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[ 21 novembre 2022 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Conditions d’indemnisation des victimes d’attentats

Par trois arrêts qui concernent l’attentat perpétré le 9 janvier 2015 dans le magasin Hyper Cacher de Vincennes, la Cour de cassation reconnaît le droit à indemnisation des proches de la victime directe d’un attentat, même si cette victime a survécu.

Civ. 2e, 27 oct. 2022, nos 21-24.42421-24.42521-24.426 et 21-13.134

Par un autre arrêt rendu ce même jour, concernant l’attentat perpétré à Nice du 14 juillet 2016, la Cour de cassation précise qu’au regard du Code des assurances, la victime directe d’un acte de terrorisme est la personne que cet acte a directement exposée à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle. Le fait, pour une personne, de s’être trouvée à proximité du lieu de l’attentat et d’en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer le droit d’être indemnisée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI).

■ Les proches de la victime directe de l’attentat

Dans les trois premières décisions, la deuxième chambre civile devait statuer sur la demande, invariablement rejetée en appel, formée par les proches de la victime directe, non décédée, de l’attentat de l’Hyper Cacher de Vincennes, commis le 9 janvier 2015. Dans ces trois affaires, les familles des victimes demandaient au FGTI l’indemnisation des préjudices d’attente et d’inquiétude qu’elles avaient personnellement subis. Pour juger leurs demandes irrecevables, les juges du fond, après avoir rappelé que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (…) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » (C. assur., art. L. 126-1, tel que mod. par la L. du 23 mars 2019, n° 2019-222, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice), avaient considéré que « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut ».

Le pourvoi en cassation formé par les proches de ces victimes survivantes posait à la Cour de cassation la question suivante : la loi réserve-t-elle l’indemnisation des proches de la victime directe de l’attentat au seul cas où celle-ci est décédée ? À cette question, la deuxième chambre civile répond par la négative. Au visa des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du Code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige, elle casse la décision des juges du fond ayant exclu à tort, sur le fondement des textes précités, l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, au motif infondé que la victime directe ayant survécu, sa survie privait ses proches de leur qualité d’ayants droit.

En effet, aucun des textes susvisés n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat en cas de survie de celle-ci. Il est vrai que le champ d’application de ce régime spécial d’indemnisation est très large, puisque n’en sont exclues que les victimes de nationalité étrangère d’actes de terrorisme commis hors du territoire national. En ce sens, aucun texte constitutif de ce régime n’érige en condition d’indemnisation des proches de la victime directe la survie de celle-ci, malgré l’équivocité de la dernière disposition figurant au visa de l'article L. 422-2 du Code des assurances (« Le fonds de garantie est tenu, dans un délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit, sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés »). Le doute introduit par cette disposition est en effet dissipé par la Cour par l’argument de la ratio legis. Elle rappelle qu’il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977 jusqu’alors applicable, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.

La Cour renvoie ensuite à sa propre jurisprudence pour justifier sa solution, rendue sur le fondement de la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990, ayant modifié l'article 706-3 du Code de procédure pénale pour étendre aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne. Conformément à cette évolution législative, la Cour de cassation juge de manière constante, depuis deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (Civ. 2e, 14 janv. 1998, nos 96-11.328 et 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun. En conséquence, la deuxième chambre civile souligne qu’interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du Code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions. Elle observe qu’un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur. Enfin, elle ajoute que par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.

Elle prononce alors la cassation des trois décisions qui lui étaient soumises ayant jugé irrecevables les demandes d’indemnisation des proches de la victime directe, motif pris de leur défaut de qualité d’ayants droit, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.

■ Les témoins de l’attentat

Dans la dernière décision, la deuxième chambre civile devait statuer sur l’éligibilité à l’indemnisation par le FGTI des témoins d’un attentat.

En l’espèce, deux personnes présentes à proximité du site de l'attentat perpétré le 14 juillet 2016, à Nice, au moyen d'un camion qui s'était engouffré dans la foule, avaient adressé au FGTI une demande d'indemnisation de leurs préjudices, faisant valoir les répercussions psychologiques consécutives à cet événement. Le FGTI ayant refusé de les indemniser, au motif qu'ils ne se trouvaient pas, au moment des faits, sur le lieu même de l'attentat, les témoins l'avaient assigné en justice. La cour d’appel leur dénia également la qualité de victimes : le camion s'était arrêté à 400 mètres de l’endroit où le couple se trouvait, hors de la trajectoire de ce véhicule, ces témoins n'avaient, à aucun moment, été directement exposés à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle. Leur pourvoi en cassation devait cette fois conduire la deuxième chambre civile à répondre à la question, distincte de la précédente, des critères d’éligibilité à l’indemnisation par le FGTI du témoin d’un attentat. Or le critère tiré de la proximité spatio-temporelle ne suffit pas : le fait, pour une personne, de s’être trouvée à proximité du lieu de l’attentat et d’en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer le statut de victime. Encore faut-il que le témoin établisse avoir été directement exposé à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle. Conforme à l’exigence du caractère direct du préjudice de droit commun, le critère ici posé l’est également au régime spécial d’indemnisation des victimes d’infraction, cette qualité dépendant, au sens de l’article L. 126-1 précité tel qu’interprété par la Cour, du lien direct existant entre le fait générateur (l’acte de terrorisme) et le préjudice (angoisse de mort imminente ou atteinte corporelle).

Références :

■ Civ. 2e, 14 janv. 1998, n° 96-11.328 et 96-16.255 : D. 1998. 52.

■ Ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072

 

Auteur :Merryl Hervieu


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