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[ 6 décembre 2017 ] Imprimer

Droit international privé

Divorce international ou la complexité du droit de l’Union …

Mots-clefs : Compétence en matière de divorce international, Coopération judiciaire en matière civile, Règlement Bruxelles II bis

Un époux ressortissant d’un État membre ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3, 4 et 5 du règlement Bruxelles II bis.

Une ressortissante française et un ressortissant belge se sont mariés en France et ont fixé leur première résidence habituelle en Belgique, où ils ont eu trois enfants. Par la suite, ils sont partis vivre en Inde où ils ont fixé leur nouvelle résidence habituelle. Au cours d’un voyage en France en 2013, l’épouse a déposé une requête en divorce devant le juge aux affaires familiales français. 

Par une ordonnance de non-conciliation le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Montargis s’est déclaré compétent  pour statuer sur la requête en divorce. La cour d’appel d’Orléans a par la suite confirmé cette compétence des juridictions françaises. En effet, elle a constaté qu’aucun des chefs de compétence énoncés aux articles 34 et 5 du règlement Bruxelles II bis ne pouvait être retenu, à défaut pour les époux d’avoir une résidence habituelle dans un État membre ou la nationalité commune d’un État membre. C’est ce qui a amené la cour d’appel à faire application de l’article 7, § 1 dudit règlement disposant que si aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3 à 5, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État. 

En France, les règles internes de compétence territoriale dans les affaires de divorce sont fixées à l’article 1070 du Code de procédure civile, dont chaque critère est fondé sur la résidence habituelle des parties. Or, en l’espèce, la cour d’appel constate que les époux avaient fixé leur résidence habituelle en Inde, ce qui ne permet pas de fonder la compétence des juridictions françaises sur la base de l’article 1070 du Code de procédure civile. C’est la raison pour laquelle elle fonde la compétence des juridictions françaises sur l’article 14 du Code civil qui permet de citer devant les tribunaux français un étranger, même non-résident en France, pour les obligations contractées par lui en France avec un français. L’épouse étant française et ayant contracté mariage en France, la cour d’appel confirme la compétence des juridictions françaises pour statuer sur le divorce des époux. Le mari conteste cette compétence et forme un pourvoi en cassation. 

Le 15 novembre 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt publié au bulletin, casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel, au visa de l’article 6 du règlement Bruxelles II bis. Elle applique strictement cet article selon lequel un époux qui a sa résidence habituelle sur le territoire d'un État membre ou est ressortissant d'un État membre ne peut être attrait devant les juridictions d'un autre État membre qu'en vertu des articles 3 à 5 de ce règlement. Elle rejette ainsi la compétence des juridictions françaises. 

La cour de cassation interprète à la lettre l’article 6 du règlement Bruxelles II bis. La Cour de justice de l’Union européenne avait déjà eu à se prononcer sur l’étendue du caractère « exclusif » des chefs de compétence des articles 3 à 5 du règlement Bruxelles II bis, posé à l’article 6 du même règlement (CJUE 29 nov. 2007, Sundelind Lopez c/ Lopez Lizazo, n° C-68/07). Dans cette affaire, elle affirmait clairement que les juridictions d’un État membre ne pouvaient fonder leur compétence sur leur droit national dès lors que les juridictions d’un autre État membre étaient compétentes en vertu du règlement Bruxelles II bis. Cela pouvait laisser entendre l’application du droit national d’un État membre lorsque aucun des chefs de compétence du règlement Bruxelles II bis n’était applicable. 

Mais la Cour de cassation adopte une conception plus stricte de l’article 6 dudit règlement, en estimant que la présence d’un ressortissant belge dans le litige, c'est-à-dire d’un « ressortissant d’un autre État membre », ne permet pas de fonder la compétence des juridictions françaises sur le droit national, et ce même si aucun des chefs de compétence de l’article 3 du même règlement ne permet de saisir un juge d’un État membre. Par la même occasion la Cour de cassation fait une stricte application de la supériorité du droit de l’Union européenne sur le droit interne français, dès lors que le litige entre dans le champ d’application du règlement Bruxelles II bis, et sans tenir compte du résultat in concreto

Le caractère exclusif posé par l’article 6 du règlement Bruxelles II bis concernant les chefs de compétence a été sujet à beaucoup de discussions doctrinales quant à sa coordination avec l’article 7 du même règlement, qui permet pourtant lorsque aucune juridiction d'un État membre n'est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5, de déterminer la compétence dans chaque État membre, par la loi de cet État. 

