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[ 6 décembre 2018 ] Imprimer

Droit du travail - relations collectives

Discrimination, grève et prime

La retenue opérée sur une prime en raison d’une absence pour grève est discriminatoire, dès lors que les autres absences, qui ne sont pas assimilées à du temps de travail effectif, n’entraînent pas également de retenue. 

Dans cette affaire, un salarié et un syndicat ont saisi la juridiction prud’homale pour contester une retenue sur le salaire effectuée par l’employeur au titre d’une absence pour grève. Le salarié avait fait grève pendant quatre jours, et s’était vu retirer une part de sa prime d’ancienneté.

La cour d’appel de Rouen, dans son arrêt du 7 février 2007, a donné raison au salarié et a condamné l’employeur à lui verser une somme à titre de rappel de prime et une somme à titre de dommages et intérêts. L’employeur a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Devant la Haute juridiction, il faisait valoir que certaines absences étaient traitées de la même manière que les absences pour fait de grève en donnant lieu à une retenue sur salaire. Ainsi, il estimait que cette retenue n’était pas discriminatoire. Cependant, un règlement maladie Esso raffinage SAF et le guide administratif du personnel posté en 3x8 continu prévoyait au contraire que « les salariés absents pour maladie non professionnelle ayant plus d’une année d’ancienneté bénéficiaient du maintien de leur plein salaire, y compris les primes, sans entraîner d’abattement de ces primes ». La Cour de cassation estime que la cour d’appel a justement déduit de ses constatations l’existence d’une discrimination. Elle confirme donc en l’espèce que le traitement moins favorable d’une catégorie de salariés par rapport à une autre catégorie, constitue une discrimination.

L’article L. 2511-1 du Code du travail énonce que l’exercice du droit de grève ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l'article L. 1132-2 du même code, notamment en matière de rémunérations et d'avantages sociaux. Ainsi, réduire ou supprimer une prime à un salarié en raison de sa participation à une grève est discriminatoire. Cette solution est applicable qu'elle que soit la prime : prime d'assiduité, prime de fin d'année, prime d'ancienneté... De nombreuses illustrations jurisprudentielles ont établi le principe selon lequel l'employeur ne peut faire de différence de traitement qu'entre les absences légalement assimilées à du temps de travail et les autres absences pour réduire ou supprimer une prime.

La Cour de cassation a pu juger que constitue une discrimination la réduction opérée sur une prime d'ancienneté ou de fin d'année en raison d'une absence pour grève alors que ne donnent pas lieu à abattement les absences pour maladie (Soc. 23 juin 2009, n° 07-42.677), pour permission ou congé sans solde de cinq jours maximum (Soc. 18 janv. 1995, n° 91-42.476), ou encore pour événements familiaux (Soc. 15 févr. 2006, n° 04-45.738).

Le raisonnement est le même si l'une de ces absences entraîne un abattement moindre que celui pratiqué en cas de grève (Soc. 25 mars 1982, n° 81-11.175). L’employeur ne peut pas non plus opérer une retenue sur salaire différente selon le degré de mobilisation des salariés grévistes, les services et les conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise (Soc. 9 juill. 2015, n° 14-12.780).

Enfin, l’attribution d’une prime aux salariés selon qu'ils ont participé ou non à un mouvement de grève est une pratique illicite au regard du droit de grève, même si l'employeur avance que ces salariés ont, en plus de leur travail, accepté de remplacer leurs collègues le temps de la grève (Soc. 1er juin 2010, n° 09-40.144). De même, le fait de faire varier le montant d'une prime en fonction de la participation au mouvement de grève est discriminatoire (Soc. 15 oct. 1981, n° 79-40.861).

A l’inverse, une retenue opérée n'est pas discriminatoire si d'autres absences, autres que celles que la loi assimile à du temps de travail effectif, entraînent la même suppression (Soc. 23 juin 2009, n° 08-42.154). 

En conclusion, l’employeur qui, de manière directe ou indirecte, réduit ou supprime une prime, en se fondant uniquement sur la participation du salarié à une grève commet une discrimination et s’expose à un rappel de primes et à des dommages et intérêts au bénéfice du salarié. 

Soc. 7 novembre 2018, n° 17-15.833

Références

■ Soc. 23 juin 2009, n° 07-42.677 P

■ Soc. 18 janv. 1995, n° 91-42.476

■ Soc. 15 févr. 2006, n° 04-45.738 P : D. 2006. 604 ; Dr. soc. 2006. 577, obs. C. Radé

■ Soc. 25 mars 1982, n° 81-11.175 P

■ Soc. 9 juill. 2015, n° 14-12.780

■ Soc. 1er juin 2010, n° 09-40.144 P : D. 2010. 1565, obs. L. Perrin ; Dr. soc. 2010. 998, obs. C. Radé

■ Soc. 15 oct. 1981, n° 79-40.861 P

■ Soc. 23 juin 2009, n° 08-42.154 P : D. 2009. 1901, obs. S. Maillard

 

Auteur :Quentin Mlapa


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