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[ 9 mai 2017 ] Imprimer

Procédure pénale

Contrôle du juge pénal sur les mesures prises en état d’urgence : suite

Mots-clefs : État d’urgence, Perquisition administrative, Assignation à résidence, Procédure pénale, Juge judiciaire, Compétence

Par plusieurs arrêts « I », les premiers du 28 mars, le troisième du 3 mai 2017, la chambre criminelle précise le contrôle exercé par le juge pénal sur les perquisitions et les assignations à résidence décidées dans le cadre de l’état d’urgence.

On se souvient que, par deux arrêts « I » du 13 décembre 2016 (n° 16-84.794 et 16-82.176), la chambre criminelle avait affirmé la compétence du juge pénal pour apprécier l’ordre de perquisition administrative déterminant la régularité de la procédure. Ces trois nouveaux arrêts complètent cette jurisprudence relative au contrôle, par le juge judiciaire, des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence.

Les deux premiers arrêts, en date du 28 mars 2017, concernaient des perquisitions administratives réalisées en décembre 2015 respectivement dans une épicerie (n° 16-85.072) et un domicile (n° 16-85.073) et qui avaient finalement révélé des infractions de droit commun relevant de la compétence du tribunal correctionnel (infractions à la législation sur les armes et sur les stupéfiants). Ils précisent tous deux qu’il appartient au juge pénal, appelé à contrôler la légalité d’une perquisition administrative, de démontrer l’existence d’une menace pour la sécurité et l’ordre publics, au besoin en obtenant de l’autorité compétente les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour prendre sa décision.

Dans ces affaires, les juges du fond avaient accepté l’exception d’illégalité tirée de l’acte administratif et annulé l’intégralité de la procédure en raison de l’imprécision des arrêtés préfectoraux qui, pour le premier, « ne fai[sai]t référence à aucun élément factuel, fût-il sommaire, propre à établir la légitimité de l’affirmation selon laquelle le lieu concerné était fréquenté par un ou plusieurs individus dont les comportements constituaient une menace pour la sécurité et l’ordre publics » et, pour le second, « ne fai[sai]t référence à aucun élément factuel, fût-il sommaire, propre à établir son bien-fondé au regard de la nécessité de la sécurité et de l’ordre publics et à justifier l’urgence attachée à la réalisation de la perquisition ».

La chambre criminelle casse et annule ces arrêts sur le moyen, soulevé d’office, pris de la violation de l’article 111-5 du Code pénal et de l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Confirmant la compétence de la cour d’appel pour apprécier la légalité de l’ordre de perquisition, elle constate cependant, dans la première affaire, que l’« arrêté préfectoral énonçait, au visa de l’article 11-I de la loi [sur l’état d’urgence], que les locaux concernés étaient fréquentés par une personne susceptible d’y détenir illégalement des armes, d’entretenir des liens et de servir de soutien à des individus radicalisés, d’où il se déduisait une menace pour la sécurité et l’ordre publics », et, dans la seconde, que « l’arrêté préfectoral énonçait, au visa des dispositions de l’article 11-I [précité], que les locaux concernés étaient fréquentés par des individus susceptibles d’y détenir illégalement des armes, ainsi que de les transporter dans les véhicules automobiles présents sur les lieux, d’où il se déduisait une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Et la Haute Cour précise donc, dans les deux cas, qu’il incombait à la cour d’appel, « si elle estimait l’arrêté insuffisamment motivé, de solliciter le ministère public afin d’obtenir de l’autorité préfectorale les éléments factuels sur lesquels celle-ci s’était fondée pour prendre sa décision », mettant ainsi à la charge du juge pénal l’obligation de se renseigner sur les raisons ayant présidé à la décision de l’autorité compétente de recourir à une perquisition administrative.

Dans le troisième arrêt, daté du 3 mai 2017, il était question d’assignations à résidence ordonnées par l’autorité administrative, toujours dans le cadre de l’état d’urgence. Cette fois le ministre de l’intérieur avait pris, le 22 juillet 2016, deux arrêtés d’assignation à résidence motivés au regard de la gravité de la menace terroriste sur le territoire national et compte-tenu d’éléments propres à chacun des deux prévenus relevant de leurs activités, de documents possédés par eux ou consultés par leur soin, ainsi que de la personnalité et de l’activité de certains de leurs contacts. Les deux intéressés s’étant soustraits à leurs obligations, ils ont été poursuivis pour non-respect d’une assignation à résidence prononcée dans le cadre de l’état d’urgence et relaxés par les premiers juges. Mais la cour d’appel infirma ces jugements et rejeta l’exception d’illégalité des assignations à résidence aux motifs que ces actes administratifs avaient été motivés par la référence à des éléments factuels, dont l’autorité administrative avait déduit l’existence de raisons sérieuses de penser que le comportement des intéressés constituait une menace pour la sécurité et l’ordre publics, et que les prévenus, qui étaient dans l’incapacité d’étayer leurs allégations, lui demandaient en réalité de contrôler l’opportunité des actes administratifs individuels les concernant.

Statuant au visa des articles 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 111-5 du Code pénal et 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, la chambre criminelle casse et annule l’arrêt d’appel, estimant que « s’il appartient au prévenu, poursuivi pour non-respect de l’assignation à résidence prononcée par le ministre de l’intérieur dans le cadre de l’état d’urgence, de préciser sur quels éléments porte sa contestation des raisons retenues par l’arrêté ministériel permettant de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, il incombe au juge répressif, compétent pour apprécier la légalité des arrêtés d’assignation à résidence, de répondre aux griefs invoqués par le prévenu à l’encontre de cet acte administratif, sans faire peser la charge de la preuve sur le seul intéressé et en sollicitant, le cas échéant, le ministère public afin d’obtenir de l’autorité administrative les éléments factuels sur lesquels celle-ci s’était fondée pour prendre sa décision ». Ce faisant, la Haute Cour affirme la compétence du juge pénal pour contrôler la légalité d’assignations à résidence, tout en précisant les modalités de ce contrôle qui non seulement doit répondre aux arguments soulevés par les individus faisant l’objet de ces mesures mais implique encore, le cas échéant, de solliciter l’autorité administrative compétente pour connaître les éléments ayant fondé sa décision. 

Crim. 28 mars 2017, no 16-85.072

Crim. 28 mars 2017, no 16-85.073

Crim. 3 mai 2017, n° 16-86.155

Références

■ Crim. 13 déc. 2016, n° 16-84.794, Dalloz Actu Étudiant, 20 janv. 2017, AJDA 2016. 2411 ; D. 2017. 275, note J. Pradel ; AJ pénal 2017. 30, note T. Herran et M. Lacaze.

■ Crim. 13 déc. 2016, n° 16-82.176, Dalloz Actu Étudiant, 20 janv. 2017, D. 2016. 2573.

 

Auteur :S. L.


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