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[ 11 septembre 2013 ] Imprimer

Droit des personnes

De la liberté d’usage du nom de son époux pendant le mariage

Mots-clefs : Nom de famille d’origine, Mariage, Art. 8 et 14 Conv. EDH, Discrimination, Vie privée, Loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe

L’interdiction uniquement faite aux femmes de ne porter que leur nom « de jeune fille » après leur mariage constitue une discrimination et une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale selon la Cour européenne des droits de l’homme.

À la suite de son mariage, une ressortissante turque, résidant en Turquie, a demandé l’autorisation de ne porter que son nom de « jeune fille » et non celui de son époux. Celle-ci lui ayant été refusée, elle a saisi la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant la violation combinée des articles (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. 

Était donc posée à la Cour la question de savoir si l’obligation faite à la femme de porter le nom de son époux à titre d’usage, seul ou par adjonction à son nom de « jeune-fille »,  est contraire aux exigences de la Convention ? 

La Cour européenne a depuis longtemps affirmé l’exigence d’une égalité de traitement entre le mari et la femme en ce qui concerne le droit pour un époux d’avoir recours à titre d’usage au nom de son conjoint (CEDH 22 févr. 1994, Burghartz c/ Suisse). 

En ce qui concerne la liberté d’user ou non du nom de son époux, la Cour avait déjà tranché cette question dans le célèbre arrêt Ünal Tekeli (CEDH 16 nov. 2004, Ünal Tekeli c/ Turquie), où la Turquie avait été condamnée pour violation combinée des articles 8 et 14 de la Convention. La Cour européenne considérait ainsi que l’interdiction faite à la femme mariée de porter « son nom de jeune fille » constitue une discrimination fondée sur le sexe.

La Turquie n’ayant pas mis son droit en conformité avec les exigences de la Convention européenne, a subi deux nouvelles condamnations : le 28 mai dernier dans une affaire similaire (Leventoglu Abdulkadiroglu c/ Turquie) et dans l’espèce ici rapportée. La Cour européenne confirme ainsi sa position et condamne sans surprise la Turquie pour violation combinée des articles 8 et 14 de la Convention en indiquant qu’un consensus se dessinait sur le sujet entre les États contractants du Conseil de l’Europe. 

Mais qu’en est-il en France en cette matière depuis la loi n°2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe ?

Avant la loi n°2004-439 du 26 mai 2004, le nom d’usage n’était abordé dans le Code civil que sous l’angle de sa disparition et seule la femme avait la possibilité de conserver le nom de son époux en cas de divorce. À la suite de la condamnation de la Suisse (aff. Burghartz c/ Suisse, préc.), le législateur a modifié les dispositions du Code civil étendant cette possibilité à « chacun des époux ».

Il faut souligner que le droit pour un époux d’user du nom de son conjoint résultait uniquement des usages et de la coutume. En effet, le législateur s’était seulement penché sur la possibilité de conserver l’usage du nom de son conjoint en cas de divorce mais jamais du droit d’usage naissant du mariage. La possibilité d’user du nom de son époux durant le mariage ne figurait donc pas dans la loi alors même que la faculté de conserver ou non cet usage lors du divorce était insérée dans le Code civil.

La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe est donc revenue sur cette lacune et a introduit un article 225-1 au Code civil qui dispose que : « Chacun des époux peut porter, à titre d’usage, le nom de l’autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’il choisit ». 

L’ouverture du mariage aux couples de même sexe nécessitait une adaptation des règles relatives au mariage, et plus largement du droit de la famille, afin de faire disparaître toute différence fondée sur le sexe entre les époux. Il a donc fallu réformer les règles relatives au nom de famille (V. Corinne Doublein). Le législateur en a également profité pour préciser les modalités de l’usage du nom de son conjoint. 

Figure donc désormais dans la loi la possibilité d’user du nom de son époux et la forme que peut prendre cet usage. L’époux peut ainsi librement décider de conserver son nom de naissance ou bien de substituer à son nom l’usage du nom de son époux, ou encore d’adjoindre son nom à celui de son époux dans un ordre librement choisi.

CEDH 3 sept. 2013, Tuncer Günes c/ Turquie, n°26268/08

Références

■ CEDH 22 févr. 1994, Burghartz c/ Suisse, série A 280-B, D. 1995. 5, note J.-P. Marguénaud.

 CEDH 16 nov. 2004, Ünal Tekeli c/ Turquie, n° 29865/96.

 CEDH 28 mai 2013, Leventoglu Abdulkadiroglu c/ Turquie, n°7971/07.

■ Valérie Avena-Robardet, « L’impossibilité pour une épouse de porter uniquement son nom de jeune fille est discriminatoire », AJ fam. 2013. 386.

■ Corinne Doublein, « Le nom de famille : les modifications apportées par la loi du 17 mai 2013 », AJ fam 2013. 349.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, 

à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14 - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

■ Article 225-1 du Code civil

« Chacun des époux peut porter, à titre d'usage, le nom de l'autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l'ordre qu'il choisit. »

 

Auteur :C. D.


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