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Droit de la responsabilité civile
De la faute de témérité caractérisée à la notion de préjudice écologique révélée
Mots-clefs : Naufrage, Préjudice, Responsabilité civile, Convention CLC, Faute de témérité, Conscience, Dommage par pollution
En commettant une faute de témérité, la société Total SA avait nécessairement conscience qu’il s’ensuivrait probablement un dommage par pollution.
Dans la célèbre affaire du naufrage de l’Erika, la chambre criminelle a rendu, le 25 septembre 2012, un arrêt de cassation complexe qui reconnaît la responsabilité civile de la société Total SA et la condamne solidairement à réparer le dommage par pollution ainsi causé.
Il est difficile d’exposer la solution de la chambre criminelle sans évoquer brièvement le recours au visa de nature internationale retenue par la Haute cour, visa qui lui a permis d’aller au-delà de la solution rendue par les juges du fond et à l’encontre de l’argumentation de l’avocat général : la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1969 (dite aussi « Convention CLC 69/92) et la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires de 1973 (dite « Convention MARPOL »). Rappelons, en effet, que l’avocat général soutenait que les juridictions françaises n’étaient pas compétentes puisque l’Erika avait échoué en dehors des zones territoriales. Cette zone géographique de naufrage excluait de facto l’application de l’arsenal juridique français qui veut que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (C. civ., art. 1382) et notamment la loi n°83-583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution de la mer par les hydrocarbures à l’époque en vigueur (v. aujourd’hui C. envir., art. L. 218-19). Cet argument d’incompétence a été rejeté par la chambre criminelle par une application combinée d’articles issus de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer faite à Montego Bay en 1982 (CNUDM), qui renvoie à la Convention Marpol : « lorsque des poursuites ont été engagées par l'État côtier en vue de réprimer une infraction aux lois et règlements applicables ou aux règles et normes internationales visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires, commise au-delà de sa mer territoriale par un navire étranger, la compétence de cet État est acquise lorsqu'elle porte sur un cas de dommage grave ».
La Haute cour énonce donc la teneur des dispositions internationales qui veulent « qu’une demande en réparation de dommage par pollution peut être formée contre le propriétaire du navire ainsi qu'à l'encontre des autres personnes qui y sont énumérées lorsque le dommage a été commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ». Les juges du fond avaient écarté la demande de réparation civile des victimes formée contre la société Total SA (Paris, pôle 4, 11e ch., 30 mars 2010). Ils estimaient qu’au cours de l’inspection du navire, réalisée dans le cadre de sa mission de contrôle de conformité aux exigences de sécurité et de protection de l’environnement, la société Total SA n’avait pas disposé d’éléments d’informations suffisants pour constater notamment la présence d’anomalies permettant de suspecter l’existence de plus graves désordres qui auraient eu pour effet de s’opposer à son appareillage. Une simple négligence (et non une faute) dans la procédure de contrôle avait alors été retenue : une négligence sans conscience de la probabilité d’un dommage par pollution (v. L. Neyret).
Les Hauts magistrats ne l’ont pas entendu ainsi. Aussi, en vertu de l’alinéa 2 de l’article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire qui permet à la Cour de cassation de mettre fin à un litige « lorsque les faits, tels qu'ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d'appliquer la règle de droit appropriée », l’arrêt d’appel a été cassé sans renvoi : la faute de témérité a été caractérisée et la conscience identifiée. La chambre criminelle affirme en ce sens : « alors que les constatations de fait, souverainement appréciées par la cour d'appel, caractérisaient une faute de témérité, au sens de la Convention CLC 69/92, à la charge de la société Total SA, et qu'il en résultait que son représentant avait nécessairement conscience qu'il s'ensuivrait probablement un dommage par pollution ».
De l’expression « dommage par pollution » retenue par la Haute cour découle la notion de préjudice écologique qui se définit comme l’atteinte grave faite à la nature, à savoir : l’air, le sol, l’eau, la biodiversité, etc. Le principe de l’indemnisation du préjudice écologique n’est pas nouveau en droit français (v. L. Neyret). Toutefois il fait naître d’importantes questions : qui peut représenter en justice Dame nature ? Comment déterminer le montant de l’indemnisation qui peut lui être allouée ? L'arrêt rend compte de ces difficultés tout en reconnaissant cette qualité aux associations et collectivités et en accordant une indemnité d’un montant arrêté aléatoirement, du fait de l’absence en France, pour le moment, d’une grille de référence permettant d’évaluer ce préjudice spécifique.
L’annonce de textes au niveau national pour régler cette situation est donc la bienvenue.
Crim. 25 sept. 2012, n°10-82.938, FP-P+B+R+I
Références
■ M. Latina, « La Cour de cassation ou l’économie de mots », Dalloz Actu Étudiant, Le Billet, 2 oct. 2012.
■ Paris, pôle 4, 11e ch., 30 mars 2010, RG n° 08/02278, Dalloz Actu Étudiant 15 avr. 2010.
■ L. Neyret, « Les réparations des atteintes à l’environnement par le juge judiciaire », D. 2008. 170.
■ L. Neyret, « L'affaire Erika : moteur d'évolution des responsabilités civiles et pénale », D. 2010. 2238.
■ Responsabilité civile
[Droit civil]
« Obligation de réparer le préjudice résultant soit de l’inexécution d’un contrat (responsabilité contractuelle), soit de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à autrui par son fait personnel, ou du fait des choses dont on a la garde, ou du fait des personnes dont on répond (responsabilité du fait d’autrui) ; lorsque la responsabilité n’est pas contractuelle, elle est dite délictuelle ou quasi délictuelle. »
Source : S. Guinchard, T. Debard, Lexique des termes juridiques 2013, 20e éd., Dalloz, 2013.
■ Article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire
« La Cour de cassation peut casser sans renvoi lorsque la cassation n'implique pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
Elle peut aussi, en cassant sans renvoi, mettre fin au litige lorsque les faits, tels qu'ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d'appliquer la règle de droit appropriée.
En ces cas, elle se prononce sur la charge des dépens afférents aux instances civiles devant les juges du fond.
L'arrêt emporte exécution forcée.
Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État. »
■ Article L. 218-19 du Code de l’environnement
I. - Est puni de 4 000 euros d'amende le fait, pour tout capitaine, de provoquer un rejet de substance polluante par imprudence, négligence ou inobservation des lois et règlements.
Est puni de la même peine le fait, pour tout capitaine de provoquer par imprudence, négligence ou inobservation des lois et règlements un accident de mer tel que défini par la convention du 29 novembre 1969 sur l'intervention en haute mer en cas d'accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures, ou de ne pas prendre les mesures nécessaires pour l'éviter, lorsque cet accident a entraîné une pollution des eaux.
Les peines sont portées à :
1° 400 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-12 ;
2° 800 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire ou d'une plate-forme entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-13 ;
3° 4, 5 millions d'euros d'amende lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-12 et qu'elle a pour conséquence, directement ou indirectement, un dommage irréversible ou d'une particulière gravité à l'environnement ;
4° 7, 5 millions d'euros d'amende lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-13 et qu'elle a pour conséquence, directement ou indirectement, un dommage irréversible ou d'une particulière gravité à l'environnement.
II. - Lorsque les infractions mentionnées au I ont pour origine directe ou indirecte soit la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée qui exposait l'environnement à un risque d'une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer, les peines sont portées à :
1° 6 000 euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire n'entrant pas dans les catégories définies aux articles L. 218-12 ou L. 218-13 ;
2° Trois ans d'emprisonnement et 4, 5 millions d'euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-12 ;
3° Cinq ans d'emprisonnement et 7, 5 millions d'euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-13 ou d'une plate-forme.
III.-Lorsque les infractions mentionnées au II ont pour conséquence directe ou indirecte un dommage irréversible ou d'une particulière gravité à l'environnement, les peines sont portées à :
1° Cinq ans d'emprisonnement et 7, 5 millions d'euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-12 ;
2° Sept ans d'emprisonnement et 10, 5 millions d'euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-13.
IV.-Nonobstant les dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait l'environnement à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. »
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