Cela a amené des auteurs à réfléchir sur les conséquences et les aménagements qui pourraient être trouvés. Car, comme c’est le cas dans l’arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre 2017, les chefs de compétence de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis, fondés sur la nationalité commune des époux ou leur résidence habituelle, ne permettent pas de saisir un juge d’un État membre. Cette situation peut être problématique pour les époux et leurs enfants, tous ressortissant d’États membres, et pourtant obligés de s’en remettre à l’ordre juridique d’un État tiers (l’Inde en l’espèce) pour régler les conséquences de leur divorce. Ce qui pourrait mener à un déni de justice, dans le cas par exemple du divorce de couples homosexuels résidant dans un État tiers qui ne reconnaît pas une telle union. 

Ainsi certains auteurs proposent de prévoir un forum necessitatis encadré (T. Kruger et L. Samyn, « Brussels II bis : successes and suggested improvements », Journal of Private International Law, 2016, Vol. 12, n° 1, 132-168). Autrement dit, il s’agit de permettre sous certaines conditions de saisir le juge d’un État membre, pourtant non compétent selon les chefs de compétence classiques du règlement Bruxelles II bis. Son application étant soumise d’une part, à ce qu’aucune juridiction d’un État membre ne soit compétente selon ce règlement ; d’autre part, à ce que la procédure de divorce ne puisse être raisonnablement introduite ou conduite dans un État tiers ; et enfin à ce qu’il existe un lien suffisant avec l’État membre dont relève la juridiction. Appliqué à l’espèce, cela aurait probablement permis au juge français de se reconnaître compétent, les époux ayant contracté mariage en France et l’un d’eux étant de nationalité française. Il resterait alors à démontrer que l’ordre juridique indien n’est pas à même de régler raisonnablement leur divorce.  

Ce mécanisme n’est pas inconnu des règlements européens, puisque le règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 sur les successions internationales prévoit un tel dispositif afin d’éviter les situations de déni de justice. La Commission européenne a rédigé une proposition de refonte du règlement Bruxelles II bis qui est actuellement soumise au Parlement européen. Cet arrêt de la Cour de cassation, mettant en exergue les problématiques de l’article 6 du règlement actuel, pourrait ainsi amener le législateur européen à envisager ce type de règle. 

Civ. 1re, 15 nov. 2017, n° 16-16.265

Références 

■ CJUE 29 nov. 2007, Sundelind Lopez c/ Lopez Lizazo, n° C-68/07: D. 2008. 27 ; ibid. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2008. 34, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2008. 343, note E. Gallant.

■ Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 : Règlement Bruxelles II bis

Article 3 

« Compétence générale. 1. Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l'annulation du mariage des époux, les juridictions de l'État membre: 

a) sur le territoire duquel se trouve: — la résidence habituelle des époux, ou — la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l'un d'eux y réside encore, ou — la résidence habituelle du défendeur, ou — en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l'un ou l'autre époux, ou — la résidence habituelle du demandeur s'il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l'introduction de la demande, ou — la résidence habituelle du demandeur s'il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l'introduction de la demande et s'il est soit ressortissant de l'État membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, s'il y a son «domicile»; 

b) de la nationalité des deux époux ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, du «domicile» commun. 

2. Aux fins du présent règlement, le terme «domicile» s'entend au sens des systèmes juridiques du Royaume-Uni et de l'Irlande. »

Article 4 

« Demande reconventionnelle. La juridiction devant laquelle la procédure est pendante en vertu de l'article 3 est également compétente pour examiner la demande reconventionnelle, dans la mesure où celle-ci entre dans le champ d'application du présent règlement. »

Article 5 

« Conversion de la séparation de corps en divorce. Sans préjudice de l'article 3, la juridiction de l'État membre qui a rendu une décision sur la séparation de corps est également compétente pour convertir cette décision en divorce, si la loi de cet État membre le prévoit. »

Article 6

« Caractère exclusif des compétences définies aux articles 3, 4 et 5. Un époux qui: 

a) a sa résidence habituelle sur le territoire d'un État membre, ou 

b) est ressortissant d'un État membre ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, a son «domicile» sur le territoire de l'un de ces États membres, ne peut être attrait devant les juridictions d'un autre État membre qu'en vertu des articles 3, 4 et 5. »

Article 7 

« Compétences résiduelles. 1. Lorsque aucune juridiction d'un État membre n'est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État. 

2. Tout ressortissant d'un État membre qui a sa résidence habituelle sur le territoire d'un autre État membre peut, comme les nationaux de cet État, y invoquer les règles de compétence applicables dans cet État contre un défendeur qui n'a pas sa résidence habituelle dans un État membre et qui ou bien n'a pas la nationalité d'un État membre ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, n'a pas son «domicile» sur le territoire de l'un de ces États membres. »

 

Auteur :H. D.


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