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[ 12 mars 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

« Droit à la confrontation » : l’absence justifiée de la victime de viol souffrant d’un stress post-traumatique

Mots-clefs : Procès équitable, Principe du contradictoire, Audition de témoin

Dans une décision du 19 février 2013, la Cour européenne des droits de l’homme approuve les restrictions apportées au droit d’interroger le témoin, en raison du stress post-traumatique dont souffre ce dernier victime de viol.

Cour européenne des droits de l’homme a rendu une solution empreinte d’humanité ménageant droits de la défense et protection des intérêts des victimes particulièrement éprouvées en matière d’agression sexuelle.

En l’espèce, un homme — condamné notamment pour l’enlèvement et le viol de son ancienne compagne à vingt-sept ans d’emprisonnement au total ainsi qu’à d’autres pénalités —, se plaignait de n’avoir pas eu la possibilité d’interroger la victime alors que celle-ci était le seul témoin direct à charge. Il invoquait une violation de l’article 6 § 1 et 6 § 3 d (droit à un procès équitable/droit de faire interroger les témoins à charge et à décharge dans les mêmes conditions) de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le droit d’interroger les témoins est rattaché au principe du contradictoire et il est souhaitable que ces derniers soient entendus lors de l’audience. Cependant, « Il n’en résulte pourtant pas que la déclaration d’un témoin doive toujours se faire dans le prétoire et en public […] : utiliser de la sorte des dépositions remontant à la phase de l’instruction préparatoire ne se heurte pas en soi aux paragraphes 3 d) et 1 de l’article 6 (art. 6-3-d, art. 6-1), sous réserve du respect des droits de la défense. » (CEDH 20 nov. 1989, Kostovski c. Pays-bas). Ce droit conféré par l’article 6 § 3 de la Convention n’est pas absolu. Dans un arrêt de grande chambre (CEDH, gde ch. 15 déc. 2011, Al-Khawaja et Tahery c/Royaume-Uni), la Cour a admis qu’une condamnation reposant uniquement, ou dans une mesure déterminante, sur la déposition d'un témoin absent (ou anonyme) n'emporte pas automatiquement violation de la Convention. Elle exige cependant qu'en pareil cas l'obstacle ainsi créé à la défense soit contrebalancé par des éléments suffisants, notamment par des garanties procédurales solides.

La conventionalité d’une condamnation se fondant uniquement ou dans une mesure déterminante sur la déposition d'un témoin absent doit répondre à deux exigences :

– l'absence d'un témoin doit être justifiée par un motif sérieux. À cet égard, peuvent être considérées comme pertinentes les absences pour cause de peur ou de décès (affaire Al-Khawaja et Tahery c.Royaume-Uni, préc.). L’arrêt ici commenté y ajoute le stress post-traumatique aigu de la victime de viol constaté par des experts médicaux. L’on pourra rapprocher cette décision d’un arrêt rendu en 2005 (CEDH 10 nov. 2005, Bocos-Cuesta c. Pays-Bas) relatif aux témoignages des enfants victimes d’agressions sexuelles dans lequel la Cour avait affirmé que la protection des enfants témoins (non comparants pour éviter de leur faire revivre une expérience traumatisante) ne doit pas se faire au détriment des droits de la défense ;

– le respect de garanties procédurales solides pour garantir l’équité de la procédure. En l’espèce, la Cour constate que les déclarations faites par la victime avant le procès sont les seuls éléments de preuve sur la base desquels l’accusé a été reconnu coupable de viol. S’il est vrai que l’accusé ou son conseil n’ont pu faire un contre-interrogatoire à l’audience de jugement, la Cour relève que le conseil de l’accusé n’a pas saisi l’opportunité qui lui était offerte d’interroger la victime durant l’instruction de l’affaire. Par ailleurs, pour assurer le respect des droits de la défense, d’autres mesures ont été prises, notamment la lecture à l’audience des dépositions de la victime et une appréciation approfondie par la juridiction de jugement des éléments de preuve produits devant elle.

La Cour conclut donc à l’équité de la procédure dans son ensemble, et en conséquence à la non-violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention européenne des droits de l’homme.

CEDH 19 févr. 2013, Gani c. Espagne, n° 61800/08

Références

 Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 

3. Tout accusé a droit notamment à : 

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; 

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; 

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; 

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

■ CEDH 20 nov. 1989, Kostovski c. Pays-bas, n°11454/85.

■ CEDH, gde ch., 15 déc. 2011, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uninos 26766/05 et 22228/06, RSC 2012. 245, obs. D. RoetsD. 2012. 586, note J.-F. Renucci.

■ CEDH 10 nov. 2005, Bocos-Cuesta c/Pays-Bas, n° 54789/00.

 

Auteur :C. L.


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