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[ 19 juin 2018 ] Imprimer

Droit pénal général

Délaissement de mineur ou de personne vulnérable : l'existence préalable d'une prise en charge de la victime

Les jeunes individus arrivant sur le territoire national et déclarant être à la fois mineursisolés et étrangers, sont protégés par la loi et le code de l'action sociale et des familles. Ils peuvent notamment bénéficier d'une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance assurée par les départements. En cas de refus d’admission, il existe une voie de contestation devant le juge des enfants en application des articles 375 et 375-1 du Code civil (CE 1er juill. 2015, n° 386769). Mais un tel refus de prise en charge peut-il être également qualifiable pénalement d’abandon de personne hors d’état de se protéger ? Telle était la question posée dans l’arrêt du 23 mai.

L'article 223-3 du Code pénal sanctionne de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende « le délaissement, en un lieu quelconque, d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ». La jurisprudence est venue à plusieurs reprises préciser la notion de délaissement. La chambre criminelle admet ainsi que l’infraction suppose un acte positif, exprimant de la part de son auteur la volonté d'abandonner définitivement la victime » (ex : Crim. 23 févr. 2000 n° 99-82.817). 

L’infraction repose sur une condition préalable: La victime doit avoir été accueillie par l'auteur avant l'abandon. Il est logique que seul celui qui supporte l’obligation d'une prise en charge de la victime puisse être poursuivi. La qualité de l'auteur du délaissement est indifférente, toute personne peut se rendre coupable du délit de délaissement de personne hors d'état de se protéger, indépendamment de tout lien de parenté ou d'alliance. Il peut s’agir d’une personne physique ou comme en l’espèce d’une personne morale.

Un jeune individu, alors âgé de dix-sept ans et sept mois, s’est présenté à la permanence d’accueil et d’orientation des mineurs étrangers isolés assurée par l’association France Terre d’asile en vertu d’une convention avec le département de Paris. Il a fait l’objet d’un refus de prise en charge, au motif qu’il était, au regard des quatre à six mois de délais d’orientation, trop proche de sa majorité pour une mise à l’abri dans le dispositif de cette association en vue d’une présentation à l’aide sociale à l’enfance. Il a alors porté plainte contre personne non dénommée et s’est constitué partie civile notamment du chef de délaissement d’une personne incapable de se protéger. Le juge d’instruction ayant rendu une ordonnance de non-lieu, il a relevé appel de celle-ci en vain. Les juges de la cour d’appel ont confirmé cette décision au motif que l’ « infraction suppose un acte positif exprimant de la part de son auteur la volonté d'abandonner définitivement la victime, que tel n'est pas le cas du refus ainsi opposé à un mineur qui n'avait pas encore été pris en charge par le service compétent ». Ils ajoutèrent « qu’un simple entretien d’évaluation ne saurait caractériser une telle prise en charge ».

A l’appui de son pourvoi, le jeune homme conteste l’analyse faisant valoir que l’infraction a vocation à s’appliquer que l’ « auteur assume déjà la prise en charge de la victime ou qu’il se trouve dans l’obligation légale ou réglementaire de le faire ». L’argumentation ne convainc pas la chambre criminelle laquelle approuve la chambre de l’instruction d’avoir exclue toute qualification au titre du délit de délaissement d’une personne hors d’état de se protéger affirmant que « le délit de délaissement ne peut être constitué qu’à l’encontre d’une personne qui assume déjà la responsabilité de la prise en charge de la victime ». 

La solution n’est pas contestable sur le plan juridique. Si la qualité de l'agent est indifférente à la constitution de l'infraction, faut-il encore que ce dernier ait la charge de la personne vulnérable. La notion d'abandon « implique naturellement » (A. Gouttenoire, M.-C. Guérin, Abandon d'enfant ou de personne hors d'état de se protéger, rép. Pén.) l'existence préalable d'une prise en charge, qui peut être temporaire ou définitive, factuelle ou juridique, de la victime. 

Crim. 23 mai 2018, n° 17-84.067 P

Références

■ CE 1er juill. 2015, n° 386769Dalloz actualité 15 juillet 2015, obs. de Montecler. 

■ Crim. 23 févr. 2000, n° 99-82.817 P : D. 2000. 106 ; RSC 2000. 610, obs. Y. Mayaud.

 

Auteur :Caroline Lacroix


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