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[ 24 février 2015 ] Imprimer

Droit du travail - relations collectives

Conventions et accords collectifs : la différence de traitement est fondée…jusqu’à la preuve du contraire !

Mots-clefs : Droit du travail, Accords catégoriels, Différence de traitement, Justification, Présomption (oui)

Par un revirement de jurisprudence, la chambre sociale de la Cour de cassation affirme que les différences de traitement entre catégories professionnelles issues de conventions ou d’accords collectifs sont présumées justifiées.

Par les trois décisions rapportées, la Cour de cassation modifie sa position relative aux avantages catégoriels en énonçant que les différences de traitement entre catégories professionnelles, opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs négociés et signés par des organisations syndicales représentatives qui sont investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées (v. X. Berjot, in Les Échos, 3 févr. 2015).

Il en résulte, comme elle l’ajoute, un renversement de la charge de la preuve : il appartient désormais à celui qui conteste ces différences de traitement d’établir que celles-ci sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

Les avantages catégoriels en cause dans les trois affaires jugées étaient les suivants :

– l’allongement du préavis en cas de licenciement des salariés ingénieurs et des cadres prévu par la convention collective des bureaux d’études techniques (arrêt n°13-22.179) ;

– l’octroi d’une prime d’ancienneté aux seuls salariés ouvriers et collaborateurs classés dans les groupes I, II et III par la convention collective des industries chimiques (arrêt n°13-14.773) ;

– des modalités de calcul de l’indemnité de licenciement plus favorables au profit des ingénieurs et des cadres, et non des ouvriers, prévues par la convention collective des transports routiers (arrêt n°13-25437).

De telles différences de traitement doivent, selon la Cour, être présumées justifiées au motif que les négociateurs sociaux, dont elle consacre le pouvoir normatif, quoiqu’ils agissent par délégation de la loi, doivent disposer, dans la mise en application du principe d’égalité de traitement, d’une marge d’appréciation et de manœuvre comparable à celle que le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur.

Si le principe d’égalité de traitement reste évidemment applicable aux conventions collectives et autres accords de branche, la rupture de cette égalité entre les différentes catégories professionnelles, du moins entre celles ayant un support légal et celles pour lesquelles le législateur prévoit lui-même des différences de traitement, est présumée justifiée.

Ainsi la Cour vient-elle utilement clarifier sa jurisprudence antérieure, dont les évolutions progressives avaient fait naître un certain flou, source d’insécurité juridique sur la valeur normative effective des avantages catégoriels comme du principe d’égalité de traitement.

Le problème soumis au juge prud’homal se posait toujours dans les mêmes termes : au nom du principe d’égalité, un salarié demandait l’attribution de la norme prévue par la convention collective qui lui était la plus favorable, même lorsque celle-ci ne trouvait normalement pas à s’appliquer à son statut.

Au soutien d’une telle demande, le salarié pouvait se prévaloir d’un arrêt rendu par la chambre sociale le 1er juillet 2009 dans lequel elle énonça que la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard de cet avantage, cette différence de traitement devant reposer sur des raisons objectives et pertinentes.

C’est ainsi que des différences de traitement entre les catégories de salariés, quoique prévues par des accords catégoriels, pouvaient être remises en cause par les salariés : durée de la période d’essai, primes diverses, délai de préavis, jours de congé, modalités de calcul de l’indemnité de licenciement, etc.

Pour tempérer cette instabilité affaiblissant la normativité des accords catégoriels, la Cour avait d’ailleurs admis, en 2011, que certains éléments, objectifs, légitimaient à eux seuls certaines différences de traitement entre les catégories de salariés : conditions d’exercice des fonctions, évolution de carrière, modalités de rémunération (Soc. 8 juin 2011).

Surtout, elle alla encore plus loin en excluant, plus récemment, l’applicabilité du principe d’égalité de traitement aux régimes de prévoyance, compte tenu des particularités de ces régimes couvrant les risques maladie, incapacité, invalidité, décès et retraite, « qui reposent sur une évaluation des risques garantis, en fonction de chaque catégorie professionnelle, prennent en compte un objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en œuvre la garantie d’un organisme extérieur à l’entreprise » (Soc. 13 mars 2013).

Ainsi ces deux décisions auguraient-elles du revirement opéré par les trois arrêts rapportés dont, soulignons-le, la radicalité n’est pas totale.

La Cour réserve, en effet, deux limites à son changement de jurisprudence. :

– d’une part, la possibilité de remettre en cause un avantage catégoriel demeure au cas où elle se fonderait sur des considérations extra-professionnelles. En pratique, l’hypothèse devrait, cependant, assez peu se présenter ;

– d’autre part, la solution ne trouve pas à s’appliquer aux différences de traitement résultant d’une décision unilatérale de l’employeur, comme la Cour l’a précisé dans un quatrième arrêt du 27 janvier 2015.

Soc. 27 janv. 2015, n°13-22.179 13-14.773 et 13-25.437

Références

■ Soc. 1er juill. 2009, n°07-42.675, Dr. social 2009. 1002, obs. Ch. Radé.

 Soc. 8 juin 2011, n°10-14.725.

■ Soc. 13 mars 2013, n°11-20.490.

■ Soc. 27 janv. 2015, n°13-17.622.

 

Auteur :M. H.


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