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[ 5 décembre 2016 ] Imprimer

Droit des biens

Empiétement minime : pas de démolition !

Mots-clefs : Civil, Biens, Empiétement, Minime, Droit de propriété, Atteinte, Sanction, Démolition (non)

 

Les propriétaires victimes d’un empiétement d’importance minime ne peuvent obtenir la démolition de l’ouvrage sans abuser de leur droit de propriété.

Les propriétaires d’une parcelle de terrain avaient assigné leur voisin en enlèvement d'un atelier-garage qui empiétait sur leurs fonds. La cour d’appel fit droit à leur demande en ordonnant la démolition totale du bâtiment en raison de son empiétement sur leur fonds, indifférente aux considérations de l'expert, qualifiées d’inopérantes bien que l’intimé eût tenté de les exploiter pour s’opposer à la destruction de son garage, selon lesquelles l'empiétement ne représentait qu’une surface minime équivalente à 0, 04 m ². Par cette décision, les juges du fond faisaient application de la position particulièrement rigoureuse mais constante de la Cour de cassation, consistant à reconnaître un droit absolu au profit du propriétaire du fonds victime de l'empiétement (Civ. 3e, 14 mars 1973, n° 72-11.752. Civ. 3e, 26 juin 1979, n° 78-10.567. Civ. 3e, 5 déc. 2001, n° 00-13.077. Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015. Civ. 3e, 10 nov. 2009, n° 08-17.526), même lorsque ce dernier est d’importance minime et que son auteur est de bonne foi (V. en dernier lieu, Civ. 3e, 8 oct. 2015, n° 13-25.532 : « dès lors qu'un constructeur étend ses ouvrages au-delà des limites de sa propriété, il y a lieu à démolition de la partie de sa construction qui repose sur le fonds voisin, quelles que soient l'importance de l'empiétement et la bonne ou mauvaise foi du constructeur »). 

Abandonnant sa position habituelle, la Cour de cassation accueille, au visa des articles 544 et 545 du Code civil, le pourvoi formé par l’auteur de l’empiétement, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché « si un simple rabotage du mur » n'aurait pas été suffisant pour mettre fin à l'empiétement constaté. Autrement dit, la Cour préfère à la sanction mécanique de la démolition une sanction proportionnée aux conséquences et aux intérêts et droits en présence, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, l’ordre de démolir l'intégralité du bâtiment apparaissant bien disproportionné eu égard à la très faible importance de l'empiétement constaté. Drastique et systématique, la sanction de l’atteinte au droit de propriété, transgressé par l’auteur d’un empiétement, est promise à devenir plus souple et pragmatique. Ainsi la question devrait-elle désormais être réglée en tenant compte d'éléments de bon sens que sont l'importance de l'empiétement et l’intention des intervenants, en évitant tout abus de part et d'autre. En ce sens, la Cour relève incidemment la persistance des propriétaires à solliciter la démolition de l’ouvrage malgré la très faible importance de son empiétement, laquelle révélerait, en contradiction avec la règle selon laquelle la défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus (Civ. 3e, 7 juin 1990, n° 88-16.277), une malveillance et un acharnement abusifs de la part des défendeurs au pourvoi. 

Soumise à un contrôle de proportionnalité, l’atteinte portée au droit de propriété par l’auteur d’un empiétement ne serait donc plus mécaniquement sanctionnée par sa démolition. 

De surcroît, la solution ici retenue par la Cour ne devrait pas être cantonnée au seul empiétement. En effet, dès lors qu’elle conduit à remettre en cause le principe selon lequel la démolition est la sanction naturelle du droit réel transgressé, il serait peu cohérent que celle-ci soit tempérée voire écartée en cas d'empiétement mineur mais qu’elle se maintienne en cas de violation minime d'une servitude (même si les juges du fond sont souverains pour l’apprécier, V. notam., Civ. 3e, 9 mars 1977, n° 75-14.456). Si la solution ici retenue convainc par sa souplesse et son pragmatisme, elle fait toutefois naître un doute sur sa conformité à la jurisprudence constitutionnelle sur le droit de propriété, selon laquelle l’atteinte susceptible de lui être portée ne peut en toute hypothèse être justifiée qu’à la condition que son auteur poursuive un intérêt général et respecte une certaine proportionnalité. Or si rien ne s’oppose à ce qu’une personne privée puisse porter une atteinte proportionnée à la propriété d'autrui au nom d'un intérêt général, en matière d'empiétement, l’hypothèse est d’école car son auteur soit s’est simplement trompé sur la délimitation de son fonds et sans donc poursuivre aucun intérêt général, soit n'a tenu compte que de son propre intérêt. Et même dans d'autres hypothèses, un droit individuel à l'empiétement ne saurait être admis, par exemple dans le cadre de la construction de logements sociaux, dès lors que les atteintes à la propriété sont, en vertu de l'article 34 de la Constitution, du ressort exclusif de la loi. En réalité, pour ne pas contredire frontalement la position du Conseil constitutionnel, il conviendrait d’apprécier l'atteinte au droit de propriété non plus sous l’angle de celle subie par la victime de l'empiétement mais sous celui de celle subie par son auteur, causée par la décision du juge ordonnant sa démolition. Cela paraît cependant peu concevable, sauf à admettre que le juge porterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété en faisant respecter la propriété d'autrui, ce qui supposerait de reconnaître une sorte de droit préalable à un empiétement dont la démolition ne pourrait être ordonnée que sous la réserve qu’un intérêt général et proportionné soutenant le maintien de la construction ne s'y oppose pas. Un tel renversement de perspective, justifiant que l'auteur même de l'atteinte puisse invoquer la protection constitutionnelle de son droit de propriété contre celui qui en est victime, serait d’autant moins aisé que ce dernier pourrait très facilement lui opposer la plus grande nécessité de voir son droit constitutionnellement protégé contre l'atteinte, même faible, qu'il subit à sa propriété de manière injustifiée et contraire à l'intérêt général justifiant de dissuader de futurs empiétements, plus importants (Sur ce point, V. H. Périnet-Marquet, Empiétement et droit constitutionnel, Constr.-Urb., 2016, n°3, Rep. 3).

Civ. 3e, 10 novembre 2016, n° 15-25.113

Références

■ Civ. 3e, 14 mars 1973, n° 72-11.752 P.

■ Civ. 3e, 26 juin 1979, n° 78-10.567 P.

■ Civ. 3e, 5 déc. 2001, n° 00-13.077 P, D. 2002. 2507, obs. B. Mallet-Bricout ; AJDI 2002. 160 ; RDI 2002. 139, obs. M. Bruschi.

■ Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015 P, D. 2002. 2075, et les obs., note C. Caron ; ibid. 2507, obs. B. Mallet-Bricout ; RTD civ. 2002. 333, obs. T. Revet.

■ Civ. 3e, 10 nov. 2009, n° 08-17.526 P, D. 2010. 2183, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RDI 2010. 96, obs. B. Boubli ; ibid. 204, obs. J.-L. Bergel.

■ Civ. 3e, 8 oct. 2015, n° 13-25.532.

■ Civ. 3e, 9 mars 1977, n° 75-14.456 P.

 

Auteur :M. H.


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