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[ 28 octobre 2013 ] Imprimer

Droit de la concurrence

Dénigrement déloyal : rejet de l’exceptio veritatis

Mots-clefs : Concurrence déloyale, Allégation, Discrédit, Dénigrement

La divulgation d’une information, même exacte, de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement.

« Calomniez, il en restera toujours quelque chose ».

Selon une définition couramment admise, le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, l'entreprise ou la personnalité d'un concurrent pour en tirer un profit (v. P. Roubier). Il s'agit ainsi de « porter atteinte à l'image de marque d'une entreprise ou d'un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d'arguments répréhensibles, ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis en tout cas de manière à toucher les clients de l'entreprise visée » (Versailles, 9 sept. 1999).

Le dénigrement comporte donc nécessairement un message critique visant à entacher la réputation d’un concurrent. Or, si diffuser publiquement des critiques inexactes sur un concurrent est nécessairement constitutif de concurrence déloyale (Com. 29 mai 1978), la question se pose de savoir si, lorsque l’information révélée est objectivement fondée, la même conclusion s’impose. C’est tout l’intérêt de la décision rapportée, qui y répond par un rappel du principe d’indifférence à l’exactitude des faits reprochés.

En l’espèce, une société fabriquant et commercialisant des appareils fonctionnant au gaz, ainsi que les cartouches correspondantes, avait envoyé des lettres recommandées avec avis de réception aux distributeurs de produits identiques, fabriqués par une société italienne concurrente, pour les avertir de la non-conformité des cartouches commercialisées par cette dernière à la directive européenne 1999/36 du 16 juin 2010 relative aux équipements sous pression transportables. Voyant dans cette diffusion un dénigrement constitutif de concurrence déloyale, la société critiquée assigna en justice la société dénonciatrice à l’effet d’obtenir l’indemnisation de son préjudice. 

La cour d’appel accueillit sa demande et ordonna, de surcroît, la publication d’un bandeau couvrant partiellement la page d’accueil des sites de la société condamnée pendant deux mois et d’un communiqué dans deux revues, à ses frais. Celle-ci forma alors un pourvoi en cassation reposant sur l’exception de vérité, autrement dit, sur l’idée selon laquelle la divulgation d’une information exacte ne peut constituer un dénigrement fautif, et ce, d’autant plus que celle-ci est exprimée en termes mesurés à la société qui commercialise un produit sous sa marque, et fait état du défaut de conformité de ce produit aux normes en vigueur.

Mais la Cour de cassation rejette fermement la thèse du pourvoi, affirmant dans un attendu de principe que « la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte », ce qui était, en l’espèce, manifestement le cas.

Sous deux aspects, la solution n’est pas nouvelle et procède davantage d’un rappel.

D’une part, concernant l’objet du dénigrement, la décision confirme qu’outre des critiques d'ordre privé ou patrimonial, relatives à la qualité ou au prix de certains produits ou de services, le dénigrement peut également viser l'organisation juridique ou les méthodes commerciales d’un concurrent. À ce titre, accuser un concurrent de ne pas respecter les normes imposées peut être, comme en l’espèce, constitutif de dénigrement (Com. 28 sept. 2010).

D’autre part, concernant la véracité des faits reprochés, la chambre commerciale rappelle, pour l'appréciation d’un acte de dénigrement, l’indifférence de principe à l’exactitude des critiques adressées (v. déjà, Com. 28 sept. 2010, préc.).

Par cet arrêt se trouve donc confirmé que l'exceptio veritatis n'est pas, en principe, retenue dans le cadre du dénigrement, contrairement au cas de la diffamation où elle est prise en compte. Il en résulte que le juge saisi d'une action en concurrence déloyale fondée sur des actes de dénigrement ne doit pas s'interroger sur le caractère exact, ou non, des propos tenus mais doit se limiter à rechercher si l'allégation litigieuse n'était pas constitutive d'un dénigrement fautif, simplement parce qu’elle avait pour but de jeter le discrédit sur un concurrent. L’intention de nuire à une société concurrente se présente ainsi comme le seul critère de la faute.

L’arrêt rapporté présente également l’intérêt de préciser un point délicat : celui de l’étendue du préjudice indemnisable. En effet, le préjudice concurrentiel est connu pour être particulièrement difficile à évaluer.

En l’espèce, la Cour de cassation soutient l’analyse des juges du fond selon lesquels, conformément au droit commun de la responsabilité, les dommages-intérêts alloués doivent couvrir à la fois la réparation de la perte subie par la victime mais également le gain dont elle a été privée, ce qui correspond respectivement au retour des marchandises (que les fournisseurs devront racheter) et à l’arrêt des commandes pour l’avenir.

Com. 24 sept. 2013, n°12-19.790

Références

■ P. Roubier, Le droit de la propriété industrielle, Sirey 1952, t. 1, p. 206.

■ Versailles, 9 sept. 1999, D. 2000. Somm. 311, obs. Y. Serra.

■ Com. 29 mai 1978, n°76-14.793.

 Com. 28 sept. 2010, n°09-15.583, JCP E 2011, n°7, 1135.

 

Auteur :M. H.


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