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[ 2 décembre 2020 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Croyances religieuses et soins transfrontaliers

Les croyances religieuses peuvent justifier la prise en charge d’une prestation médicale dans un autre État membre que l’État de résidence. Le refus de l’autorisation par l’État de résidence constitue en effet une discrimination indirecte sur le fondement de l’article 21, paragraphe 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Cette discrimination peut toutefois être justifiée si elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable tel que la planification médicale ou encore le maintien de capacité de soin.

CJUE 29 octobre 2020, A c/ Veselibas ministriaja, C-243/19

Les soins médicaux sont des prestations de services au sens de l’article 57 TFUE. En conséquence ils sont soumis aux règles du marché intérieur, plus précisément à la libre prestation de services, peu importe l’établissement qui les délivre. La Cour de justice n’opère pas de distinction selon que l’entité soit publique ou privée. Il est toutefois nécessaire que les soins soient programmés, par opposition aux soins d’urgence qui ne permettent pas de choisir le médecin et le lieu. Cette liberté est aujourd’hui encadrée par deux textes au régime complémentaire : le règlement 883/2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, et la directive 2011/24 sur les droits des patients en matière de soins transfrontaliers. Au travers de ces deux fondements, est organisée, sous conditions, la prise en charge des soins par l’État membre d’affiliation, c’est-à-dire de résidence. 

Cependant, ces dispositions n’envisageaient pas la question de l’organisation des soins en fonction des croyances religieuses. 

Ce lien vient d’être réalisé au travers de l’arrêt de la Cour de justice A. c/ Veselibas ministriaja du 29 octobre 2020.

Dans cette décision, la Cour était confrontée à un refus de délivrance d’un formulaire pour la prise en charge d’une opération à cœur ouvert pour une malformation cardiaque au regard de la prise en considération des seuls critères médicaux. En effet, cette opération pouvait être effectuée en Lettonie, État de résidence, pour le fils de Monsieur A. Cependant, étant témoin de Jévohav, le requérant voulait que l’opération se déroule en Pologne, en raison de l’absence de transfusion sanguine. Le requérant a alors considéré que le refus de la Lettonie constituait une discrimination puisque les autres patients pouvaient bénéficier de prestations médicales remboursées, sans avoir à renoncer à leurs croyances religieuses. 

Dès lors, les critères médicaux peuvent-ils être la justification exclusive à la délivrance d’un formulaire de prise en charge de soin dans un autre État membre ou les croyances religieuses doivent-elles être prises en considération ?

La Cour de justice a examiné la question sur le fondement successivement du règlement 883/2004 et de la directive 2011/24. 

Sur le fondement du règlement 883/2004, la Cour de justice établit que l’autorisation est délivrée uniquement sur une évaluation médicale objective, aucun autre élément n’étant pertinent, ce qui exclut les croyances religieuses. En effet, les conditions sont, d’une part, la prise en charge des soins demandés par l’État membre de résidence et, d’autre part, l’état de santé du patient qui ne pourrait pas attendre la réalisation des soins dans son propre État membre. Cette conclusion est toutefois bousculée par l’interdiction de discrimination de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux, principe qui doit être appliqué chaque fois que l’État membre met en œuvre le droit de l’Union, ce qui est le cas en appliquant le règlement 883/2004. Après examen de la situation, la Cour de justice conclut à l’existence d’une discrimination indirecte puisque les patients qui subissent une intervention médicale avec transfusion sanguine sont couverts en Lettonie, alors que les autres patients, qui pour des raisons religieuses doivent aller dans un autre État membre, ne sont pas couverts par la Lettonie. La Cour de justice rappelle toutefois qu’une discrimination peut être justifiée si elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, ce que constitue la recherche de la stabilité financière du système de sécurité sociale pour conserver une offre de soin suffisante, équilibrée et permanente. La Cour met ainsi en exergue le coût du système de soin et l’obligation de maîtriser les coûts pour reconnaître le bien-fondé du refus.

Si l’affaire semble alors entendue, la Cour ne retient pas la même solution sur le fondement de la directive 2011/24, en raison de la différence de régime. Si le raisonnement est semblable sur l’identification de la discrimination, la Cour indique que, si la prise en charge est bien prévue, le remboursement est cette fois établi dans les limites des montants prévus dans l’État membre de résidence. Il n’y a ainsi pas de surcoût dans la prise en charge. S’il y a un montant des soins plus élevé, la différence reste à la charge du patient. 

Dès lors le refus de l’État ne peut plus reposer sur des justifications financières, ouvrant la voie à la prise en considération des croyances religieuses. Le bénéfice n’est toutefois pas de plein droit, l’État membre pouvant argumenter de la protection de la planification médicale et de maintien de capacité de soin, ces éléments constituant des critères objectifs et raisonnables à la discrimination.

Ainsi la Cour ouvre la porte à la prise en compte des croyances religieuses, mais uniquement sous l’angle de la directive 2011/24.

Références

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Art 57 « Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.

« Les services comprennent notamment:

« a) des activités de caractère industriel,

« b) des activités de caractère commercial,

« c) des activités artisanales,

« d) les activités des professions libérales.

« Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l'État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants. »

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Art. 21 « Non-discrimination.1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

« 2. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite. »

 

Auteur :Vincent Bouhier


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