, ce dernier l’avait finalement obtenu, postérieurement donc à la résiliation du contrat. Cependant, en l’absence de rétroactivité attachée à la réalisation de la condition (C. civ. art. 1304-6, al. 1er et 2), celle-ci devait rester sans effet. Non fondé, le moyen du demandeur au pourvoi est alors écarté par la Cour, considérant la condition comme défaillie à la date de la résiliation. La solution est justifiée par la nécessité de combiner le régime de la condition suspensive avec celui de la résolution du contrat. Puisque la condition suspensive empêche l’obligation de naître tant qu’elle ne s’est pas réalisée, l’obligation du débiteur devait être regardée comme n’ayant existé et le contrat d’architecte, anéanti en conséquence de la résiliation opérée. Double peine pour l’architecte donc, contraint de restituer les honoraires déjà perçus sans pouvoir, en outre, réclamer le paiement de son solde.

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr