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[ 30 novembre 2023 ] Imprimer

Droit des sûretés et de la publicité foncière

Crédit-bail publié et cautionnement : sans demande de restitution du bien loué par le créancier, la caution est déchargée !

L’absence de demande de restitution d’un bien objet d’un crédit-bail publié constitue une faute de la part du créancier impayé privant la caution de la subrogation dans un droit qui aurait pu lui profiter, ce qui justifie la décharge de celle-ci.

Com. 8 nov. 2023, n° 22-13.823 P

Par un acte du 22 août 2007, une société avait, en qualité de crédit-preneur, conclu avec une autre société un contrat de crédit-bail dont l'exécution était garantie par le cautionnement solidaire d’un couple, consenti par acte séparé du 7 septembre 2007. Le crédit preneur ayant été mis en liquidation judiciaire, le crédit bailleur avait assigné les cautions en paiement. Pour justifier la décharge de leur engagement de caution, le couple avait opposé au créancier le défaut d'admission de sa créance à la procédure collective du débiteur principal, faute d’avoir agi en restitution du matériel donné en crédit-bail, ainsi que son manquement à l’obligation annuelle d’information lui incombant quant au montant de la dette garantie. La cour d'appel les débouta de leurs demandes aux motifs que, s'agissant d'un contrat publié, l'action en restitution n'était qu'une faculté ouverte au propriétaire, dispensé par cette publicité de faire connaître son droit de propriété. La revendication ne devant être exercée qu’à défaut de publication, les cautions ne pouvaient donc au cas présent soutenir une exception de subrogation. La juridiction du second degré ajouta que par ses lettres de déclaration de créance, le crédit bailleur avait en tout état de cause fait savoir au mandataire liquidateur sa volonté de récupérer les matériels, si bien qu’aucune faute ni fait exclusif de sa part dans le défaut de restitution du matériel loué ne pouvait lui être reproché. Par ailleurs, elle refusa de déchoir le créancier de ses droits au paiement des pénalités et intérêts de retard, jugeant l'article L. 341-6 du Code de la consommation inapplicable à la caution du crédit-preneur qui s'acquitte de ses loyers.

Au visa de l'article 2314 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, des articles L. 624-10 et R. 624-14 du Code de commerce, ainsi que du dernier texte précité, la Cour de cassation censure cette décision.

Elle rappelle qu’aux termes du premier de ces textes, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution (comp. art. 2314 nouv., prévoyant une décharge de la caution à proportion du préjudice résultant de la faute, ce que la jurisprudence antérieure à la réforme exigeait déjà). Elle ajoute qu’en vertu du deuxième texte susvisé, le propriétaire d'un bien est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur ce bien a fait l'objet d'une publicité. Elle précise enfin que selon la troisième disposition, lorsque le contrat portant sur un bien a fait l'objet d'une publicité, le propriétaire de ce bien peut en demander la restitution par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à l'administrateur, s'il en a été désigné, ou, à défaut, au débiteur ; une copie de cette demande est adressée au mandataire judiciaire et à défaut d'accord dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande ou en cas de contestation, le juge-commissaire peut être saisi à la diligence du propriétaire afin qu'il soit statué sur les droits de ce dernier.

Il résulte de la combinaison de ces dispositions que si la demande de restitution d'un bien, objet d'un contrat publié, ne constitue qu'une faculté pour le propriétaire de ce bien, ce dernier, lorsque sa créance est par ailleurs garantie par un cautionnement, commet une faute si, en s'abstenant d'exercer l'action en restitution, il prive la caution d'un droit qui pouvait lui profiter.

Ainsi la cour d’appel aurait-elle dû rechercher, comme elle y était invitée, si, en omettant de poursuivre la restitution du matériel, objet du contrat de crédit-bail, dans les conditions prévues à l'article R. 624-14 du Code de commerce, la société de crédit-bail n'avait pas fait perdre aux cautions un droit qui pouvait leur profiter, la privant ainsi, sur le fondement de l’article 2314 du Code civil, du bénéfice du cautionnement.

