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[ 22 avril 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Délit de solidarité, précisions des contours de l’exemption tirée du but humanitaire : pas plus de conditions que nécessaire !

L’immunité pénale tirée des dispositions de l’article L. 622-4, 3° du CESEDA n’est pas conditionnée par la connaissance de la situation de détresse par l’aidant, pas plus que par le caractère individuel et personnel de la démarche d’assistance. En retenant le contraire, la cour d’appel a ajouté des conditions non visées par le texte légal.

M. R. a transporté dans son véhicule deux ressortissants étrangers. Il est poursuivi sur le fondement de l’article L. 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CEDESA) qui réprime de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France ». 

Il est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Nice qui le condamne à trois mois d’emprisonnement. Il interjette appel de cette décision conjointement avec le ministère public. 

La cour d’appel d’Aix-en-Provence le condamne également, rejetant l’application du bénéfice de l’immunité humanitaire tiré de l’article L. 622-4 du CESEDA. Ce dernier prévoit que ne peut donner lieu à des poursuites pénales l’aide au séjour irrégulier d’un étranger notamment lorsqu’elle est le fait de toute personne physique « lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à contrepartie directe ou indirecte ». La cour d’appel considère cet article inapplicable, justifiant ainsi la condamnation, pour plusieurs motifs. D’une part, si l’aide reprochée à M. R. n’a donné lieu à aucune contrepartie, il ressort des constatations qu’il n’avait pas connaissance de l’éventuelle situation de détresse des migrants auxquels il est venu en aide. Par ailleurs, elle relève que M. R. n’aurait pas agi à titre purement personnel mais serait intervenu dans le cadre d’une action collective et militante relevant d’une association dont « il est de notoriété publique qu’elle apporte aide et assistance à des personnes étrangères en situation irrégulière ». Ces éléments sont, pour la cour d’appel, de nature à remettre en cause le fondement et le but uniquement humanitaire des faits reprochés à M. R. et par conséquent, de nature à exclure l’exemption pénale des dispositions de l’article L. 622-4, 3° du CEDESA. Ainsi, selon la cour d’appel, ces actes, dépourvus de toute spontanéité et rattachés à un cadre militant, ont été réalisés « en vue de soustraire sciemment des personnes étrangères aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration ». 

M. R. forme un pourvoi en cassation. Il relève notamment que les poursuites pénales fondées sur l’article L. 622-1 du CESEDA ne sauraient être justifiées dès lors que les faits n’ont donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et ont seulement consisté à fournir une aide dans un but exclusivement humanitaire. En relevant « qu’il ressort de la procédure et des débats que la démarche de M. R. ... n’a donné lieu à aucune contrepartie et visait à assurer le gîte et le couvert à ses passagers », la cour d’appel n’aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations. Par ailleurs, il conteste le rejet de l’immunité prévue par l’article L. 622-4 du CESEDA par la cour d’appel. La cour d’appel avait à ce titre exclu le bénéfice de l’immunité susvisé aux motifs que le prévenu n’avait pas connaissance de l’éventuelle situation de détresse des migrants, que son action, dépourvue de spontanéité, s’inscrivait dans une démarche d’action militantes. Au contraire, M. R. estime que ces circonstances ne sont pas exclusives de l’humanité et de la fraternité attachée à cette immunité et que ce faisant, la cour d’appel aurait ajouté des conditions à la loi prise en vue de garantir le respect du principe constitutionnel de fraternité. 

La Cour de cassation devait s’interroger sur les contours de l’infraction et de l’exemption qui l’accompagne. Dans un arrêt rendu le 26 février 2020, elle casse l’arrêt rendu par la cour d’appel sur le fondement de la contradiction et de l’insuffisance. 

Elle considère alors que la situation de détresse vraisemblablement inconnue par M. R et retenue par la cour d’appel pour exclure l’application de l’exemption n’est pas un élément nécessaire à son application en ce qu’elle n’est pas visée par l’article L. 622-4, 3° du CESEDA

Cet article ne prévoit pas plus au titre de ses dispositions que l’action justifiée doive se réaliser dans un but exclusivement humanitaire ou ne soit limitée aux actions individuelles. A ce titre, une assistance apportée dans le cadre d’une action militante ou associative ne saurait être de nature à exclure cette exemption.

Enfin, la Cour de cassation relève que le but de soustraire sciemment des personnes étrangères aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration pourrait être de nature à exclure le bénéfice de l’exemption. Cependant, en relevant seulement que l’assistance apportée s’est inscrite, « de manière générale, dans le cadre d’une démarche d’action militante en vue de soustraire sciemment des personnes étrangères aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration » par voie d’affirmation, sans même apporter la preuve du mobile, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. 

Crim. 26 février 2020, n° 19-81.561

Références

■ E. Benazeth, « Délit de solidarité – immunité humanitaire : où sont les frontières de la notion ? », JA 2020, n° 616, p. 11.

■ Crim. 12 déc. 2018, n° 17-85.736 P : http://h/Dalloz. actu., 19 déc. 2018, J. Gallois ; D. 2019. 49, note A. Dejean de la Bâtie ; ibid. 2320, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JA 2019, n° 593, p. 10, obs. X. Delpech ; AJ pénal 2019. 92obs. J.-B. Perrier ; RSC 2019. 94, obs. Y. Mayaud

■ Le principe de fraternité, Dalloz Actu Étudiant, 1er oct. 2018, C. de Gaudemont

 

Auteur :Chloé Liévaux


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