Ce faisant la Cour rappelle la règle selon laquelle la caution doit être déchargée de son engagement lorsque par son fait (fautif), le créancier ne peut plus la subroger dans les droits, hypothèques et privilèges contre le débiteur principal, la loi n’établissant par ailleurs aucune distinction entre la caution simple et solidaire (Civ. 14 juin 1841 ; DP 1841.t. 282). Premier texte figurant au visa, l’article 2314 du Code civil subordonne ainsi la mise en œuvre du bénéfice de subrogation à l’impossibilité pour la caution de se subroger « aux droits du créancier ». Autrement dit, la caution doit justifier de la perte de droits qu’elles auraient pu exercer à l’effet d’exercer son recours subrogatoire à l’encontre du débiteur (Civ. 1re, 13 nov. 1996, n° 94-16.475). La décharge de la caution n’est toutefois admise qu’en cas de faute exclusive du créancier (Com. 23 sept. 2020, n° 19-13.378), lequel doit avoir rendu impossible la subrogation de la caution dans un droit qui lui aurait été profitable, soit un droit préférentiel conférant au créancier un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance (Civ. 1re, 21 mars 1984, n° 83-10.035).

Au-delà des sûretés à proprement parler, la notion de droit préférentiel comprend ainsi tout droit ou action ouvrant à son titulaire une autre voie que le droit de gage général pour recouvrer sa créance. Couvrant à l’origine les droits conférés par une sûreté ou par un mécanisme jouant un rôle de garantie de paiement (droit de rétention, compensation, délégation, etc.), le domaine de cette notion consacrée de droit préférentiel s’étend encore plus largement à toutes les actions susceptibles de faciliter le recouvrement de la créance, pourvu qu’elles soient transmissibles à la caution. C’est la raison pour laquelle la Cour a admis que la perte du recours en résolution du contrat principal puisse justifier la décharge de la caution, celle-ci étant susceptible d’être privée de la possibilité de solliciter la restitution des biens qui en sont l’objet (Civ. 1re, 17 févr. 1993, n° 90-12.916). Il en va de même pour la perte de l’action en revendication (Com. 11 juill. 1988, n° 86-17.643) ou du droit pour le crédit bailleur, tel que celui en l’espèce invoqué, de revendiquer les biens loués au crédit preneur. Ainsi avait-il déjà été jugé, comme le confirme la solution rapportée, que la caution devait être déchargée lorsque le créancier, crédit bailleur, n’a pas revendiqué les biens dont il était resté propriétaire, à la liquidation judiciaire du crédit-preneur, privant ainsi la caution de la subrogation dans un droit qui pouvait lui profiter (Com. 14 févr. 1995, n° 93-13.848 ; 15 juin 2011, n° 10-13.537).

Enfin, la cassation de la décision des juges du fond est prononcée au visa de l’article L. 341-6 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, relatif à l’obligation annuelle d’information financière incombant au créancier. Aux termes de ce texte, le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. À défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Alors que la cour d’appel faisait dépendre l’effectivité de cette obligation du non-paiement des loyers par le crédit-preneur, la Cour de cassation juge que celle-ci est, même dans cette hypothèse, maintenue. Pour protéger au mieux les intérêts de la caution, les hauts magistrats refusent que celle-ci ne soit créancière d’une telle obligation d’information qu’en cas de manquement du débiteur principal à ses obligations contractuelles. Par faveur pour la caution personne physique, le devoir d’information financière incombant au banquier est donc exigé in abstracto.

Références :

■ Civ. 14 juin 1841

■ Civ. 1re, 13 nov. 1996, n° 94-16.475 P D. 1997. 166, obs. L. Aynès.

■ Com. 23 sept. 2020, n° 19-13.378 P : D. 2020. 1884 ; ibid. 2021. 1879, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; AJ contrat 2020. 549, obs. C. Le Gallou ; RTD civ. 2020. 888, obs. H. Barbier.

■ Civ. 1re, 21 mars 1984, n° 83-10.035 P

■ Civ. 1re, 17 févr. 1993, n° 90-12.916 P

■ Com. 11 juill. 1988, n° 86-17.643 P

■ Com. 14 févr. 1995, n° 93-13.848 P : D. 1996. 218, obs. F. Pérochon ; RTD com. 1997. 145, obs. A. Martin-Serf.

■ Com. 15 juin 2011, n° 10-13.537 RTD com. 2012. 407, obs. A. Martin-Serf.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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